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Mexique, l’heure du changement ?

vendredi 29 juin 2018   |   Obey Ament
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L’élection présidentielle que le Mexique va vivre ce 1er juillet 2018, sera probablement qualifiée d’historique. Obey Ament, spécialiste de l’Amérique latine, explique la situation.

Mémoire des luttes publie avec l’aimable autorisation du blog de Jacques Fath cet article de Obey Ament consacré aux enjeux de l’élection présidentielle mexicaine.

 

Pour la première fois, un candidat issu de la gauche, Andrés Manuel Lopez Obrador, dit AMLO, semble pouvoir emporter l’élection grâce à une mobilisation de l’électorat sans précédent. L’écart donné entre AMLO et le candidat qui le suit est tel qu’une tentative de fraude électorale semble désormais difficile. En 1988 , la manipulation des résultats électoraux par le pouvoir en place a empêché une victoire du candidat de la gauche, Cuauhtemoc Cardenas, et a permis l’accès à la présidence de Carlos Salinas de Gortari, candidat du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI – droite libérale).

Les élections de l’an 2000 ont donné la victoire à Vicente Fox, candidat du PAN (droite conservatrice), mettant fin à 76 années de gouvernements du PRI, éveillant l’espoir d’un changement de régime. Le PAN a gouverné pendant 12 ans dans la continuité du néolibéralisme inauguré par ses prédécesseurs pour, finalement, laisser la place au PRI revenu au pouvoir en 2012.

Andrés Manuel Lopez Obrador est candidat pour la troisième fois à cette élection. En 2006 il a perdu dans des conditions discutables face au candidat du PAN, Felipe Calderon. En 2012, il perdit encore face au candidat du PRI Enrique Peña Nieto, dans un scrutin encore manipulé et une élection marquée par une campagne de discrédit à son égard. Les médias jouèrent un rôle majeur.

Une société poussée à bout qui veut un changement réel

Cette élection de 2018 sera historique en raison du degré très élevé de rejet du régime dans une société poussée à bout et fatiguée de la corruption et de l’impunité intrinsèques au système en place. Et en raison aussi d’un désaveu des partis qui gouvernent en alternance sans apporter de solutions ni à la pauvreté et aux inégalités, ni à l’insécurité. Le crime organisé devenu tout puissant s’infiltre dans la vie politique, menaçant la possibilité d’une démocratie réelle. Si les sondages ne se trompent pas, AMLO pourrait atteindre jusqu’à 50 % des suffrages exprimés, soit entre 20 et 26 millions de voix, score jamais atteint par les présidents élus depuis 1988. Ce qui montrerait une très forte mobilisation en faveur d’un changement. Le système électoral mexicain à un tour qui donne la victoire au candidat arrivé en première place même sans avoir atteint les 50 % a permis l’accession à la présidence du pays d’ élus minoritaires qui ont du gouverner grâce à des compromissions et arrangements. Pour la première fois, une majorité pourrait se constituer avec des élus issus de la coalition soutenant la candidature d’AMLO.

En 2012, après l’élection du candidat du PRI, Enrique Peña Nieto, les deux partis de l’alternance PRI et PAN rejoints par le Parti de la révolution démocratique (PRD) – crée autour de Cuauhtemoc Cardenas et rassemblant l’ensemble de la gauche depuis 1989 – ont signé un « Pacte pour le Mexique » ouvrant la voie à des nouvelles contre – réformes : ouverture de la compagnie pétrolière PEMEX aux capitaux privés, privatisation de la compagnie d’électricité, mise en concurrence du secteur des télécommunications, réforme néolibérale de l’éducation inspiré les organismes internationaux, nouvelle loi du travail poussant plus loin la flexibilisation, réforme de la fiscalité (vécue comme une injustice par les classes moyennes), et fin des subventions au prix de l’essence signifiant des hausses importantes.

La recherche sans frein de la compétitivité exigée par son mode d’insertion dans la mondialisation et par les politiques néolibérales mises en place depuis 40 ans, ont fait du Mexique l’un des pays imposant les salaires les plus bas de l’Amérique latine. Le salaire moyen [1] est inférieur à celui de la Chine ou d’autres pays asiatiques. Les gains en productivité ne se reflètent pas dans les revenus des travailleurs : alors que la productivité a progressé de 4 % ces derniers années les salaires ont perdu 7,5 %. En 10 ans, les salaires dans l’industrie manufacturière ont perdu 18 % [2].

L’image d’un pays à succès colporté par certains médias européens ignore le triste sort d’un bonne moitié des Mexicains. 53 millions de personnes (43,6 % de la population) vivent dans la pauvreté selon le Conseil national d’évaluation des politiques de développement social et 9,4 millions vivent dans la pauvreté extrême (7,6 %). Le secteur délabré de la santé souffre des politiques d’austérité et de la corruption. 2,7 % du PIB du pays sont destinés à un système de santé à plusieurs vitesses. Les familles mexicaines payent de leur poche 44,5 % des dépenses en santé [3] et 20 millions de personnes de la population n’a aucun accès aux soins.

Les effets des politiques néolibérales ne sont pas les seules raisons du mécontentement des Mexicains. Il y a aussi le niveau atteint par la corruption et l’impunité qui l’accompagne. Le président Enrique Peña Nieto a été éclaboussé avec l’un de de ses principaux ministres par l’acquisition douteuse d’une luxueuse résidence construite par l’une des compagnies de construction ayant obtenu un juteux marché public. Le licenciement des journalistes qui ont dévoilé l’affaire sous la pression du gouvernement a été très mal reçu dans l’opinion publique. Cette affaire n’a été que le premier d’une série de scandales. Depuis 2012, 15 gouverneurs ont été arrêtés pour corruption. Celui de Veracruz, par exemple, s’était approprié de 1,8 milliard de dollars en ponctionnant le budget de l’État alors que dans les hôpitaux publics des enfants atteints par le cancer recevaient des injections diluées dans de l‘eau distillé au lieu des traitements indiqués. Entre 2013 et 2014 des ministères, des banques des entreprises, la compagnie nationale pétrolière et des universités publiques ont participé au détournement de plus de 300 millions d’euros.

La disparition des 43 étudiants d’Ayotzinapa, ainsi que d’autres massacres d’innocents commis par les forces de l’ordre et l’armée ont marqué l’ensemble de la société mexicaine qui vit déjà depuis des longues années dans un climat de violences sans fin issues des pratiques du crime organisé.

Reconfiguration politique

La participation du PRD au « Pacte pour le Mexique » a été le coup de grâce infligé à l’unité de ce parti. La grande majorité de ses militants constitue aujourd’hui la base militante et électorale du Mouvement de régénération nationale (MORENA) crée par Andrés Manuel Lopez Obrador en 2012. Lui même étant l’un des anciens présidents du PRD entre 1996 et 1999. En 2000 il fut élu Chef du gouvernement de la ville de Mexico sous la bannière du PRD. Cuauhtemoc Cardenas, lui même, avait annoncé son départ du PRD dénonçant « myopie, opportunisme et auto-satisfaction »… mais il n’a pas rejoint MORENA.

Depuis 2006 AMLO est en campagne et parcourt le Mexique nouant des liens avec la population. Il a répété inlassablement le thème principal de sa campagne : mettre fin au régime de « la mafia du pouvoir » et s’attaquer à la corruption. Il a réussi à se défaire de l’image qu’on lui avait collée, celle d’un homme radical enclin à l’usage de la violence. Il est aujourd’hui perçu comme celui qui peut changer réellement ce qui doit être changé. Les enquêtes montrent une progression de la candidature d’AMLO sur tout le territoire alors qu’en 2012 il ne bénéficiait que d’une présence plutôt inégale selon les régions. Dans la région du Nord où traditionnellement PAN et PRI ont une forte implantation, AMLO passe de 12 % des préférences à 39 %. Dans la région du centre-ouest il passe de 25 % à 36 %. Dans le centre et dans le sud, régions traditionnellement plus favorables à la gauche, AMLO passe respectivement de 39 % à 54 %, et de 39 % à 54 %.

Pour cette campagne, AMLO a fait un choix stratégique qui rappelle, au Brésil, celui qui avait permis à Luis Inacio Lula da Silva de gagner en 2002. Lula avait associé à sa campagne l’entrepreneur José Alençar qui fut son vice-président. Il forma une majorité avec un large éventail de partis allant de la droite pure à la gauche représentée par le Parti des travailleurs et le Parti communiste du Brésil. Avant sa première élection, afin de rassurer le secteur financier, Lula da Silva avait aussi accepté de négocier certaines conditions avec le FMI qu’il avait combattu des années durant.

Après avoir été deux fois le candidat du PRD, AMLO est aujourd’hui le candidat de la coalition « Ensemble nous ferons histoire ». Cette coalition rassemble MORENA, le Parti du travail (ex-maoïstes), le Parti rencontre social (conservateur évangélistes) . Mais la plate-forme qui soutient la candidature d’AMLO est bien plus large et compte des progressistes d’horizons très divers, venus du monde la culture, des intellectuels, ou bien des politiques, des personnalités de centre-droit et des hommes d’affaires…

AMLO annonce son ambition d’unir tous ceux qui veulent en finir avec le régime actuel. Il a composé une équipe qui veut refléter cette diversité. Il a mis à la tête de sa campagne deux personnalités bien connues, mais pas vraiment marquées à gauche. Tatiana Clouthier, fille de Manuel Clouthier, dirigeant charismatique et candidat aux présidentielles pour le PAN en 1988. Elle est l’une des principales porte-parole d’AMLO et coordonnatrice de sa campagne. Son discours clair et pondéré est audible pour une bonne partie des classes moyennes et il apporte une certaine modération à l’image du candidat de MORENA. Alfonso Romo Garza est chargé de la stratégie et des liens avec les entrepreneurs et les autorités de l’État. C’est un très riche homme d’affaires qui a investi dans des domaines très divers. Il a fondé Seminis, l’une des compagnies productrices de semences les plus importantes au niveau mondial. Il a des intérêts dans les biotechnologies, et des participations dans diverses grandes compagnies.

Une nouvelle alliance et un programme ambitieux

AMLO, qui compte avec un soutien populaire fort, a aussi élargi ses appuis en associant à son équipe d’autres représentants du monde économique ou des très proches des grands hommes d’affaires. Par exemple Carlos Salinas Pliego, propriétaire de Télévision Azteca, et Esteban Moctezuma qui dirigeait la Fondation Azteca, Marcos Fastlicht, beau-père du propriétaire du groupe Televisa, et Miguel Torruco, apparenté par alliance à Carlos Slim, l’homme le plus riche du Mexique.

Le rapprochement avec ces membres éminents de l’élite économique du pays n’a pas épargné à AMLO des attaques frontales ou indirectes des organisations patronales qui ont parié sur la victoire du candidat du PRI José Antonio Meade, et qui se sont tournés vers la candidature de Ricardo Anaya lorsqu’ils se sont aperçus de l’incapacité du candidat officiel à faire oublier le discrédit du parti au gouvernement. Le patronat a payé des campagnes médiatiques contre le candidat de MORENA, et des patrons ont fait pression sur leurs salariés pour qu’ils votent contre la supposée menace « populiste ». Le président de la banque espagnole, Francisco Gonzalez, s’est rendu à Mexico pour se mêler de la campagne électorale et défendre les réformes sur l’énergie et l’éducation du gouvernement d’Enrique Peña Nieto, après avoir mis en garde les Mexicains contre « un retour en arrière » qui signifierait l’élection d’un président « populiste ». La filiale mexicaine de BBVA (Banco Bilbao Vizcaya Argentina) représente 23 % du marché bancaire du pays et apporte 40 % des bénéfices globaux de cette banque [4].

Ces attaques n’ont pas eu d’effet dans les intentions de vote des Mexicains qui voient dans le patronat un partie de la « mafia du pouvoir » qui a su s’enrichir à l’ombre de ce pouvoir. Pour désamorcer cette campagne et afin de rassurer les milieux financiers et patronaux, Alfonso Romo Garza a fait usage de ses bons offices pour permettre une rencontre entre AMLO et le Conseil mexicain d’affaires (CMN). Celui-ci rassemble le beau monde des représentants des grands capitaux. Il a été question de la réforme éducative mise en place par le gouvernement de Peña Nieto et que AMLO veut abroger, de la réforme énergétique et de la construction du nouvel aéroport de la Ville de Mexico qu’ AMLO a sévèrement questionné. Il pourrait ne pas revenir sur la réforme énergétique [5] qui ouvre le pétrole mexicain aux capitaux privés, mais il donnerait un coup d’arrêt à la privatisation rampante, et les contrats déjà signés ou annoncés seraient revus ainsi que l’attribution des marchés publics pour l’aéroport international. AMLO accuse le pouvoir d’avoir cédé ces marchés de manière illégale et en favorisant des proches du gouvernement.

La corruption, l’insécurité, l’éducation et le pétrole furent des thèmes présents pendant toute la campagne électorale. Ils représentent de grands enjeux. Les propositions avancées dans le « Projet de Nation 2018-2024 » présentées le 20 novembre 2017 sont d’une grande ambition. Tellement grande qu’on peut se demander si un mandat de 6 ans suffira pour le réaliser (au Mexique il n’y a pas de réélection).

La question du financement de ce projet se pose aussi. Jusqu’ici AMLO a toujours affirmé qu’il ne créera de nouveaux impôts. Il affirme pouvoir récupérer de l’argent en mettant fin aux pratiques de corruption, qu’il évalue à 10 % du budget, c’est à dire, entre 300 et 500 milliards de pesos, (12,5 à 20 milliards d’euros). Il compte aussi sur « l’austérité républicaine » qui va devrait faire baisser significativement les salaires des hauts fonctionnaires et les dépenses inutiles. Ces mesures, ajoutées à une gestion saine des ressources disponibles devraient suffire.

L’État devra assumer son rôle de promoteur du développement en complément de l’initiative privée et du secteur public. Des mesures devront être prises contre l’évasion de capitaux et contre la fraude fiscale. Le secret bancaire sera éliminé et des organismes autonomes seront créés. Des grands projets d’infrastructure seront réalisés, routes, ponts, ports, écoles, hôpitaux…

Le projet d’AMLO ne rejette pas l’Accord de libre échange d’Amérique du nord (ALENA) en cours de renégociation. Mais il affirme que la relation avec les États-Unis ne peut pas se limiter à l’immigration, au libre échange et à la sécurité. Une bonne relation doit comprendre la coopération sur l’environnement, le changement climatique, les sciences et la technologie. L’agriculture et le développent rural, qui ont été gravement affectés par le traité de libre échange, doivent être une priorité. L’objectif de la lutte contre la pauvreté et les inégalités sont inséparables de cette priorité. Il est proposé une meilleure intégration entre les trois pays membres (États-Unis, Canada et Mexique) pour incorporer plus d’investissements régionaux dans les productions. A la différence des propositions de Donald Trump qui exige plus d’investissements étasuniens. En même temps le Mexique devra diversifier ses relations commerciales et renforcer celles avec l’Europe et avec l’Asie, notamment avec la Chine, principal concurrent du Mexique dans la région, pour une coopération dans des domaines tels que les énergies nouvelles, le train de grande vitesse et le commerce électronique.

Le projet d’AMLO propose aussi que le Mexique se tourne vers l’Amérique centrale dans une stratégie de long terme, avec la création d’un corridor avec d’infrastructures, avec des projets énergétiques, de tourisme et culturels.

Le projet porté par la candidature d’AMLO revendique une politique extérieure reprenant les orientations qui avaient donné au Mexique sa spécificité, et qui lui avait valut une reconnaissance internationale. Un gouvernement présidé par AMLO devrait faire de l’autodétermination des peuples et de la non-ingérence dans les affaires des autres, des principes de base. Cette position ne signifie pas indifférence mais priorité aux solutions pacifiques et négociés. Le Mexique ne cherche pas à avoir une position « réactive » mais « prospective ». Il ne doit pas chercher à réagir en donnant des leçons, mais en fonction des enjeux qui se profilent sur la base de ses intérêts nationaux et dans le respect du droit international. La politique extérieure du Mexique, sa force et poids pourront croître si le pays sait répondre à ses principaux défis interne. Hector Vasconcelos, pressenti pour être le Ministre des Relations extérieures de Lopez Obrador, affirme : « Nous voulons mettre de l’ordre la maison ». Pour lui, « c’est hypocrite et grotesque » avoir la prétention de défendre les droits de l’homme dans d’autres pays alors qu’on est même pas capable de les défendre chez soi. Il en défend les principes. Bien qu’inscrits dans la constitution, ceux-ci sont « oubliés » par les gouvernements du PRI et du PAN dans une attitude de soumission envers Washington. Hector Vasconcelos, critique ainsi l’attitude interventionniste du gouvernement d’Enrique Peña Nieto sur le Venezuela. Il voit là une situation « extrêmement difficile et déplorable », mais il y a une différence entre la dénonciation des violations des droits de l’homme et l’intervention dans les conflits internes de ce pays [6].

L’insécurité et le crime organisé

Le thème de l’insécurité et de la lutte contre le crime organisé est central dans l’actualité mexicaine. C’est l’une des premières préoccupations de la population. L’annonce fait par AMLO de la possibilité d’une amnistie pour les membres du crime organisé a été saisi comme un argument par les candidats du PRI et du PAN pour bien montrer le caractère irréaliste de la candidature d’AMLO. Cette proposition a dû être expliquée à plusieurs reprises par Tatiana Clouthier et par Alfonso Durazo, chargé des questions de sécurité de la coalition « Ensemble nous ferons histoire ». Ce dernier a affirmé qu’il s’agit d’une démarche légale qui prendrait en compte les droits des victimes. Le Congrès serait chargé d’élaborer une loi qui devra aussi respecter les traités internationaux signés par le Mexique qui excluent les violations graves aux droits de l’homme, l’extorsion, l’enlèvement et d’autres actes violents [7]. Cette loi serait soumise à une consultation citoyenne. Tatiana Clouthier a insisté sur le fait qu’une amnistie ne signifierait le « pardon pour les criminels », mais serait conçue pour aider des groupes vulnérables, des jeunes, des paysans et des migrants à sortir du milieu criminel [8].

Alfonso Durazo a rappelé lors d’une conférence la méfiance qui existe dans la population à l’égard des forces de l’ordre alors que 99 % des délits commis actuellement au Mexique restent dans l’impunité. « Le crime organisé, a-t-il affirmé, avance la main dans la main avec les autorités. Il n’y a pas de corruption dans la police sans corruption politique » [9].

Parmi les propositions les moins connues de ce « Projet de Nation » mais certainement des plus importantes sont celles qui prévoient de s’attaquer à l’évasion et à la fraude fiscale, au blanchissement de l’argent sale avec des contrôles du système bancaire, la lutte contre les paradis fiscaux et l’élimination du secret bancaire.

Lopez Obrador et l’espoir lucide d’un peuple

La lecture de ce « projet de nation » permet de mieux comprendre les craintes patronales de voir s’installer un gouvernement assimilé à ceux des années du « développementalisme » populiste pratiqué par le PRI, ayant précédé les crises de la dette du début des années 80. Le patronat ne veut pas d’un retour de l’État directeur et régulateur. Mais surtout, il ne veut pas la fin de sa relation de complicité avec le pouvoir.

Tout semble indiquer aujourd’hui que « la mafia du pouvoir », malgré tous ses efforts, sera balayé par le suffrage d’une majorité des Mexicains. La poussée en faveur du changement est forte et c’est Andrés Manuel Lopez Obrador qui apparaît comme le seul capable de représenter cette exigence. Mais on peut aussi dire que le vote de cette majorité sera lucide. AMLO est bien celui à qui on va donner sa confiance mais ce sera bien une confiance lucide. Une enquête réalisée en mai dernier montre que 58 % des personnes interrogées considèrent que le pays doit changer complètement de politique économique et de sécurité. 34 % ne voient pas de candidat qui soit plus honnête que les autres, mais 32 % voient en AMLO le candidat le plus honnête [10]. Et 34 % le considèrent comme celui qui peut apporter « un changement total » dans la façon de gouverner le pays. Cette même enquête donne à AMLO 44,5 % des « préférences effectives » parmi les enquêtes.

Pour l’écrivain Hector Aguilar Camin, très critique à l’égard d’AMLO voir opposé à lui, le Mexique vit une véritable « révolte morale ». Il écrit dans le mensuel « Nexos » [11] : « Là où tout le monde dit ne plus croire en rien, il y a un énorme désir de croire en quelque chose qui soit une rupture ». Aguilar Camin fait partie de ceux qui voient en AMLO un retour aux temps des gouvernements autoritaires du PRI et qui assimilent, non sans arrières pensées, le candidat de MORENA au populisme « nationaliste, globalophobique, anti-système, antilibéral ». L’argument est facile. Il est destiné à contribuer à la campagne de peur lancée par la droite et par le gouvernement. Mais comme un aveu, cet intellectuel proche du pouvoir reconnaît ce qui est une évidence pour les Mexicains : « le changement au Mexique est la réponse aux pauvres résultats de sa démocratie, de son économie et de l’irritation publique contre une classe politique dont la corruption va de paire avec l’insensibilité face aux ravages qu’elle sème ».

Si AMLO sort victorieux de l’élection du 1er juillet, ce sera, pour le Mexique, une très forte secousse, un véritable tremblement de terre. Le pays devra faire face à de grands défis, ceux laissés par des décennies de néolibéralisme avec ses injustices et ses inégalités criantes, celui du crime organisé devenu puissant grâce à l’accumulation de richesses énormes et sa présence à tous les niveaux du fonctionnement économique, politique, institutionnel de la société. Démonter le système de corruption profondément ancré après depuis de décennies ne pourra pas se faire du jour au lendemain et la récupération de milliards qu’elle représente ne se fera pas aisément.

L’après 1er juillet s’annonce avec des changements dans la configuration politique que le Mexique connaît depuis un quart de siècle. Le PRI, qui a dominé la vie politique du pays depuis presque un siècle, devrait sortir très affaibli de cette élection. En présentant un candidat qui n’est pas membre de ce parti et qui a participé aux gouvernements du PAN et du PRI, ses dirigeants ont cru pouvoir échapper à la colère des Mexicains. Le PRI risque cependant de se retrouver avec une présence très réduite à la Chambre de députés et au Sénat, et perdra sans doute les gouvernements des États qu’il dirige.

Le PAN arrive divisé à cette élection après que Ricardo Anaya a imposé sa candidature poussant Margarita Zavala, épouse de l’ex-président Felipe Calderon vers la sortie. Margarita Zavala, dans un premier temps, s’est présentée comme candidate indépendante, mais elle a du retirer sa candidature au vu sondages qui lui donnaient moins de 4 %. En cas de déroute, et c’est le scénario le plus probable, Ricardo Anaya devra rendre comptes à son parti et on peut s’attendre à une guerre interne dans la droite conservatrice.

Le PRD ne sortira pas non plus indemne de cette élection. En choisissant une alliance avec la droite il est allé au terme d’un débat qui date de son congrès de Zacatecas en l’an 2000, et qui a vu s’affronter son aile anti-néolibérale et ceux qui donnaient la priorité à une alliance avec le PAN au nom du combat contre le PRI. Dix-huit ans plus tard le parti semble avoir perdu son âme et risque de perdre un grand nombre de parlementaires. Déjà, avant même l’élection du 1er juillet certains demandent une révision de la stratégie. Très probablement, la coalition avec le PAN ne durera pas long temps. Et il est fort possible qu’au moins une partie de ses élus rejoignent AMLO dans une nouvelle majorité.

MORENA deviendra-t-il un mouvement d’action politique ou va-t- il rester un mouvement électoral ? Va-t-il être un élément de mobilisation et de politisation ou va-t-il se replier dans une attitude de délégation de pouvoir laissant au gouvernement le soin de gérer et négocier avec la nouvelle opposition ? Jusqu’où ira un gouvernement présidé par AMLO ? Fera-t- il la politique en faveur des majorités pour laquelle il se bat depuis trente ans ? la présence de ses nouveaux alliés dans un prochain gouvernement va-t-elle signifier une inflexion de cette ligne ?

Les changements promis ne pourront pas se faire sans la mobilisation de tous ceux qui exigent aujourd’hui un changement fort. Cette mobilisation sera d’autant plus nécessaire qu’il est certain que la droite va à passer à la contre-offensive mobilisant les secteurs les plus conservateurs de la société comme elle a su le faire dans le passé contre les politiques progressistes du gouvernement de Lazaro Cardenas (1934-1940)

Une victoire de Andrés Manuel Lopez Obrador ferait de l’année 2018 une année charnière. S’il arrive à imposer les changements nécessaires, le Mexique pourrait commencer à devenir un pays capable de se libérer des pires fléaux qui l’accablent depuis trop longtemps. Mais rien ne se fera sans de très durs affrontements.

 




[1Le salaire minimum est de 88 pesos par jour, approximativement 3,65 euros/jour

[2Étude de l’Université Iberoamericana de Mexico cité par El Pais du 12 juin 2018 (édition Amériques)

[3Aseguradoras apenas cubren 3,5 % del gasto en salud en México : AMIS. El Economista 25 avril 2018

[7 El Pais, 25 avril 2018

[8 Vanguardia, 24 abril 2018

[11« A las puertas de AMLO », Hector Aguilar Camin, Nexos juin 2018



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