Lundi 10 février, dans l’enceinte du gymnase Nilson Nelson de Brasilia, se sont ouverts les travaux du sixième congrès national du Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST). Il est prévu pour durer jusqu’au 14 février et rassemble 16 000 délégué(e)s issu(e)s de vingt-trois États du Brésil.
Deux cent cinquante délégué(e)s internationaux, représentant mouvements sociaux, syndicats paysans et ouvriers, associations et partis de vingt-sept pays ont également fait le déplacement (Amérique latine et Caraïbe, Amérique du Nord, Europe, Afrique, Moyen-Orient).
Le MST, aujourd’hui, c’est plus d’un million de personnes organisées dans mille villes du pays. Quatre cent mille familles font vivre les assentamentos (les terres conquises dont les titres de propriété ont été légalisés par l’Etat) qui constituent les unités de production agro-écologique du Mouvement. Cent mille autres occupent des terres pour en revendiquer la propriété collective dans les acampamentos, et sont confrontés à la répression des milices des propriétaires fonciers, des forces de l’ordre locales et des tribunaux brésiliens. Sans parler des campagnes de criminalisation menées par les médias dominants.
Ce Congrès vient célébrer le trentième anniversaire du Mouvement et clore un cycle de débats internes ouvert il y a deux ans sur les orientations stratégiques. Il fixe également la feuille de route de ses actions pour la période à venir. Celle-ci pourrait se résumer dans le mot d’ordre du Congrès : « Lutter, construire une réforme agraire populaire ». Le MST, en effet, considère que la situation de l’agriculture paysanne ne s’est pas améliorée ces dernières années, alors même que le gouvernement a favorisé le développement débridé de l’agro-industrie et de ses acteurs issus du capital financier international : Monsanto, BASF, Cargill, Nestlé, Bayer, etc.
Pour Joao Pedro Stedile, porte-parole du Mouvement, « le mandat de Dilma Rousseff n’a apporté aucun changement ». Selon lui, « les intérêts de l’agro-industrie dominent au sein du gouvernement et représentent, en réalité, l’offensive du capital financier en Amérique latine ». Comme il l’a rappelé lors de sa première intervention, la question agricole ne concerne pas seulement les agriculteurs. Elle constitue un des nœuds de la confrontation de la société au capitalisme : « Le capital impose l’agro-industrie comme forme de sa reproduction ». La captation et la concentration de la terre sur le sous-continent, pour la convertir en industrie de monoculture exportatrice, visent « à relancer l’accumulation du capital à l’échelle internationale pour les multinationales et les marchés financiers ». De ce point de vue, la question de la réforme agraire et de la démocratisation de la terre est la clé du combat contre le modèle de production, de consommation et d’accumulation du système capitaliste.
Le MST souhaite également actualiser ses formes d’organisation et d’intervention dans l’espace public. La première table ronde du congrès, intitulée « Un bilan critique », a identifié plusieurs défis qui feront l’objet de discussions approfondies tout au long des journées à venir. Parmi ces défis, Edgard Koling, membre de la direction nationale du Mouvement, pointe la nécessité, pour le MST, d’approfondir sa connaissance et son analyse de la complexité des interactions du modèle agro-industriel brésilien avec le capital financier international. Il s’agit également, pour les Sans terre, de penser leur articulation avec les nouveaux mouvements sociaux issus des mobilisations de 2013, de maintenir leur unité et leur autonomie politiques, notamment dans la période électorale qui s’ouvre. Et Edgard Koling de terminer, avec humour, sur ce message à méditer : « Un mouvement révolutionnaire ne doit pas oublier que, pour gagner dans la durée, il faut moins de Facebook et plus de travail de base auprès des populations ».