Le Président destitué, Zelaya a annoncé son retour au Honduras samedi, en compagnie notamment du président argentin Cristina Kirschner et du secrétaire général de l’Organisation des états américains, qui a donné 72 heures aux puschistes pour restaurer l’étét de droit au Honduras. Condamné par l’unanimité de la communauté internationale, y compris les Etats-Unis, ce coup de force donne comme une impression de déjà vu. Entretien avec Christophe Ventura, membre de l’association Mémoire des luttes.
Dimanche, le résident du Honduras a été renversé par les militaires et envoyé au Costa-Rica. Qui était Manuel Zelaya et quel était le contexte politique avant le coup d’Etat de dimanche ?
Christophe Ventura : Zelaya a un parcours un peu particulier. Il a été élu en 2005 et a pris ses fonctions en 2006. C’est un conservateur, mais une fois élu, il a opéré un revirement culturel. Un an et demi après son élection il a estimé qu’il était impossible de modifier les structures économiques et sociales du Honduras dans un modèle néolibéral et que le seul moyen de changer la société était de donner plus de pouvoir aux pauvres. Ce changement d’alliance stratégique a été un coup de tonnerre au niveau de ses appuis politiques traditionnels. Il est devenu une sorte de « traître à sa classe » ce qui explique aujourd’hui pourquoi il a autant d’ennemis parmi l’institution. Il avait de nombreux opposants au sein du congrès, de la cour suprême. Le tout appuyé par les médias privés. Il y a déjà là une des explications du coup d’Etat.
Quel a été l’élément déclencheur du coup d’Etat ?
Zelaya a proposé la refonte totale de la démocratie hondurienne pour aller vers la mise en place d’une nouvelle constitution, il a subi l’opposition frontale de la droite de l’oligarchie hondurienne et de l’armée. Il a assumé ce bras de fer avec eux. Il y a encore quelques semaines, il disait qu’il irait au bout de la démarche. Alors que le Congrès refusait que la population soit consultée sur cette idée, une initiative populaire recueillant 400.000 signatures pour appuyer la proposition du président s’est organisée. Manuel Zelaya a donc pu ( la constitution actuelle lui permet de s’appuyer sur une loi d’initiative populaire) organiser sa consultation.
L’avant veille du 28 juin, l’armée refusait d’installer les urnes pour la consultation. Zelaya a dû ordonner la récupération d’urnes dans des casernes pour qu’elles soient enfin installées ! Il a également, le 24 juin, destitué le général Roméo Vásquez, chef d’état-major des armées et accepté la démission de son ministre de la Défense, M. Edmundo Orellana.
Dimanche 28 juin, c’est donc dans ce contexte que les Honduriens étaient donc enfin appelés à se prononcer, par la voie d’une consultation populaire sans force contraignante - une sorte de sondage grandeur nature -, sur la proposition du président de convoquer, après les élections prévues le 29 novembre 2009, une Assemblée nationale constituante. Dans le cas où cette consultation aurait recueilli une majorité de "oui", le président aurait soumis un décret à l’approbation du Congrès pour que, le 29 novembre, les Honduriens se prononcent formellement sur la convocation d’une Constituante. Ils l’auraient fait dans une "quatrième urne", les trois premières étant réservées respectivement à l’élection du président, des députés et des maires.
Contrairement à ce qu’avancent la plupart des commentateurs internationaux, il ne s’agissait pas, pour Manuel Zelaya, d’obtenir la possibilité de se représenter à la présidence lors de ces mêmes élections. Il ne l’aurait pas pu puisque ces élections se dérouleront dans le cadre de la Constitution actuelle qui ne permet pas la réélection du président sortant à la tête de l’Etat.
Est-ce que ce putsch des militaires était prévisible ?
Lorsque vous suivez l’actualité politique du Honduras, tout le monde ne parlait que de ça, le congrès menaçait de faire appel à l’armée pour destituer le président. Il n’y a pas de surprise, l’opposition faisait entendre ses menaces depuis plusieurs jours contre un président qu’elle considère comme populiste.
C’est un pays qui a déjà été dirigé par les militaires dans les années 70 et 80, quelle est leur influence au sein du pouvoir ?
L’armée hondurienne est très liée à l’armée américaine, c’est une armée très réactionnaire, le corps d’officiers est très à droite, largement formé par les américains et organiquement lié à l’oligarchie hondurienne. Par ailleurs, historiquement l’armée hondurienne est la base arrière des USA dans sa lutte contre les sandinistes au Nicaragua et les USA ont encore une base là bas.
Chavez a accusé les Américains de collusion avec les putschistes, qu’en est-il ?
Je ne dirais pas que Obama tient tout ça avec ses petites mains, d’abord parce que la position officielle des USA est est inédite. Tout d’abord assez prudente, elle s’est ensuite clarifiée dans le bon sens. Obama a clairement condamné le coup d’Etat et demande le retour de la constitutionnalité. Il a compris que les Etats-Unis ne peuvent que suivre la dynamique d’ensemble. L’administration américaine devait, à certains niveaux et du fait de la présence de ses militaires et conseillers sur place, connaître les intentions des putschistes. Mais elle n’était sans doute pas en leur faveur. Ceci dit, et c’est là qu’il faut interpréter les propos de Chavez, il est fort possible que des éléments de la CIA et du Pentagone sur place soient plus que bienveillants à l’égard des putschistes. En Amérique centrale, l’influence de John Negroponte, ancien diplomate au Honduras, et connu pour être un faucon de l’administration Bush, reste significative. Ces gens là ont fait des « enfants » si j’ose dire. Mais à Washington, l’administration semble avoir compris que les putschistes ne tiennent pas la route. Ils mesurent que c’est intenable. Par ailleurs, tous les gouvernements latino-américains ont condamné le coup d’Etat et demandé le retour à l’état de droit, même chose au niveau de l’organisation des Etats américains, à l’ONU , et au sein de l’union européenne qui a demandé le retour du président légalement élu.
Ce coup d’Etat peut-il avoir des conséquences politiques en Amérique Latine ?
L’Amérique Latine était le continent champion du monde des coups d’états. Depuis l’élection de Chavez en 1998 - et l’échec du coup d’Etat organisé contre lui en 2002 -, les gouvernements n’étaient plus renversés par l’oligarchie. C’était un acquis, il y a des gouvernements de gauche. Cela impose un autre rapport de forces notamment avec les Etats-Unis. Ce qui s’est passé là est toutefois alarmant car cela montre que les tentatives de déstabilisation continuent et que la victoire de la démocratie est toujours fragile. Mais c’est également très interessant car l’évolution de la situation ( soutien unanime des peuples, mais également des Etats démocratiques à Zelaya, isolement des putschistes, entrée en scène de l’Alba dans cette crise, etc.) indique que les choses ne se passent plus comme avant. Il faut ajouter que sur place, alors que la répression se développe et est très inquiétante, il y a des mouvements populaires, notamment paysans, qui se constituent pour demander le retour de Zelaya. Les enseignants ont appelé à une grève illimitée.
Toutes ces réalités sont malheureusement largement occultées par le traitement médiatique dominant. Il est hallucinant de voir certains médias en France, comme Le Monde ou Libération, se demander s’il s’agit réellement d’un coup d’Etat. L’indignation démocratique de ces derniers est, pour le moins, sélective...