Les « Commentaires » d’Immanuel Wallerstein

Commentaire n° 466, 1er février 2018

Qui est le président Emmanuel Macron ?

lundi 26 février 2018   |   Immanuel Wallerstein
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Partout dans le monde, les responsables politiques gardent dans l’ombre certains éléments de leur itinéraire politique et personnel. Il arrive que la divulgation de tels « secrets » provoque déception et/ou désaffection parmi ceux qui leur ont apporté leur vote. Ce qui varie d’une situation à l’autre est l’aptitude du politique à occulter ces éléments.

Le président français élu depuis peu, Emmanuel Macron, est parvenu à maintenir cette opacité mieux que quiconque. D’où l’intérêt de tenter de répondre à la question : « Qui est-il ? » (vraiment). Disons d’emblée que la réponse soulève bien des désaccords. Non seulement entre ses partisans et ses adversaires, mais au sein de chacun des deux camps.

Que savons-nous de sa formation ? Qu’il a étudié dans deux des institutions d’élite du pays – Sciences Po et l’École nationale d’administration (ENA) – avec de brillants résultats.

À sa sortie de l’ENA, il a d’abord intégré l’administration, à l’Inspection générale des finances, avant de rejoindre le secteur privé en tant que banquier d’affaires à la compagnie Rothschild. Adhérent à cette époque du Parti socialiste (qui allait revenir au pouvoir en 2012 avec l’élection de François Hollande), il a abandonné toute affiliation partisane en 2009.

En 2014, lors de la formation de son second gouvernement, plus marqué à droite, Manuel Valls, le chef de file de la faction la plus « centriste » du Parti socialiste, a fait de Macron son ministre de l’économie. Sa mission était d’imprimer un virage néoclassique aux politiques publiques françaises. Macron (et Valls avec lui) n’aura que partiellement atteint cet objectif.

L’élection présidentielle de 2017 approchait. Valls souhaitait obtenir l’investiture du Parti socialiste. Macron ne lui a pas apporté son soutien, préférant créer son propre mouvement. Il l’a baptisé « En marche ! » – abrégé en EM, les initiales d’Emmanuel Macron.

La base électorale du Parti socialiste s’était fortement érodée, du fait notamment de la profonde impopularité du président socialiste sortant François Hollande. Le candidat de l’autre grand parti de gouvernement, Les Républicains, de centre-droit, était François Fillon, qui avait créé la surprise en remportant la primaire de son parti avec pour principal argument sa droiture morale supérieure.

À l’extrême-droite, la candidate du Front national, Marine Le Pen, avait réussi à faire adopter à son parti des positions plus « respectables », au prix d’une rupture publique avec son père et fondateur du parti, Jean-Marie Le Pen.

Tout suggérait d’abord que les deux survivants du premier tour seraient Fillon et Le Pen, ouvrant la voie à un duel de second tour entre le centre-droit et l’extrême-droite. Une alternative exécrable pour beaucoup d’électeurs.

Et soudain, tout a basculé : Fillon, se trouvant pris lui-même dans la tourmente d’un scandale, a refusé de se retirer pour permettre à son parti de désigner un autre candidat. Le tassement consécutif de sa cote électorale a permis à Macron de s’affirmer comme le seul capable de battre Marine Le Pen au second tour.

Macron a défini son mouvement comme n’étant ni de droite ni de gauche, rompant ainsi avec le schéma gauche-droite qui organise à la fois la vie électorale et la gouvernance du pays depuis un siècle. La formule s’est avérée gagnante. Au premier tour, il a obtenu 24 % des voix contre 21 % à Marine Le Pen, puis s’est imposé au second tour avec 65 % des voix.

Pendant sa campagne, il a usé d’un autre argument de poids, puisé dans l’histoire d’un Parti socialiste toujours en pointe dans la défense de la laïcité (qui équivaut plus ou moins à ce qu’on nomme ailleurs « sécularisme ») contre les traditions portées par les partis de droite, qui s’appuient sur une base à forte composante catholique. Macron s’en est pris successivement à Fillon puis à Le Pen, accusés de nourrir des visées conservatrices en matière d’avortement, de droits des homosexuels, etc.

Dès son entrée en fonction, Macron a souhaité attirer dans son gouvernement des poids lourds des deux grands partis, mais aussi des écologistes et des personnalités se réclamant du centrisme. L’objectif ainsi poursuivi était clairement de fermer tout horizon aux deux grands partis et d’affirmer sa domination personnelle et celle de son parti sur la politique française pour plusieurs décennies.

Alors qu’il va amorcer sa seconde année au pouvoir, que peut-on dire de lui ? Qu’il est sans aucun doute un homme de droite sur tous les sujets économiques. Qu’il est aussi le premier responsable politique à avoir pu appliquer à la France des révisions majeures de ses structures d’État-providence. Quand Hollande a tenté d’introduire une version beaucoup plus modérée des mêmes réformes, la moitié du pays est descendue dans la rue et certaines mesures ont dû être retirés, même si le projet a été adopté in fine. Avec Macron, il n’y a eu aucune réaction de ce type. Les syndicats, en particulier, ont été incapables de mobiliser leurs adhérents.

Macron a prouvé qu’il était extrêmement ambitieux. Alors que Hollande avait échoué à conserver à la France son rang d’allié égal dans le duo franco-allemand, aux commandes de la politique européenne, le nouveau président a fait en sorte d’occuper l’espace laissé vacant par une Allemagne en position aujourd’hui beaucoup moins favorable. Mais il n’en est pas resté là, contestant aussi les prétentions hégémoniques des États-Unis sans verser pour autant dans une attitude ouvertement anti-américaine.

Il n’en cherche pas moins à faire de la France un acteur majeur dans le Pacifique, en Afrique et au Moyen-Orient, et jusqu’en Amérique latine. Ce que Macron propose ressemble davantage à une forme plus avenante de la politique internationale des États-Unis qu’à quelque chose de plus progressiste.

En matière sociétale, Macron est prudent. Il soutient, certes, les causes chères à la gauche, mais prend garde de n’aller ni trop loin ni trop vite. Il ne veut pas faire descendre les catholiques dans la rue.

L’essentiel, pour moi, est que la France a aujourd’hui avec Macron le plus habile et le plus efficace des dirigeants de droite ayant occupé le pouvoir à l’époque moderne. On pourrait en citer d’autres qui souhaitaient proposer des trains de mesures du même ordre, mais aucun n’a pu réunir la coalition capable de les faire aboutir. Macron a bien sûr été aidé par l’état chaotique du système-monde. Mais son rôle personnel doit être reconnu. Il a su mettre en œuvre des objectifs conservateurs avec une grande efficacité. 

 

Traduction : Christophe Rendu

Illustration : Jeso Carneiro – Flickr CC

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Ces commentaires, bimensuels, sont des réflexions consacrées à l’analyse de la scène mondiale contemporaine vue dans une perspective de long terme et non de court terme.





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