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Une claque retentissante pour Noboa et son « boss »

mardi 25 novembre 2025   |   Maurice Lemoine

En visitant, le 5 novembre, l’ancienne base militaire de Manta, ainsi que celle de Salinas, pour examiner laquelle serait la plus adaptée à la réinstallation permanente de troupes américaines en Equateur, la secrétaire à la Sécurité intérieure des Etats-Unis, Kristi Noem, a mis la charrue avant les bœufs. Jusque-là prohibée par la Constitution de 2008, une telle présence étrangère armée sur le territoire national le demeurera [1]. Invités ce 16 novembre par référendum à supprimer cette interdiction, les Equatoriens, à 60,8 %, ont répondu non.

Trois autres questions entendaient également permettre au président Daniel Noboa de modifier substantiellement le cadre politique et constitutionnel du pays. Toutes ont donné lieu à un rejet massif – à commencer par la convocation d’une Assemblée constituante (61,58 % de « non ») destinée à satisfaire une obsession du chef de l’Etat : enterrer la Constitution de 2008, dite Constitution de Montecristi. Particulièrement progressiste, assise sur la pluri-nationalité et le « Sumak Kawsay » ou « Buen Vivir » (« Vivre bien »), celle-ci a été approuvée au début de la présidence (2007-2017) de l’économiste de gauche Rafael Correa.

Autre rejet (58,07 % des voix) : la fin du financement par l’Etat des partis et mouvements politiques. Outre le risque que des groupes disposant de moyens économiques réduisent l’égalité des chances entre courants d’opinion, un tel retrait, sans garantie de transparence et sans contrôle de l’origine des fonds, aurait ouvert une voie royale à des financements illicites – dans un pays gangréné par le narcotrafic et déjà miné par la corruption.

Dernière rebuffade, enfin, pour Noboa : la réduction de 151 à 73 du nombre de députés à l’Assemblée nationale a été repoussée (53,48 % des suffrages). Pour ses détracteurs, « cette réduction [aurait pu] nuire au pluralisme et limiter la représentation politique des régions et des minorités. »

Depuis son arrivée au pouvoir en novembre 2023, c’est le deuxième processus de ce genre convoqué par le chef de l’État. Lors du premier, tenu en avril 2024, le « oui » l’avait emporté sur neuf questions relatives à la sécurité et à la justice ; le « non » sur les deux points qui entendaient subrepticement réduire les droits sociaux. Après avoir remporté l’élection présidentielle en avril 2025 – victoire que conteste la candidate de gauche Luisa González (Révolution citoyenne) [2] –, Noboa, vingt fois sur le métier a remis son ouvrage. Vingt fois aussi, la Cour constitutionnelle a entravé d’emblématiques propositions de lois, traitées de manière expresse par l’Assemblée nationale et assorties de nombreuses demandes d’inconstitutionnalité. Raison pour laquelle, après avoir lancé une croisade contre les juges de la Cour, Noboa a promu l’idée d’une Constituante, censée remédier « à la crise institutionnelle, à la violence et à la perte de confiance dans le système judiciaire et le système politique ».

Dans ce pays effectivement secoué par une triple flambée, sécuritaire, économique et sociale, le président a jeté toute son astuce dans la bataille : payée chaque année fin décembre, la prime de fin d’année des employés du secteur public (13e mois) a été versée avant le 14 novembre ; les retraités ont bénéficié de remboursements d’impôts ; militaires et policiers se sont vus attribuer une prime de dernière minute ; un programme « Jeunesse en action » a été étendu ; le matin même de la consultation, Noboa en personne a spectaculairement annoncé l’arrestation, en Espagne, du chef du gang équatorien Los Lobos, Wilmer Geovanny Chavarría Barré, alias « Pipo ».

Rien n’y a fait. Et pour des raisons évidentes.

Bien que le pouvoir ait décrété l’existence d’un « conflit armé interne » et imposé un « état d’exception » quasi permanent, les indicateurs de sécurité ne se sont en rien améliorés. En revanche, l’armée a fait feu de tout bois pour réprimer les manifestations sociales. Déclenchée par la Confédération des nationalités indigènes d’Équateur (CONAIE), suite à la suppression de la subvention sur le diesel, très brutalement traitée par les forces de l’ordre, la grève nationale (22 septembre-22 octobre) n’a donné lieu à aucune concession du gouvernement (et, comme chacun le sait, la vengeance est un plat qui se mange froid !). Depuis le 26 septembre, l’Institut équatorien de sécurité sociale (IESS) a dû déclarer l’état d’urgence sanitaire tant la pénurie de médicaments et d’aliments dans les hôpitaux met en lumière la dégradation du système de santé. Le rachat par le député suppléant proche du pouvoir Luis Alvarado Campi de deux médias jusque-là indépendants – La Posta et Radio Centro – pour 2,5 millions de dollars, alors qu’il déclare un patrimoine inférieur à 70 000 dollars, n’est pas non plus passé inaperçu. Pour sa part, le ministère de l’Économie a imposé que les « documents institutionnels » soient classés « confidentiels » pour une durée de dix années. Ce qui renforce la difficulté de plus en plus grande pour la citoyenneté d’avoir accès à l’information publique depuis l’arrivée au pouvoir de Noboa en 2003 [3].

Enfin, les « affaires de famille » défraient un peu trop la chronique. Le clan Noboa constitue le groupe oligarchique économiquement le plus puissant du pays. En sept mois, dans le cadre d’une amnistie fiscale ultérieurement déclarée inconstitutionnelle, Exportadora Bananera Noboa a vu sa dette – capital, intérêts et amendes – de 94,6 millions de dollars envers le Service des impôts (SRI) réduite de 96,4 % et finalement être totalement effacée ! Sans oublier ceci (que la justice et les médias équatoriens tentent de dissimuler sous le tapis) : le 10 février 2025, la police a trouvé 193 kilos de cocaïne dans une « hacienda » de 800 hectares appelée « San Luis S.A. », située dans la province de Guayas. D’après les registres, cette société était présidée en 2000 par Álvaro Noboa, père du chef de l’Etat, lequel chef de l’Etat en est actuellement actionnaire, de même que d’autres membres de la famille.

Actionnaires San Luis


Le dossier de cette affaire « Cachorro » (du nom imprimé sur les paquets de « coke ») mentionne que de puissants véhicules civils blindés appartenant à la Corporation Noboa ont fréquemment été vus dans la « hacienda ». Fâcheux lorsqu’on se souvient qu’à cinq reprises, depuis 2020, des chargements de cocaïne ont été découverts (en Équateur en Italie, en Croatie et en Turquie) dans des navires dépendant de filiales de Lanfranco Holdings S.A. Cette entreprise offshore, dont le siège se trouve au Panamá, est actionnaire majoritaire (51 %) de Noboa Trading Co. Au bas mot, selon les sources, entre 600 kilos et 1,75 tonnes ont été saisies. Sachant que Lanfranco Holdings S.A. a pour copropriétaires deux frères dont le nom peine à passer inaperçu : Juan Sebastián et… Daniel Noboa.

S’il s’agissait d’un quelconque pays non gouverné par un vassal obéissant, les Etats-Unis dépêcheraient un porte-avion à propulsion nucléaire pour moins que cela.

Et puisqu’on en parle…

La frénésie de Noboa pour faire plaisir à Washington en accueillant une ou des bases militaires est tombée à un très mauvais moment : la militarisation des Caraïbes entamée par Donald Trump, sous couvert de lutte contre le narcotrafic, face aux côtes du Venezuela, alarme une bonne partie du continent. Et donc, comme ailleurs, nombre d’Equatoriens. Qui avaient déjà réussi à faire reculer le pouvoir : celui-ci n’avait-il pas annoncé être disposé à permettre des installations militaires US dans l’archipel des Galapagos ? Un écosystème unique au monde, considéré patrimoine naturel de l’humanité par l’Unesco ! Devant l’ampleur du tollé, le projet a été abandonné en octobre, « en accord avec la ministre américaine Kristi Noem », non sans qu’il ait été précisé : « Dans le futur, il pourrait y avoir un centre de contrôle de la pêche illégale. »

Dans ce registre, le référendum constitue un sérieux revers pour Washington, à l’heure où l’ « Empire » tente de reprendre le contrôle du sous-continent et avait, depuis le départ de Correa, trouvé en Quito un partenaire complaisant. Depuis décembre 2022, une Loi de coopération Etats-Unis-Équateur régit les relations entre les deux pays. Sous les présidences de Guillermo Lasso puis de Noboa ont été signés un Accord d’assistance en matière d’interception aérienne (août 2023) ; un Statut des forces (SOFA ; septembre 2023) ; un Accord relatif aux opérations contre les activités maritimes transnationales illicites (SHIPRIDER ; janvier 2024). Ces textes constituent un cadre juridique autorisant déjà la présence et les actions des forces américaines sur le territoire équatorien. Ils accordent, entre autres, un certain nombre de privilèges, des exemptions et des immunités à leur personnel [4]. Ne manquait que la cerise sur le gâteau. « L’établissement d’une base aérienne américaine en Équateur renforcerait considérablement la portée stratégique des Etats-Unis en Amérique du Sud, en fournissant un point d’appui essentiel pour les opérations militaires et les initiatives de stabilité régionale », notait récemment un rapport émanant de la principale intéressée, l’US Army [5]. Outre l’objectif publiquement annoncé – la lutte contre le narcotrafic et le crime organisé –, « une telle présence dissuaderait les adversaires potentiels en témoignant de l’engagement des Etats-Unis à maintenir la stabilité dans une région de plus en plus influencée par des puissances non traditionnelles, en particulier la Chine et la Russie. »

Tandis que la droite et ses médias tentent de minimiser la défaite, l’ex-président Correa, depuis son exil en Belgique, constate avec satisfaction que ses compatriotes, par leur « non », à dix-sept années d’intervalle, ont refusé de désavouer le symbole de ce qui fut sa politique de gauche, la Constitution de Montecristi : « Pour la première fois dans l’histoire de l’Equateur, une Constitution a été approuvée à deux reprises par une majorité de citoyens. »
Sans que l’on sache qui il rencontrera et quels seront les sujets abordés, Noboa s’est précipité du 18 au 20 novembre aux Etats-Unis.


Illustration : Daniel Noboa Azin / X




[1Une base opérationnelle avancée (BOA) de l’armée des Etats-Unis située à Manta depuis 1999 a été fermée en 2009, le président Rafael Correa refusant de prolonger l’accord bilatéral permettant cette « coopération ».

[2Lire « Et c’est comme si, en Equateur, rien ne se passait » (10 octobre 2025 – https://www.medelu.org/Rafael-Correa-Et-c-est-comme-si-en-Equateur-rien-ne-se-passait

[4Entre autres, l’autorisation pour les Etats-Unis d’exercer leur juridiction pénale sur leur personnel lorsqu’il se trouve sur le territoire équatorien.

[5Maj. Abdón I. Garay-Briones, « A U.S. Air Base in Ecuador. Strategic and Security Benefits for the U.S. Ecuador Relationship », septembre 2025 – https://www.armyupress.army.mil/journals/military-review/online-exclusive/2025-ole/us-base-ecuador/



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