Fragment. Comment Marielle Franco est utilisée par le système médiatique et politique pour justifier la politique sécuritaire et meurtrière du gouvernement ?
Qui se promène dans le quartier de Gavea à Rio doit s’arrêter manger chez « Lorena. Confiserie et restaurant ». Situé sur une petite place où stationnent taxis, marchands ambulants et, en permanence, une voiture de police de la ville de Rio, ce bar-restaurant-épicerie est un lieu populaire. Il accueille à longueur de journée ce peuple des taxis, des petits commerçants, des fonctionnaires de police, des ouvriers qui travaillent dans le quartier, des femmes de ménage qui nettoient les appartements des familles de la classe moyenne (pour beaucoup elles vivent dans la favela de Rocinha), des jeunes qui vont travailler sur les plages de Rio, des retraités qui trouvent ici un espace de socialisation convivial, etc.
Dimanche 18 mars, quatre jours après l’exécution de Marielle Franco et l’organisation de nombreuses mobilisations en son hommage (50 000 personnes à Rio, 30 000 à Sao Paulo ce même 18 mars), démarre sur Globo tv (principal média engagé dans la campagne contre la gauche et Lula) à 20h30 l’un des programmes les plus connus de la chaîne : « Fantastique : le show de la vie ». Mélange de journalisme sensationnel et de divertissement.
Tout le monde regarde chez « Lorena ». Émission spéciale. Monica, la compagne de Marielle, et toute la famille de la défunte icône ont accepté de parler, de raconter Marielle.
Étrange sensation du téléspectateur. Pourquoi la famille d’une militante politique accepte-t-elle d’entrer dans ce jeu médiatique ?
Présentation de la maison de Marielle, souvenirs intimes, bientôt les larmes coulent sans s’arrêter sur le visage de Monica. « Nous comprenons votre douleur » lâche la journaliste vedette. « Parlez nous encore ».
Et Monica s’effondre, elle pleure, elle parle. C’est ensuite le tour de la fille de Marielle, de ses parents.
Une certaine Marielle domine désormais le spectre médiatique national et international. Globo en est l’une des principales matrices. L’opinion se fabrique sous nos yeux chez « Lorena ».
Globo célèbre un individu qui s’est affirmé face à certains conservatismes de la société. Elle est femme, métisse, a quitté un mari pour une femme. Elle a toujours aimé sa communauté et donné de sa personne pour aider les autres.
Tout ceci est si vrai. Mais cette identité est sélective, elle n’est que le reflet partiel d’une militante dont la radicalité des positions est gommée. De sa critique des structures sociales et économiques qui produisent les conditions des rapports sociaux qu’elle combattait, de son engagement résolu contre l’intervention militaire dans les quartiers il ne reste rien. Quatre jours après sa disparition.
Le système peut accepter une partie des demandes d’émancipation individuelle dans la société si elles ne remettent pas structurellement en cause la hiérarchie économique et sociale. C’est le nouvel ordre intérieur qui explique pourquoi montée des revendications des libertés individuelles peut coïncider avec néoconservatisme économique et social, autoritarisme étatique. Donner là, désintégrer et réprimer ici.
Ce point est capital à analyser pour la gauche et les mouvements sociaux.
Pire dans le cas brésilien. Au lendemain des hommages à Marielle et de l’émission de Globo tv, O Globo, journal papier du mastodonte médiatique, titre : « Le gouvernement va dégager des crédits supplémentaires pour la sécurité » (voir photo).
Et d’annoncer que la police militaire remplacera la police de proximité (mise en place sous Lula) dans la favela de Rocinha .
L’icône Marielle reformatée est désormais utilisée pour la mise en place de politiques qu’elle combattait et pour lesquelles elle a été assassinée. Son image est désormais sa version acidulée. Marielle est morte ? Plus d’intervention militaire.
A la question : « Pourquoi des militants politiques qui combattent ce gouvernement et son allié Globo contribuent à cette manœuvre ? », aucune réponse.
Pendant ce temps, les jours s’égrènent – dans le silence médiatique – avant le possible emprisonnement de l’ancien président Lula qui signifierait l’élimination d’un projet plus favorable aux majorités populaires à l’élection présidentielle d’octobre 2018.