Finalement, Barack Obama a fini par se racheter. Avec un bilan de politique étrangère peu reluisant, il est enfin parvenu à un rapprochement positif avec Cuba, qui aurait dû être entrepris dans les premiers mois de son mandat. C’est un pas en avant capital et bienvenu. Peut-être le nouveau pape argentin, en Jésuite habile et d’une grande finesse qu’il est, l’a-t-il persuadé que l’Amérique latine voulait être l’amie à la fois de Cuba et des États-Unis et que la politique de l’autruche menée par les États-Unis depuis un demi-siècle ne rapportait pas de dividendes.
Peut-être que l’arithmétique de la politique intérieure américaine lui a fait comprendre que le temps était venu de changer d’orientation. Les petits-enfants des exilés cubains de la première génération qui vivent en Floride et ailleurs n’ont montré aucune envie de poursuivre les vieilles querelles de famille. Quelles qu’en soient les raisons, l’établissement de relations diplomatiques entre Washington et La Havane marque la fin de la guerre froide avec l’Amérique latine qui plane sur le continent depuis bien trop longtemps.
Une guerre froide, sans doute, mais pour les Cubains leur guerre avec les États-Unis a souvent frôlé la guerre ouverte. Les États-Unis ont essayé de renverser le gouvernement Castro dès le début en songeant même à enrôler l’un des généraux de Batista [1] pour étouffer la jeune révolution. Une invasion désastreuse soutenue par la CIA en 1961 à la Baie des Cochons [2] a été, très peu de temps après, suivie par la crise des missiles [3] de 1962. Suivant la logique de dissuasion nucléaire, populaire à l’époque, Nikita Khrouchtchev a, à tort, déployé des missiles nucléaires sur l’île, entraînant une confrontation alarmante avec les États-Unis, qui [heureusement] s’est très rapidement soldée par une marche arrière des deux camps. Les Américains ont fait la promesse tacite de ne pas envahir de nouveau l’île, mais ils ont entretenu une stratégie constante de sabotage politique au fil des ans. Même l’infortuné Alan Gross, le soi-disant “travailleur humanitaire” américain, qui a été cette semaine libéré après cinq années passées dans les prisons cubaines, avait été engagé pour distribuer des téléphones portables à La Havane : cela faisait partie d’un plan subversif de Washington pour promouvoir une contre-révolution via une mobilisation, par Twitter interposé, sur le modèle de celles qui ont se sont déroulées en Egypte et en Ukraine.
Une partie de l’accord parrainé par le Pape était d’assurer la libération non seulement de Gross, apparemment victime d’un plan de subversion privé, mais aussi des trois membres encore détenus aux Etats-Unis des « Cinq de Miami » [4], un groupe d’agents des services de renseignement cubains chargés d’infiltrer et de désarmer les groupes terroristes à Miami qui préparaient leurs propres opérations contre Cuba.
Cuba ne devrait plus à présent avoir à vivre dans ce climat permanent de subversion, raison principale pour laquelle la sécurité a été aussi été aussi stricte sur l’île. Cuba n’est pas un État policier, mais le gouvernement a été, on peut le comprendre, en permanence sur le qui-vive à l’égard de groupes dissidents dont les activités ont souvent eu des liens avec la section d’intérêts des Etats-Unis à l’ambassade de Suisse à La Havane. C’est dans cet imposant bâtiment, abritant de nombreux personnels, érigé sur le Malecon (le front de mer), que la nouvelle ambassade américaine retrouvera ses propres fonctions diplomatiques.
La société civile devrait pouvoir agir ouvertement sans être perçue comme le foyer d’une dangereuse opposition sinon d’une réelle trahison. Peut-être aussi qu’avec des diplomates et des journalistes qui pourront opérer librement sur l’île existera une information plus fiable qui aidera à influencer positivement l’opinion publique et les décideurs américains. Les Américains ont notoirement ignoré ce qui se passait à Cuba, et leur attitude pendant ces dernières années résultait d’impressions et de jugements formés il y a longtemps. Les changements extraordinaires introduits par le gouvernement de Raul Castro dans la période récente, avec la libéralisation d’une grande partie de l’activité économique à petite échelle, ont entraîné des modifications décisives dans les affaires économiques du pays, s’accompagnant d’une nette montée de la popularité du gouvernement.
Dans quelle mesure le pays est-il préparé à l’invasion des capitaux américains et des touristes aux poches pleines de dollars qui vont maintenant déferler sur l’île ? C’est là une des questions que chacun va examiner avec attention. La population de Cuba, d’un haut niveau d’instruction, devrait être capable de faire face à cette nouvelle et intrigante situation.
L’impact de ces développements sur le reste du continent est ignoré dans tous les débats. Au cours des dix ou quinze dernières années, l’Amérique latine a pris l’habitude d’organiser les choses par elle-même. Sous l’influence de Hugo Chavez, le défunt président vénézuélien, avaient été mises sur pied de nouvelles institutions panaméricaines soustraites à la tutelle pesante des États-Unis et du Canada. La fière indépendance de Cuba, et la longue présence des frères Castro à la tête du pays, ont constitué un important symbole pour une grande partie du continent dans la mesure où de nombreux pays de la région ont fait eux-mêmes l’expérience de l’emprise autoritaire des États-Unis. Même cette semaine, le Congrès américain a menacé d’imposer de nouvelles sanctions contre le Venezuela sur des accusations fabriquées de toutes pièces. L’Amérique latine a acquis un goût de l’indépendance qui pourrait se révéler imperméable à l’offensive de charme d’Obama dans les mois à venir. La décision concernant Cuba est hautement importante, mais Obama aura du pain sur la planche pour convaincre le reste du continent de ses intentions positives.