Loin des interprétations simplistes des soulèvements qui ont ébranlé le monde arabe depuis décembre 2010 (interprétations culturelles, générationnelles, confessionnelles ou vulgairement policières), analyse ici en premier lieu les modalités particulières du développement du capitalisme dans cette région du monde. Modalités qui produisent un blocage de la croissance dont les conséquences sociales dramatiques (pauvreté, inégalité, précarité – chômage surtout) se sont aggravées durant les dernières décennies sous l’effet du despotisme politique ambiant et du népotisme qu’il entretient comme mode de gouvernement. Caractérisant ces soulèvements comme le point de départ d’un processus révolutionnaire au long cours, et non comme une éruption aboutie (un “printemps arabe”, selon l’appellation séduisante mais trompeuse), l’auteur livre une analyse concrète des forces sociales en présence et dresse un bilan d’étape, pays par pays, de la Tunisie à la Syrie en passant par l’Égypte, le Yémen, le Bahreïn et la Libye. Il éclaire ce faisant le rôle ambigu des mouvements se réclamant de l’islam, notamment les Frères musulmans, et de leurs soutiens anciens et actuels à l’échelle régionale (le Royaume saoudien et l’émirat du Qatar), fidèles alliés des États-Unis. L’attitude de Washington face à la crise régionale est décortiquée. L’auteur montre également les limites du “tsunami islamique” que d’aucuns ont saisi comme prétexte pour dénigrer les soulèvements dans leur ensemble.
Gilbert Achcar, Le Peuple veut, une exploration radicale du soulèvement arabe, aux éditions Actes Sud / Sinbad, Paris, février 2013, 413 pages, 24,80 euros.