Dans ce que j’appelle le monde pan-européen (Amérique du Nord, Europe de l’Ouest, du Nord et du Sud, et Australasie), le choix électoral qui s’est généralement offert à nous au cours du dernier siècle ou presque s’est joué entre deux partis centristes : centre droit contre centre-gauche. Il y a eu d’autres partis plus à gauche et plus à droite, mais ils étaient essentiellement marginaux.
Au cours de la dernière décennie, toutefois, ces partis qualifiés d’extrémistes ont gagné du terrain. Que ce soit la gauche radicale ou la droite radicale, elles ont émergé comme des forces de poids dans un grand nombre de pays. Il leur a fallu soit remplacer le parti centriste, soit en prendre la suite.
La première réussite spectaculaire de la gauche radicale a été la capacité de la gauche radicale grecque, Syriza, à remplacer le parti de centre gauche, le Pasok (Parti socialiste grec) – qui de fait a totalement disparu – et à prendre le pouvoir en Grèce. Les commentateurs parlent aujourd’hui de « pasokisation » pour décrire cet état de fait [1].
Syriza est arrivé au pouvoir mais s’est avéré incapable d’appliquer le programme qu’il avait promis de mettre en œuvre. Pour beaucoup, Syriza a donc constitué une grande déception. Les plus mécontents ont développé l’idée que l’erreur avait été de choisir la voie électorale. Selon eux, le pouvoir devait se prendre dans la rue : alors cela aurait eu un sens.
Nous avons vu, depuis, d’autres cas d’une gauche radicale émergente. En Grande-Bretagne, le dirigeant de la gauche radicale, Jeremy Corbyn, est devenu le chef du Parti travailliste en gagnant le soutien de nouveaux membres qui ont adhéré au parti pour voter lors de la primaire [2]. Aux Etats-Unis, Bernie Sanders a défié la candidate de l’Establishment, Hillary Clinton, et a recueilli un soutien d’un niveau étonnamment élevé. En France, le parti du candidat de la gauche radicale, Jean-Luc Mélenchon, a aussi réalisé un score qui a créé la surprise en obtenant plus de voix que le parti de la gauche conventionnelle, le Parti socialiste.
Aujourd’hui, dans tous ces pays, se développe un débat interne parmi les militants de la gauche radicale sur la stratégie à adopter dans le futur. Faut-il chercher à gagner le pouvoir par les urnes ou faut-il essayer de contrôler la rue ? Le dilemme est qu’aucune de ces deux voies ne marche vraiment. Lorsque la gauche radicale conquiert le pouvoir d’État, elle s’aperçoit qu’elle doit faire d’innombrables « compromis » par rapport à son programme si elle veut rester au pouvoir. Si elle ne cherche que le pouvoir de la rue, elle s’aperçoit qu’elle ne peut réaliser les changements qu’elle veut mettre en œuvre sans disposer du pouvoir d’État, et qu’elle peut être tenue en échec par l’appareil d’État qui utilise le pouvoir d’État.
Faut-il alors abandonner tout espoir de pouvoir mettre en œuvre un programme de gauche radical aujourd’hui ? Pas du tout ! Nous sommes en plein dans une époque de transition entre un système capitaliste mourant et un nouveau système qui reste encore à définir. Les efforts faits aujourd’hui par la gauche radicale influencent la manière dont se définira ce système dans le moyen terme. Le débat stratégique est essentiellement un débat sur le court terme. Ce que nous faisons à court terme affecte le moyen terme même si les changements restent minimes à court terme.
La conduite la plus judicieuse en matière de tactique à court terme, c’est probablement d’utiliser les deux options, la voie électorale et celle de la rue, même si aucune des deux n’est payante à court terme. Il faut penser au court terme comme à un tremplin pour le moyen terme. Cela marcherait si nous comprenions la distinction entre ces deux temps et étions donc encouragés plutôt que découragés par ce que nous avons réalisé à court terme. Pouvons-nous faire cela ? Oui, nous le pouvons. Mais le ferons-nous ? Nous verrons bien.
Traduction et notes : Mireille Azzoug
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Ces commentaires, bimensuels, sont des réflexions consacrées à l’analyse de la scène mondiale contemporaine vue dans une perspective de long terme et non de court terme.