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Chronique - Août 2009

HONDURAS

vendredi 14 août 2009   |   Ignacio Ramonet
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C’est « avec une joie immense [1] » que l’annonce du coup d’Etat au Honduras a été reçue par les milieux conservateurs du monde et leurs chantres habituels [2]. Ceux-ci ont certes pris la précaution, purement rhétorique, de critiquer le procédé mais ont repris à leur compte, et justifié, les arguments des putschistes en répétant que « le président Manuel Zelaya avait lui-même provoqué son renversement en raison de ses multiples violations de la Constitution et parce qu’il s’était obstiné à vouloir organiser un référendum pour se maintenir au pouvoir [3] ».

Ces affirmations sont mensongères. Le président Zelaya n’a pas violé un seul article de la Constitution [4]. Et n’a organisé aucun référendum. Il ne souhaitait pas davantage prolonger son mandat qui s’achève le 27 janvier 2010. Sa seule intention était d’organiser, le 28 juin dernier (date du coup d’État), une consultation non contraignante (c’est-à-dire un simple sondage ou enquête d’opinion) en demandant aux électeurs : « Êtes-vous d’accord pour que, lors des élections générales de novembre 2009, on installe une quatrième urne [5] pour décider de convoquer une Assemblée nationale constituante qui établisse une nouvelle Constitution de la République  ? » Il s’agissait donc de poser une question sur l’éventualité de poser, en novembre prochain, une seconde question. Aucun article de la Constitution du Honduras n’interdit au président de consulter [6] le peuple souverain.

Qui plus est, à supposer qu’une majorité d’Honduriens eût répondu favorablement, le 28 juin dernier, à la question posée, la « quatrième urne » ne devait être installée que le 29 novembre prochain, date de l’élection présidentielle, à laquelle - en vertu de la Constitution actuelle – Manuel Zelaya ne peut en aucune façon se présenter.

On voit bien que tous les arguments d’apparence juridique que les putschistes ont avancé, et que beaucoup de médias ont repris, sont faux. Mais alors, pourquoi y a-t-il eu coup d’Etat ? Parce que le Honduras continue d’être la propriété d’une quinzaine de familles fortunées qui contrôlent tout : les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, les principales ressources économiques, le commerce, la hiérarchie de l’Eglise catholique, les médias de masse et les forces armées. Au cours des deux derniers siècles, la plupart des gouvernements ont été si corrompus et si soumis aux intérêts des firmes étrangères que, pour désigner précisément le Honduras, l’humoriste américain O. Henry créa l’expression « République bananière [7] ». En 1929, pour montrer à quel point il était simple d’acheter un député hondurien, Samuel Zamurray, surnommé « Banana Sam », président de Cuyamel Fruit, entreprise rivale de la célèbre United Fruit, affirmait : « Un député du Honduras vaut moins cher qu’un mulet. » A la fin des années 1980, le président José Azcona del Hoyo accepta la soumission de son pays à la stratégie régionale des Etats-Unis en avouant : « Un petit pays comme le Honduras ne peut se permettre le luxe d’avoir de la dignité. » Le degré de mentalité de colonisé est tel au sein de l’oligarchie qu’un groupe de patrons, dans les années 1990, en arriva à proposer à Washington que le Honduras devienne un État libre associé des Etats-Unis, comme Porto Rico…

Les relations économiques avec la grande puissance du nord sont de dépendance quasi absolue : 70% des exportations honduriennes (bananes, café, sucre) vont aux Etats-Unis, d’où parviennent, chaque année, quelque 3 milliards de dollars que les 800.000 Honduriens émigrés là-bas envoient à leurs familles. Et la part majoritaire (40% du capital) des investissements réalisés dans les zones franches, pour installer des usines « maquiladoras » à main d’œuvre très bon marché, est également américaine.

Il y a trente ans, après la victoire de la révolution sandiniste au Nicaragua, Washington décida de faire du Honduras une sorte de porte-avions régional pour combattre militairement, à partir de là, les guérillas révolutionnaires au Guatemala et au Salvador, et pour appuyer la « Contra » antisandiniste au Nicaragua. Pour mieux conduire ces « guerres anticommunistes de faible intensité », les Etats-Unis imposèrent une mesure complémentaire de caractère politique : l’installation d’une « démocratie contrôlée » à Tegucigalpa où se succédaient jusqu’alors des dictatures militaires. Des « élections libres » eurent donc lieu, pour la première fois, en 1980 ; un an plus tard, Roberto Suazo Córdova fut élu président et instaura, derrière le paravent démocratique, une ère sinistre de terreur : “escadrons de la mort”, “disparitions”, liquidation systématique de syndicalistes, d’élus et de militants de gauche… C’est dans ces circonstances de « guerre sale », et avec une population muselée par la peur, que fut adoptée la Constitution de 1982, actuellement en vigueur.

Une Constitution rédigée par les principaux groupes économiques « propriétaires du pays » qui veulent maintenir pour l’éternité en leur faveur le déséquilibre existant en matière de partage des richesses, l’un des plus inégalitaires du monde. Les deux tiers des habitants se retrouvent en dessous du seuil de pauvreté, dont un tiers sous le seuil d’extrême pauvreté. Une population appauvrie, où le taux de chômage dépasse les 30%.

C’est cette situation d’un autre âge que le président Manuel Zelaya a décidé de transformer. Issu d’une des grandes familles foncières du Honduras et membre du Parti libéral (droite), le président, élu en 2005, a entrepris de réduire les criantes inégalités. Il a augmenté le salaire minimum de 50% ; a stoppé la privatisation d’entreprises et de services publics (électricité, ports, système de santé) et s’est prononcé à de multiples reprises pour une plus grande participation des citoyens au débat politique. Tout cela, avant même d’adhérer à Petrocaribe en 2007 et d’intégrer l’ALBA (Alternative bolivarienne pour les peuples de notre Amérique) en 2008. Deux alliances régionales qui sont fort bénéfiques pour le Honduras mais qui ont le tort, aux yeux des ennemis de M. Zelaya, d’avoir été sinon créées du moins inspirées par le président vénézuélien Hugo Chávez devenu l’homme à abattre pour toutes les droites latino-américaines. 

La puissante oligarchie hondurienne a poussé le cri au ciel devant les réformes entreprises par M. Zelaya et a accusé celui-ci d’être un « traître à la patrie ». De son côté, le président renversé clamait sa bonne foi : « Je souhaitais procéder à des modifications sans sortir du cadre néolibéral. Mais les riches ne cèdent pas un centime. (…) Ils veulent tout pour eux seuls. Alors, logiquement, pour faire des changements il faut incorporer le peuple [8]. »

L’itinéraire intellectuel de Manuel Zelaya et sa « conversion » à une conception progressiste de la société sont exemplaires. Dans la pratique du pouvoir, il en vient à constater que « l’Etat bourgeois est composé par les élites économiques. Celles-ci contrôlent la hiérarchie des armées, des partis et de la justice ; et cet Etat bourgeois se sent atteint dans son intégrité lorsque je commence à proposer que le peuple puisse enfin s’exprimer et voter [9]. » Zelaya en arrive ainsi à découvrir cette idée révolutionnaire : « La pauvreté ne prendra fin que lorsque les lois seront faites par les pauvres [10]. »

C’en était trop pour les « maîtres » du Honduras. Avec la complicité de vieux « faucons américains » - John Negroponte, Otto Reich -, ils conspirent et élaborent le projet de coup d’Etat du 28 juin que les forces armées exécutent. Dans un premier temps, toutes les chancelleries du monde l’ont condamné et réclamé le retour du président Zelaya. Puis il a eu d’étranges « négociations », imposées par le Département d’Etat américain, avec la médiation du Costa Rica et de son président Oscar Arias. Comme c’était prévisible, elles ont échoué. Manuel Zelaya a promis de retourner, d’une manière ou d’une autre, dans son pays auprès de son peuple qui le soutient dans sa majorité. Il sait que l’heure des « gorilles » est terminée. Et que l’heure des peuples a sonné.




[1 « Avec une joie immense  » était le titre du message de félicitations adressé par le pape Pie XII, le 16 avril 1939, au général Franco pour sa victoire dans la guerre d’Espagne.

[2 Mario Vargas Llosa, « El golpe de las burlas », El País, Madrid, 12 juillet 2009 ; et Alvaro Vargas Llosa, « Zelaya, el gran responsable del golpe », CNN en español, 1er juillet 2009.

[3 Cf. Libération, Paris, 30 juin 2009 et El País, Madrid, 1er et 5 juillet 2009.

[4 Cf. Francisco Palacios Romeo, “Argumentos de derecho constitucional primario para una oligarquía golpista primaria » Rebelión, 3 juillet 2009.

[5 Lors des élections générales au Honduras, les électeurs disposent de trois urnes dans lesquelles ils déposent leurs différents bulletins de vote : la première pour élire le président, la deuxième pour élire les députés et la troisième pour élire les maires.

[6 Une consultation n’est pas un référendum.

[7Dans son roman Cabbages and Kings, 1904.

[8 El País, Madrid, 28 juin 2009.

[9 Idem

[10 Ibidem.



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