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Hugo Chavez et la religion

mercredi 30 avril 2014   |   François Houtart
Lecture .

Le thème des rapports que Hugo Chavez entretenait avec la religion n’a pas été beaucoup abordé et il est peu connu. Cependant, dans le contexte de la société vénézuélienne, il est important. En effet, le président Chavez a souvent parlé de religion et il s’est référé régulièrement à la personne de Jésus. Certains ont interprété cela comme une manipulation du religieux par le pouvoir politique. Il me semble que c’est une accusation dénuée de fondement.

Peu après le coup d’Etat d’avril 2002 qui faillit coûter la vie au président, je participai à l’émission Alo Presidente qu’il réalisait tous les dimanches matin. Avec un groupe d’invités, nous le rejoignîmes en hélicoptère dans une petite ville côtière de la mer des Caraïbes, non loin de Caracas. Le programme télévisé incluait, comme chaque semaine, des interventions diverses et des échanges avec des interlocuteurs de tout le pays. A un certain moment, le président me demanda d’intervenir.

Je choisis d’aborder la question religieuse dans son rapport au politique, en rappelant d’abord qu’en Amérique latine, il existait une longue tradition d’instrumentalisation de la religion, du christianisme en particulier, pour légitimer le pouvoir. Les exemples abondent et la hiérarchie catholique en porte une bonne part de la responsabilité. Mais tout autre chose est de se baser sur les enseignements et les pratiques de Jésus pour inspirer des réformes sociales et des politiques favorisant les plus démunis.

Dans sa société, Jésus s’identifia en effet à la cause des pauvres et condamna tous les pouvoirs qui étaient à l’origine de leur exploitation, qu’ils soient économiques, politiques ou même religieux. Sa référence aux valeurs du Règne de Dieu – la justice et l’amour du prochain – donnait une dimension religieuse à la recherche du bien collectif. Sa critique du Temple de Jérusalem en fait foi, mais aussi celle des riches, du pouvoir hérodien et du colonisateur romain. Si Jésus fut exécuté par une alliance contradictoire de tous les pouvoirs de son époque, c’est bien parce que son message était subversif de l’ordre existant. S’inspirer de cet exemple pour orienter des politiques concrètes est donc parfaitement légitime et ne signifie nullement un retour à une situation de chrétienté. Après avoir écouté avec attention cette intervention, Chavez me dit : « Padre, pourquoi ne restez-vous pas quelques mois avec nous ? »

Lors d’un autre Alo Presidente près de Valencia, dans l’Etat de Carabobo, Chavez aborda un thème d’actualité : la découverte d’un Evangile apocryphe. Il m’interrogea sur le sens de ce texte qui parlait explicitement de la famille de Jésus, impliquant notamment son état marital. Je n’étais guère préparé à répondre, n’ayant pu prendre connaissance du texte. Je lui dis cependant que ce n’était pas le seul exemple du genre, et que la critique historique et littéraire aurait à déterminer l’apport qu’il pourrait représenter pour une meilleure connaissance du christianisme, tout en faisant la part de l’imaginaire collectif.

Même si les thèmes religieux n’étaient pas absents du discours de Chavez, la politique de la Révolution bolivarienne était réellement laïque, dans le sens positif du terme. En effet, son but était de créer le socialisme du XXI° siècle ou plus récemment, avant sa mort, d’un éco-socialisme. Il se référait sans cesse à Bolivar, que l’on ne peut soupçonner de cléricalisme. Il s’opposa directement aux interventions de l’épiscopat vénézuélien, notamment lorsque le cardinal de Caracas appuya le coup d’Etat de 2002 et sabla le champagne au palais présidentiel avec ses auteurs. De même lorsque le président de la conférence épiscopale le compara à Hitler et Mussolini, lors de la conférence des évêques latino-américains à Aparecida au Brésil, en présence du pape Benoît XVI. Mais cela ne l’empêcha pas de prendre en compte le facteur religieux en tant qu’expression culturelle centrale du peuple vénézuélien.

Chavez ne cessa d’exprimer son adhésion au christianisme, à la fois dans sa dimension sociale de recherche de justice et d’amour des autres, et également comme signification personnelle. Pour le premier aspect, il suffit de rappeler qu’il portait un petit crucifix dans sa pochette et qu’il le sortait régulièrement en disant que, pour lui, Jésus était une référence car il avait été un des premiers socialistes. A La Havane, dans le théâtre Carlos Marx, face à des milliers de personnes, lors du lancement avec Fidel Castro, de l’Opération miracle qui, avec le savoir-faire médical cubain et l’appui financier vénézuélien, allait soigner des millions de latino-américains pauvres des maladies des yeux, je l’ai vu présenter à nouveau son crucifix. Il rappela les paroles de Jésus annonçant que les aveugles verront. Il se tourna alors vers Fidel et lui dit : « Je te le donne ». Fidel, un moment déconcerté lui répondit : « Eh bien, je l’accepte ». L’assemblée entière se leva et applaudit longuement.

Sur le plan personnel, Chavez exprimait son adhésion religieuse dans les termes de la spiritualité populaire. Au cours des dernières années, chaque fois que je le rencontrais, il me disait : « François, bénédiction ; j’ai besoin de ta bénédiction », expression à la fois d’une conviction réelle et d’une religion de protection, héritage des racines culturelles de l’Amérique latine. La dernière fois que je l’ai vu, peu de temps avant sa mort, c’était au cours d’une réunion publique dans le grand théâtre du Centre culturel Teresa Careno de Caracas. De loin, il m’interpella : « François », dit-il. Puis il joignit les deux mains en signe de prière. Le sens complet de son geste me fut clairement dévoilé plus tard, le jour où l’on annonça sa disparition.

 





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