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Pour décrypter l’actualité

mercredi 26 octobre 2022   |   Maurice Lemoine

Au XVe siècle, le pape partagea le continent américain entre les Espagnols et les Portugais, sans se préoccuper des Indiens qui à l’origine l’occupaient, avec leurs lois, leurs coutumes et leurs droits de propriété. Ainsi est plus ou moins née ce qu’on appelle l’« Amérique latine », ce concept imprécis qui, nous dit Christophe Ventura, « sert à distinguer deux Amériques opposées sur le même continent, une saxonne (protestante, blanche) et une latine (catholique, métisse) ». Car en effet, nul n’en ignore, est apparu ultérieurement, au nord, une sorte de géant, mélange d’idéologie et de business : les Etats-Unis.

Cet ex-« Nouveau Monde » – l’Amérique latine – occupe aujourd’hui une place importante au cœur des grands enjeux qui façonnent le XXIe siècle. Mais il est parfois mal connu du fait d’une « information » devenue assemblage de fragments juxtaposés, sans points de repère ni construction. D’où l’intérêt de l’ouvrage rédigé par Ventura, directeur de recherche à l’Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS). En quatre parties – « les Amériques latines », « Economie et sociétés », « Dynamiques sociopolitiques contemporaines », « L’Amérique latine et le monde » – et 40 fiches allant à l’essentiel, l’ouvrage cerne les défis contemporains du sous-continent. Un ensemble de 33 pays (et 43 territoires si l’on prend en compte Porto Rico ainsi que les territoires britanniques, français et néerlandais de la Caraïbe et de l’Amérique du Sud), comptant 660 millions d’habitants (dont 214 millions au Brésil et plus de 130 millions au Mexique) ainsi que des mégapoles de plus de 10 millions d’habitants (São Paulo, Ciudad de Mexico, Buenos Aires, Rio de Janeiro, Lima). Ce qui n’est pas rien.

On ne prétendra pas que tout est passé au crible dans ce livre, mais l’éventail est large, qui replace la politique, l’économie et le social de la région dans leur contexte. A commencer par l’impérialisme états-unien (même si le terme n’est pas employé), depuis la Destinée manifeste (1840), la Doctrine de Monroe (1823), l’Amendement Platt (1898), le Corollaire de Roosevelt (1904), cadres de référence encore revendiqués par Donald Trump, il n’y a pas si longtemps.

A cette mention sans doute classique, mais essentielle, s’ajoute une pléthore de sujets transversaux aussi divers que « l’arc caribéen », « 1001 langues », « les systèmes politiques », « reflux catholique et poussée évangélique », « disputes territoriales », « violence et narcotrafic », « Internet et réseaux sociaux », « la crypto-économie », « les mouvements indigènes et afro », « les femmes », « les questions LGBTQIA+ », « les mouvements populaires », etc. Ainsi découvrira-t-on qu’il existe une Agence latino-américaine de l’espace (ALCE) créée en 2020 ou que, après le cycle progressiste (1998-2008) et ses initiatives d’intégration régionale, la pauvreté et l’extrême pauvreté progressent depuis 2014 dans la région.

A la périphérie du capitalisme mondialisé, certains de ces pays, comme l’Argentine, le Brésil, le Chili ou le Mexique, « considérés comme “émergents”, prennent une part croissante dans l’économie mondiale. » Le survol effectué par Ventura permet de discerner les évolutions récentes les plus significatives, depuis l’émergence de l’Antarctique – « où le réchauffement climatique et la fonte des glaces liés aux effets du changement climatique rendent le territoire de plus en plus attractif » – jusqu’au recul historique des Etats-Unis en tant que partenaire commercial de la zone, en passant par le rôle futur de l’ Argentine, de la Bolivie et du Chili, qui abritent les plus grandes réserves de lithium du monde, ce qui (c’est nous qui l’ajoutons) en fait des cibles de premier choix pour les « rapaces » des puissances dites développées.
Comme il se doit, sont évoqués la Chine (acheteuse d’un tiers des exportations agricoles du Brésil, pour ne citer que cette donnée) l’Union européenne, la Russie (à l’heure de la guerre en Ukraine), mais aussi l’Afrique (pour des raisons historiques et culturelles, « par l’intermédiaire du funeste commerce triangulaire »), le Moyen-Orient (« dont l’Amérique latine assure 20 % des besoins alimentaires ») et l’Inde (« avec qui les relations commerciales se multiplient »).

« L’Amérique latine contribuera-t-elle à l’émergence progressive d’un monde plus multipolaire et sera-t-elle capable de peser dans la définition des nouveaux (des)équilibres mondiaux du XXIe siècle ? », interroge l’auteur, dans sa conclusion. Nul n’a sans doute la réponse. Mais, illustré de cartes, de graphiques et de tableaux, cet ensemble permettra aux étudiants et aux curieux d’acquérir les données de base permettant de mieux comprendre, en la replaçant dans son contexte, l’actualité immédiate quotidiennement distillée par les médias.

En tant que lecteur exigeant, on peut regretter que l’ouvrage ne soit pas doté d’une fiche par pays, ce qui le rendrait complet. Mais, à l’évidence, il s’inscrit dans une collection – « Géopolitique » – qui lui impose un format, une maquette (particulièrement élégante) et une pagination préétablie. On se ralliera donc sans réserves excessives au choix de la transversalité. En revanche, une « monstruosité » est demeurée malgré le soin évident apporté à la préparation de cet ensemble. Dans le chapitre « Passions sportives », sont mentionnés les champions Juan Manuel Fangio et Ayrton Senna (automobile), Carlos Monzón, Julio César Chávez et Juan Manuel Márquez (boxe), Luis Herrera, Nairo Quintana et Egan Bernal (cyclisme), les stars du baseball, mais, nulle part, absolument nulle part, ne figurent Edson Arantes do Nascimento, dit « Pelé », et Diego Maradona. Un oubli absolument impardonnable, à corriger dans une prochaine édition.

Encore un effort, Christophe Ventura !


Christophe Ventura, Géopolitique de l’Amérique latine, Eyrolles, Paris, 2022, 181 pages, 18,90 euros.





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