Chroniques du mois

Le grand marché transatlantique : danger !

samedi 1er décembre 2012   |   Bernard Cassen
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Avec Le Monde diplomatique en español

Dans leur quasi totalité, les dirigeants européens se sont félicités de la victoire de Barack Obama. D’abord parce qu’ils préfèrent avoir en face d’eux un interlocuteur qu’ils ont déjà appris à connaître. Ensuite parce qu’une présidence Mitt Romney, aiguillonnée par les fanatiques du Tea Party, risquait de provoquer un retour à la guerre froide avec la Chine et la Russie. Quant à Benyamin Netanyahou, il aurait pu espérer un feu vert de la Maison Blanche pour une attaque d’Israël contre les sites nucléaires iranien, aux conséquences incalculables. En pleine crise économique et sociale, l’Europe n’avait pas besoin de ces facteurs hautement perturbateurs…

La satisfaction des gouvernements du Vieux Continent s’arrête là, car tous ont relevé que, dans sa campagne, Obama n’avait pas dit un mot de l’Europe, qu’il semble tenir pour quantité négligeable dans sa stratégie planétaire. Mais au lieu de jouer les pleureuses devant cette indifférence, ces gouvernements devraient se demander quelles en sont les raisons. Mettons-nous à la place du président américain : alors qu’il est confronté à des dossiers internationaux hautement conflictuels, notamment en Asie et au Proche-Orient, pourquoi perdre du temps en concertations stratégiques avec des « alliés » dont la docilité est par avance garantie ?

Cela ne signifie nullement que les dirigeants américains se désintéressent de la situation en Europe. Bien au contraire, ils sont très préoccupés par les politiques austéritaires qui y sont menées. Elles ont déjà fait entrer en récession plusieurs pays membres de l’Union européenne (UE) et vont inéluctablement conduire à une dépression de grande envergure. Ce ne sont évidemment pas des considérations humanitaires sur le sort de chômeurs grecs ou portugais qui animent l’administration Obama, mais simplement l’impact négatif de la chute de l’activité économique européenne sur les exportations américaines, et donc sur l’emploi aux Etats-Unis.

C’est dans ce contexte que revient à l’ordre du jour le vieux projet de zone de libre-échange entre les Etats-Unis et l’Union européenne, censée favoriser la croissance des deux côtés de l’Atlantique. Le ministre américain du commerce ectérieur (US Trade Representative), Ron Kirk, et le commissaire européen au commerce, Karel De Gucht, ont prévu d’annoncer avant la fin de l’année 2012 le début des négociations. Ce dernier a cependant besoin d’un mandat des gouvernements des 27 membres de l’UE. Le strict minimum démocratique – si ce concept a encore un sens pour la machinerie bruxelloise – exigerait que les termes de ce mandat soient débattus publiquement, en premier lieu dans les parlements. Il ne semble pas que l’on en prenne le chemin…

Or la conclusion d’un accord de libre-échange transatlantique aurait des répercussions allant bien au-delà de l’augmentation des flux commerciaux qui s’élèvent déjà quotidiennement à 2 milliards d’euros. Il entretiendrait l’illusion que la solution de la crise actuelle réside dans la prolifération du commerce international sur fond de concurrence exacerbée et de « compétitivité ». Comme si tous les pays pouvaient être des exportateurs nets ! Pour les multinationales européennes et américaines, il s’agit de démanteler les quelques barrières réglementaires qui subsistent dans l’UE en matière de normes sanitaires, fiscales, sociales, de protection des consommateurs, de confidentialité des données privées, etc. En quelque sorte d’institutionnaliser toutes les formes de dumping.

On comprend parfaitement pourquoi la US Chamber of Commerce milite pour un accord de libre-échange avec l’UE. La question que l’on peut se poser est de savoir si, en secret, les gouvernements européens ne partagent pas les mêmes objectifs…





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