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Chronique - février 2010

Les mirages du « retour à la croissance »

mardi 2 février 2010   |   Bernard Cassen
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Un peu partout dans le monde, les chiffres officiels du chômage ne rendent pas vraiment compte de sa réalité sociale, tant sont nombreux (et variables selon les pays) les moyens de maintenir les statistiques sous contrôle. Même en s’en tenant aux données rendues publiques, la situation est extrêmement préoccupante aux Etats-Unis et en Europe où le nombre de sans emploi ne cesse d’augmenter. En 2009, 4,6 millions de postes de travail ont été détruits outre-Atlantique où les chômeurs représentent 10 % de la population active. Exactement le même pourcentage que dans la zone euro où cette moyenne cache cependant des différences importantes entre pays : 19,4 % en Espagne, 10 % en France, 8,3 % en Italie, etc.

Pour sortir de la crise, les gouvernements ne cessent d’invoquer le « retour à la croissance ». Ils se cramponnent à cet indicateur, comme à une bouée de sauvetage, pour dissimuler celui du niveau de l’emploi, pourtant bien plus important pour la cohésion des sociétés. En fait, ils se trouvent devant trois impasses dont ils ne savent pas comment se sortir.

La première est la conséquence de la fin des plans de relance, programmée à court ou moyen terme. Maintenant que, grâce à l’argent des contribuables, le système financier semble sauvé, et que les banquiers se distribuent à nouveau massivement des bonus, il va falloir décider de la poursuite ou non des injections de capitaux publics dans l’économie. Au sein de l’Union européenne (UE), les gouvernements sont mis sous pression par la Commission de Bruxelles et la Banque centrale européenne pour revenir rapidement aux critères de Maastricht (3 % maximum de déficits publics). Si cette voie est suivie, elle aura pour effet mécanique de provoquer une nouvelle chute de l’emploi, tout particulièrement dans des secteurs (comme l’automobile) actuellement maintenus sous perfusion par des subventions directes ou indirectes.

C’est dans la facture à payer pour rééquilibrer les comptes publics que réside la deuxième impasse. Pour la partie « recettes », il faut s’attendre à une hausse des impôts - dont l’expérience montre qu’elle épargnera les privilégiés -, donc à une baisse de la consommation populaire empêchant la création d’emplois. Pour la partie « dépenses », les coupes claires annoncées dans les budgets sociaux et la compression du nombre de fonctionnaires conduiront au même résultat. Les fondements du système capitaliste auront peut-être été sauvés, mais au prix de l’appauvrissement de la majorité des citoyens.

Troisième impasse en forme de contradiction : les gouvernements raisonnent en termes de « croissance » à l’ancienne, alors que, par ailleurs, ils prennent des engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre (20 % à l’horizon 2020 pour l’UE) qui devraient entraîner de profondes mutations de l’appareil productif. Il est beaucoup question, dans le discours politique, de « croissance verte », sans que l’on sache ce que cela signifie concrètement. A supposer que cette expression ait un sens, la transition d’un mode de production à un autre sera douloureuse. De plus, en extrapolant les tendances actuelles, on peut parfaitement envisager une croissance de la production sans croissance de l’emploi.

Les gouvernements et les classes dirigeantes parient sur un retour rapide au « business as usual » en s’efforçant d’endiguer les conséquences de l’oppression sociale engendrée par un système en faillite. L’idée qu’il faut remettre en question les bases mêmes de ce système ne les effleure pas. Quel prix faudra-t-il payer pour qu’advienne cette déchirante prise de conscience ?





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