Arrêté une première fois par les autorités britanniques, en décembre 2010, en raison d’une demande d’extradition formulée par la Suède, le fondateur et dirigeant de Wikileaks avait fini, après une libération conditionnelle accordée sous des conditions très strictes – sous assignation domiciliaire et avec bracelet électronique, par se réfugier dans les locaux diplomatiques de l’Equateur, situés au cœur de Londres, à quelques pas des grands magasins Harrods.
Le militant semblait épuisé lors de ses dernières apparitions publiques. Il y a de quoi l’être, manifestement : son repaire, désormais, se résume à une pièce de quatre mètres sur cinq, environ, divisée en deux parties par une étagère : une chambre, et un bureau de travail. C’est là, au rez-de-chaussée du bâtiment de l’ambassade, que Julian Assange reçoit ses visiteurs. Triés sur le volet. Il a fallu montrer patte blanche longtemps à l’avance.
Entre une multitude d’ordinateurs et de téléphones, l’homme, fatigué et pâle, garde pourtant une grande vivacité intellectuelle et continue à déployer une grande activité via internet. « C’est difficile », reconnait-il. « Mais avoir été pendant près de deux ans en prison et puis sous arrestation domiciliaire était encore plus difficile », ajoute-t-il aussitôt, faisant référence à son assignation en liberté conditionnelle dans un manoir de la campagne anglaise. « Mais c’est encore beaucoup plus dur pour certains qui sont impliqués dans d’autres combats politiques ».
Julian Assange fait le point sur son dossier suédois
De sa situation un peu rocambolesque, le fondateur de Wikileaks dit qu’elle reste compliquée. En tous les cas, il estime que rien ne devrait bouger avant plusieurs mois. Les négociations entre les autorités britanniques et équatoriennes semblent au point mort, « jusqu’au mois de février ». Julian Assange en est convaincu : les États-Unis devraient attendre la tenue des élections présidentielles en Équateur. « Ils espèrent que Correa (le président de l’Équateur, ndlr) va perdre, et ils auront une autre stratégie à ce moment-là », dit-il. « Il y a des informations qui font état d’une augmentation du financement américain des partis anti-Correa », une tactique que les États-Unis utilisent souvent, dit-il. Mais les résultats qu’ils escomptent ne sont pas garantis. « Leurs pensées et leurs actes deviennent très prévisibles », estime-t-il.
Mais, même dans le cadre d’une victoire de Rafael Correa, la situation du militant ne devrait pas s’améliorer aussi facilement. Julian Assange l’a répété : le danger que la Suède ne le livre aux autorités américaines est grand. Quid des pressions que subit l’État suédois ? Elles sont internes et externes, affirme Julian Assange, mais elles ne sont pas aussi faciles à démontrer. « Le cas en Suède est dépendant, d’un côté, de la politique interne suédoise, et de l’autre, de la nouvelle géopolitique extérieure suédoise », explique-t-il. « Il n’est pas nécessaire que les demandes soient explicites, mais de comprendre ce que tes amis veulent » ; pour Julian Assange, la Suède s’est juste comportée comme un allié fidèle des États-Unis, en allant dans leur sens. Mais il y eu plus, ajoute-t-il. Des fuites publiées par Wikileaks et impliquant les services de renseignements suédois, auraient hautement déplu aux États-Unis. Au point de remettre en question la coopération américano-suédoise dans le domaine du renseignement. « Une situation complexe qui implique beaucoup d’intérêts »...
Les autorités suédoises, elles, maintiennent leurs poursuites, et refusent de commenter les demandes de garantie de non-extradition vers les États-Unis. Mais Julian Assange l’affirme : « Ces accusations ne sont pas le résultat de plaintes déposées par des femmes ». Il explique qu’aujourd’hui, il est clair pour toutes les parties que les accusations portées contre lui ne l’ont pas été par les deux femmes rencontrées en Suède. « Elles demandaient conseil à propos d’un test Sida ; et c’est la police et l’Etat suédois qui se sont saisis de l’affaire ». Une femme aurait explicitement déclaré qu’elle avait refusé de signer une déposition alors que la police la pressait de le faire. Le dossier évolue vers une diminution des présomptions affirme Assange, qui rappelle qu’il n’est d’ailleurs pas inculpé.
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L’attaque financière contre Wikileaks et le nouveau complexe sécuritaire public-privé aux Etats-Unis
Que faire, alors ? Julian Assange s’occupe, de son cas, mais aussi des attaques dont son organisation, Wikileaks, fait l’objet. Et elles ne sont pas anecdotiques : le financement de l’association est quasi bloqué. La raison : le refus des plus grandes entreprises de crédit de transférer les dons vers les comptes de Wikileaks. En cause, Visa et Master Card, essentiellement, ainsi que Pay pal et d’autres opérateurs.
Pour Julian Assange, c’est un combat fondamental. On pourrait même croire que c’est sa principale occupation de ses derniers mois. « Il n’y a pas de souveraineté pas d’autodétermination sans souveraineté économique », dit-il à ce propos. « Différentes forces politiques aux États-Unis, après la publication des câbles diplomatiques, ont voulu mettre en place un embargo économique contre Wikileaks, comme pour Cuba », et lorsqu’elles se sont aperçu qu’elles ne pouvaient pas agir sur des bases légales, elles ont utilisé leurs réseaux d’influence à Washington, s’exclame le cybermilitant. Mais l’association se bat sur tous les fronts, et en premier lieu, devant les tribunaux. « En Islande, il y a quelques mois, une première décision judiciaire a été prise dans ce dossier, on a gagné complètement ; Visa a été condamné ».
Wikileaks a introduit une plainte formelle en Europe, estimant que Visa et Master Card violaient les réglementations européennes anti-trust. Ce sont des « entreprises américaines qui contrôlent les activités économiques des citoyens européens et les entreprises européennes », explique Julian Assange.
Julain Assange lie cette attaque à la puissance croissante du nouveau « complexe sécuritaire » aux Etats-Unis. Une alliance informelle mais très efficace de l’ancien complexe militaro-industriel avec un nombre croissant de sociétés privées de sécurité, de sociétés informatiques et juridiques, un ensemble pour lequel le 11 septembre 2001, les guerres d’Irak et d’Afghanistan ont été un tremplin idéal. Or c’est justement cet ensemble qui a été frontalement attaqué par les révélations de Wikileaks. Il a réussi à suborner les grands acteurs du paiement électronique pour tenter d’abattre le groupe.
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Conséquences sur la situation présente et future de Wikileaks
Les attaques contre Assange et Wikileaks ont fort affaibli le groupe et ses financements, dont une très grande partie transitait par Visa, MasterCard et Pay Pal. Il doit donc se réorganiser, imaginer l’avenir et tirer les leçons du passé. WL est à la recherche de nouveaux systèmes de financement qui contournent le blocage actuel, en créant des fondations et des associations en Europe aussi. La multiplication de sites comme Wikileaks peut être une arme, mais ce n’est pas facile à monter.
« Nous sommes en difficulté mais pas au tapis », explique Assange. « Les attaques sont très violentes mais avec le temps nous avons développé un important réseau de soutien partout dans le monde. De nombreux médias et journalistes coopèrent, des infrastructures avec des systèmes de coopération cryptés ont été mises sur pied, on a fort diversifié et décentralisé Wikileaks, ce qui le rend moins vulnérable ». Assange admet qu’il y a pu y avoir des erreurs ou un manque de contrôle dans la diffusion de certains documents, mais elles ont été limitées dit-il, cela n’a jamais porté dommage à des individus particuliers en dehors de la sphère du pouvoir.
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Crainte sur le futur d’internet : les risques d’une surveillance généralisée
En conclusion de l’Internet, Julian Assange évoque ses craintes sur l’avenir de l’Internet, à la croisée des chemins dit-il. C’est le thème d’un livre collectif publié tout récemment [1].
L’évolution des technologies et la baisse de leurs coûts permettent aujourd’hui une surveillance généralisée, explique-t-il. L’ancienne « interception tactique » qui ciblait des individus qu’on décidait de surveiller, laisse place à une « interception stratégique » mise en œuvre par les grands complexes sécuritaires : elle permet d’enregistrer systématiquement toutes les données (e-mail, sms, téléphone..) qui sont stockées. Plus tard, si on cible quelqu’un, alors on utilise à posteriori ces énormes data base pour reconstituer les profils passés et présent des individus ciblés.
Plus que jamais, estime Assange, la transparence doit s’appliquer au pouvoir et la protection aux individus.
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Marc Molitor, Jean -Marc Vierset et Anne Harford avec WF, JFH
Source : http://www.rtbf.be/info/medias/detail_julian-assange-une-guerre-globale-contre-wikileaks