Chroniques du mois

L’Amérique latine et l’Europe : l’émancipation et la capitulation

mardi 1er janvier 2013   |   Bernard Cassen
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Avec Le Monde diplomatique en español

Lorsqu’ils vont se réunir à Santiago du Chili les 26 et 27 janvier pour le 7ème Sommet entre l’Union européenne (UE) et la zone Amérique latine/Caraïbe (ALC), les chefs d’Etat et de gouvernement concernés se trouveront dans une relation radicalement différente de celle du premier Sommet tenu à Rio de Janeiro en 1999.

A l’époque, il y a quatorze ans (le 6 décembre 1998), Hugo Chavez venait d’être élu pour la première fois à la présidence du Venezuela. Au Brésil, Lula avait échoué à sa troisième candidature présidentielle. Dans les chancelleries, nul n’avait entendu parler de Rafael Correa ou d’Evo Morales. Le seul projet d’intégration continentale outre-Atlantique était alors la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA ou ALCA en espagnol et portugais) de l’Alaska à la Terre de Feu sous la houlette de Washington.

Avec le recul, on mesure l’ampleur du chemin parcouru en très peu de temps dans la double émancipation de l’Amérique latine : géopolitique vis-à-vis des Etats-Unis et – pour un nombre croissant de ses gouvernements – idéologique vis-à-vis des dogmes néolibéraux imposés par le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale. En décembre 2004, à La Havane, est créée par Fidel Castro et Hugo Chavez ce qui va devenir l’Alliance bolivarienne des peuples de notre Amérique (ALBA) comprenant aujourd’hui 8 Etats membres et trois autres avec un statut d’invité. En novembre 2005, le projet néocolonial qu’était l’ALCA est enterré à Mar del Plata (Argentine) au grand dam de George W. Bush.

En 2008 se met en place l’Union des nations sud-américaines (UNASUR) dotée d’un Conseil de défense sans aucune présence des Etats-Unis. En décembre 2011 est installée à Caracas la Communauté d’Etats latino-américains et caribéens (CELAC) qui regroupe 33 pays, mais laisse à la porte les Etats-Unis et le Canada, ce qui, à terme, remettra en cause l’existence même de l’Organisation des Etats américains (OEA) dont le siège est… à Washington. A Santiago, et pour la première fois, l’UE se retrouve ainsi en face d’un autre ensemble organisé, ou du moins en voie d’organisation. Le Sommet ne s’appelle plus UE-ALC, mais UE-CELAC.

Ces dernières années, l’UE a suivi une trajectoire inverse. Sur le plan politique, elle a renforcé son intégration dans l’OTAN, c’est-à-dire qu’elle a sous-traité sa défense à Washington, et elle a continué à s’aligner sur les positions américaines, tout particulièrement au Proche-Orient. Sur le plan économique, elle a mis en place des programmes d’austérité en tout point comparables aux plans d’ajustement structurel qui avaient provoqué de terribles ravages sociaux en Amérique latine. Pour beaucoup de dirigeants latinos, il est incompréhensible que l’Europe mette en pratique les préceptes du Consensus de Washington – que leurs peuples ont massivement rejeté – et que, symboliquement, elle fasse appel à l’institution particulièrement détestée chez eux qu’est le FMI, dans le cadre de la « troïka » formée avec la Commission européenne et la Banque centrale européenne.

Alors que l’Amérique latine est en voie d’intégration sur la base d’un projet politique – dont témoigne, entre autres, la double appartenance du Venezuela (et bientôt de la Bolivie) à l’ALBA et au Mercosur, l’Europe se délite. L’implosion de la zone euro et la sortie du Royaume-Uni de l’UE sont des hypothèses ouvertement envisagées. D’un côté, un message d’émancipation ; de l’autre, une capitulation devant la finance, la dislocation sociale et la promesse de l’austérité à perpétuité. Si seulement, au contact de leurs collègues delà CELAC, les dirigeants européens revenaient du Chili libérés de leur idée fixe selon laquelle « il n’y a pas d’autre politique possible », ils n’auraient pas perdu leur temps.





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