Décidément, l’Amérique latine bouge. Elle poursuit son intégration régionale dans de nouvelles configurations qui traduisent une indépendance politique croissante vis-à-vis des Etats-Unis et visent à identifier et faire avancer des intérêts économiques, politiques et géopolitiques communs.
Ainsi, après la création, en 2004, de l’Alliance bolivarienne pour les peuples de notre Amérique (Alba) qui regroupe aujourd’hui huit Etats des Caraïbes, d’Amérique centrale et du Sud [1], celle, en 2008, de l’Union des nations sud-américaines (Unasur) qui rassemble les 12 pays composant l’Amérique du Sud (sans la Guyane française évidemment), c’est désormais un nouvel espace d’intégration continentale encore plus large qui se dessine en 2010, année de commémoration du bicentenaire des indépendances latino-américaines.
Le 23 février, les représentants de 33 Etats d’Amérique latine et de la Caraïbe (dont 25 Chefs d’Etat) ont en effet décidé à Cancun (Mexique) la création d’un nouveau bloc régional dans le cadre du Sommet dit de l’Unité de l’Amérique latine et de la Caraïbe. Il s’agissait, en réalité, de la fusion du XXIème Sommet du Groupe de Rio et du deuxième Sommet de l’Amérique latine et de la Caraïbe sur l’intégration et le développement (CALC).
Une caractéristique tout à fait centrale de ce nouvel ensemble est que ni les Etats-Unis ni le Canada n’en feront partie, alors qu’ils sont présents au sein de l’Organisation des Etats américains (OEA) dont Cuba, membre du nouveau bloc, avait été exclue et où elle n’entend pas être réintégrée.
Le président illégitime du Honduras, Porfirio Lobo, n’a pour sa part pas été invité à la rencontre de Cancun.
Les statuts du nouvel organisme régional n’ont pas encore été décidés, de même que ses financements. Tout cela doit être défini lors d’une rencontre prévue à Caracas en 2011.
S’il est donc trop tôt pour connaitre les perspectives réelles de cette initiative et son potentiel, l’analyse de la déclaration finale du Sommet indique une ambition importante. En effet, celle-ci propose la construction d’un « espace commun dont l’objectif est d’approfondir l’intégration politique, économique, sociale et culturelle de (la) région et de développer des engagements concrets en vue d’une action conjointe pour la promotion d’un développement soutenable de l’Amérique latine et de la Caraïbe, dans le cadre de l’unité, de la démocratie, du respect strict des droits de l’homme, de la solidarité, de la coopération, de la complémentarité et de la concertation politique ».
Dans ce cadre, le texte se décline en 88 points qui touchent à peu près tous les domaines d’action des gouvernements aux niveaux national, régional et international [2]. Ainsi, commerce, questions énergétiques, développement social, culture, migrations, développement soutenable, changement climatique, environnement, droits humains et promotion de nouveaux droits, coopération Sud/Sud constituent l’architecture du document.
Même s’il propose des pistes contradictoires et discutables en matière économique et commerciale (appel à « l’urgence de conclure les négociations du Cycle de Doha de l’Organisation mondiale du commerce » pour « continuer à travailler en faveur de la construction d’un système multilatéral de commerce plus juste et équitable »…), le texte offre de nombreuses promesses d’engagements communs.
Sont ainsi mentionnés : l’étude de la possibilité d’une monnaie commune, le renforcement des coopérations financières tous azimuts et de la Banque du Sud, la lutte contre la faim et la pauvreté, le développement de programmes pour consolider la sécurité alimentaire, le renforcement des droits des migrants, des mécanismes de règlements des conflits entre pays de la zone et en dehors, etc.
Sans nul doute, la diversité politique et les conflits idéologiques entre certains Etats membres de ce nouvel ensemble pèseront sur son développement réel, mais les premiers résultats sont encourageants : déjà, la Colombie et le Venezuela ont accepté le principe de la création d’un groupe de « pays amis » dont l’objectif sera d’offrir une médiation entre Bogota et Caracas dans les conflits qui les opposent, notamment l’installation de sept bases militaires étasuniennes sur le territoire colombien. Les deux capitales ont également décidé de tenir des rencontres bilatérales afin d’étudier, huit mois après la rupture de leurs relations diplomatiques, la mise en œuvre de l’accord de Cancun.
La déclaration des Trente-Trois n’a pas laissé indifférentes les chancelleries européennes et étasuniennes. Elle exprime en effet son clair soutien à l’Argentine dans le conflit qui l’oppose de nouveau au gouvernement britannique après la décision de ce dernier d’explorer des gisements de pétrole dans les eaux des îles Malouines (îles Falklands pour Londres). Pour les signataires, il s’agit d’une infraction caractérisée au droit international, qui viole la souveraineté territoriale de l’Argentine.
Ainsi, Felipe Calderón, président du Mexique et hôte de ce Sommet de l’Unité a déclaré : « Les chefs d’Etat représentés (à Cancun) réaffirment leur soutien au droit légitime de la République d’Argentine à sa souveraineté dans le conflit qui l’oppose au Royaume-Uni ». Ban Ki-moon, secrétaire général de l’ONU, a été sollicité par le gouvernement argentin pour résoudre le différend.
Pour sa part, le président équatorien, Rafael Correa, a résumé, du point de vue des pays de l’Alba, l’ambition géopolitique du nouveau bloc régional. Pour lui, il doit clairement devenir une alternative à l’OEA dont les défenseurs affichés sont de plus en plus isolés en Amérique latine : « Je crois que cette organisation doit assumer beaucoup des fonctions actuelles de l’OEA, comme par exemple la résolution pacifique des conflits, car, comme Latino-Américain, si l’on me dit qu’il y a un coup d’Etat au Honduras et qu’il faut se réunir à Washington (siège de l’OEA) pour en discuter, ce n’est plus possible. Cela ne peut pas continuer ».
A peine terminé le Sommet de Cancun, nombre de Chefs d’Etat présents se sont envolés pour la cérémonie d’investiture du nouveau président de l’Uruguay, José (dit « Pepe ») Mujica, le 1er mars. L’ancien guérillero est le second président de gauche dans l’histoire du pays.
Cristina Kirchner (Argentine), Luiz Inacio Lula da Silva (Brésil), Evo Morales (Bolivie), Alvaro Uribe (Colombie), Rafael Correa (Equateur), Fernando Lugo (Paraguay), Hugo Chávez (Venezuela) étaient présents, ainsi que Hillary Clinton. La secrétaire d’Etat aura pu méditer sur l’isolement croissant des Etats-Unis dans un hémisphère qu’ils ont longtemps considéré comme leur « arrière-cour ».