Au Honduras, la résistance populaire au gouvernement putschiste de Monsieur Roberto Micheletti vient de fêter son 100ème jour dans l’indifférence médiatique générale. Pendant ces trois derniers mois, ce sont plusieurs morts, des dizaines de blessés et des centaines – certainement plus – de personnes arrêtées - et au-delà tout un peuple - qui, se battant quotidiennement pour le respect de la constitutionnalité et le retour du président démocratiquement élu Manuel Zelaya, n’auront pas eu le droit aux faveurs de nos journaux et télévisions [1]. Pour autant, leur combat n’aura pas été vain. Aujourd’hui, le gouvernement « de fait », affaiblit dans le pays et isolé en Amérique latine, semble montrer des premiers signes de recul.
Il convient de le rappeler. Le coup d’Etat du 28 juin au Honduras concerne l’ensemble de la région. Ce pays est le poste avancé de la tentative de reprise en main du sous-continent par les forces de droite et les oligarchies locales, avec le soutien direct de certains éléments du Pentagone et de l’administration des Etats-Unis. Il s’agit de fragiliser l’ensemble des processus démocratiques et sociaux qui ont porté ces dernières années au pouvoir des gouvernements de rupture avec le modèle néolibéral et avec la traditionnelle domination des Etats-Unis et de leurs relais réactionnaires en Amérique latine. Ces gouvernements (Bolivie,Cuba, Equateur, Nicaragua, Venezuela) se retrouvent au sein de l’Alba (il convient également d’ajouter le Paraguay qui n’est pas dans l’Alba) et développent aujourd’hui les instruments de leur indépendance politique vis-à-vis des Etats-Unis. Ils promeuvent également de nouveaux espaces de coopération internationale entre pays du « Sud » comme viennent de le confirmer les conclusions du deuxième Sommet Afrique/Amérique du Sud qui s’est tenu, en présence de 27 Chefs d’Etat et de gouvernement, au Venezuela les 28 et 29 septembre [2].
Ce sont ces dynamiques politiques que tentent de stopper les oligarchies. Roberto Micheletti ne dit pas autre chose – dans la langue traditionnelle des secteurs politiques, économiques et intellectuels les plus à droite en Amérique latine et aux Etats-Unis - lorsqu’il affirme, dans un entretien accordé le 3 octobre à la revue brésilienne Veja [3], que la motivation réelle qui l’a conduit, avec le soutien actif de l’armée hondurienne, a fomenté le coup d’Etat était de « défendre (le) pays d’un communisme version 21ème siècle inventé par un fou d’Amérique du Sud »…
Considérant le président élu Manuel Zelaya comme une « marionnette de Chavez », Roberto Micheletti concède néanmoins, pour la première fois, que son expulsion « fut une erreur ». Ceci est un élément nouveau. Il promet même, dans une attitude de pur cynisme, que les individus responsables de cet acte de violation de la Constitution seront « punis conformément à la loi ».
Ce changement de ton et de positionnement intervient alors que le gouvernement « de fait » est sous la pression constante des mobilisations populaires qui se multiplient dans le pays et des gouvernements latino-américains. Le Brésil, en accueillant Manuel Zelaya dans son ambassade à Tegucigalpa depuis son retour au pays le 21 septembre, a désormais décidé de s’engager directement dans le rapport de forces avec Roberto Micheletti. Le président Lula a même obtenu, en marge du troisième sommet Union européenne/Brésil qui se déroule actuellement, la signature d’une déclaration commune des deux acteurs (mardi 6 octobre) dénonçant la violation de l’ordre constitutionnel au Honduras.
Le gouvernement « de fait » sait qu’il est incapable d’obtenir une légitimité politique dans le pays à quelques semaines des prochaines élections nationales du 29 novembre. Mais ayant tenu jusqu’à quelques semaines de ce cette échéance (à laquelle, malgré ce qu’a voulu faire croire la propagande officielle initiale, Manuel Zelaya ne pourra se présenter), ce dernier va tenter de poursuivre son objectif : empêcher, coûte que coûte, Manuel Zelaya de jouer un rôle politique concret au Honduras avant ces élections.
En ayant annoncé lundi 5 octobre l’annulation du décret du 27 septembre qui organisait la suspension des libertés publiques, de réunion, d’association, de circulation et d’expression et permettait d’élargir les pouvoirs répressifs de la police et de l’armée, Roberto Micheletti semble vouloir montrer les nouvelles dispositions de son gouvernement avant l’arrivée, mercredi 7 octobre, d’une nouvelle mission de l’Organisation des Etats américains (OEA) à Tegucigalpa ( acceptée par le gouvernement « de fait » vendredi 2 octobre après qu’il ait refusé son entrée dans le pays 10 jours auparavant).
Pour Manuel Zelaya, ce mouvement du gouvernement de « fait » pourrait être un « piège » dans lequel il demande à l’OEA de ne pas tomber. Constatant que malgré l’annulation du décret du 27 septembre, les deux principaux médias d’opposition au gouvernement Micheletti - Radio Globo et Canal 36 - sont toujours interdits et que l’ambassade du Brésil dans laquelle il réside reste encerclée par les forces armées, le président légitime du Honduras voit dans la nouvelle attitude du gouvernement « de fait » une manœuvre tactique visant à redorer quelque peu son image au niveau international. Pour lui, Roberto Micheletti veut gagner du temps à travers le lancement de nouvelles négociations sans fin et organiser un « piège de plus pour prolonger l’agonie du peuple hondurien » [4].
Pour de réelles négociations, Manuel Zelaya a donc fixé ses conditions. Il faudra repartir des propositions contenues dans l’Accord de San José élaboré en juillet dans le cadre d’une première médiation de l’OEA qui avait avorté du fait de l’intransigeance du gouvernement putschiste. Cet accord, que Manuel Zelaya considère par ailleurs largement dépassé par le contexte actuel, prévoyait néanmoins l’essentiel : son retour effectif et « immédiat » à la présidence.
On comprend l’importance de ce point dans les conditions actuelles où le gouvernement « de fait » souhaite gagner du temps. Face à la presse internationale, Roberto Micheletti se dit prêt « à prendre cette décision (le retour de Zelaya à la présidence), si cela peut alléger le problème que nous vivons » [5].
Une sortie de crise est elle aujourd’hui plus envisageable ? Les putschistes n’ont pas encore désarmé. Ils tenteront de jouer la montre contre Manuel Zelaya et, dans le même temps, s’attèleront, dans la perspective des prochaines élections, à préparer la candidature, avec d’énormes moyens institutionnels, financiers et médiatiques, d’un homme ou d’une femme fidèle à la défense de leurs intérêts et à ceux des secteurs économiques, politiques, médiatiques qui les soutiennent.
Une nouvelle fois, seules l’intensité des mobilisations populaires et la solidarité politique des gouvernements latino-américains en faveur du président Zelaya pèseront sur la séquence politique qui s’ouvre.
Gageons que les honduriens devront, une nouvelle fois, continuer leur combat dans le silence médiatique.