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Retour des « gorilles » au Honduras

jeudi 2 juillet 2009   |   Maurice Lemoine

Article publié sur le site du Monde diplomatique : http://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2009-07-01-Honduras

Séquestré par l’armée en pleine nuit, puis emmené de force au Costa Rica, le président du Honduras, M. Manuel Zelaya, a été renversé le 28 juin. Ce golpe a eu pour point de départ sa décision d’organiser ce même jour, appuyé par quatre cent mille signatures, une consultation populaire sans caractère contraignant posant la question suivante : « Etes-vous d’accord pour que, lors des élections générales de novembre 2009, soit installée une quatrième urne pour décider de la convocation d’une Assemblée nationale constituante destinée à élaborer une nouvelle Constitution politique ? »

D’après M. Zelaya — qui fait le même constat et adopte la même démarche que MM. Hugo Chávez (Venezuela), Rafael Correa (Equateur) et Evo Morales (Bolivie), au début de leurs mandats respectifs — l’actuelle Constitution ne permet pas de réaliser les transformations sociales permettant d’éradiquer les inégalités et la misère (70 % de la population vivent sous le seuil de pauvreté ou dans l’extrême pauvreté) dans un pays, le Honduras, dont plus de 40 % du revenu national proviennent de l’envoi des remesas (argent) des émigrés.

Rejetée par l’opposition, une fraction du Parti libéral (dont est issu M. Zelaya), le patronat, les forces armées, certains secteurs de la hiérarchie catholique et évangélique, et les médias, cette consultation a été jugée illégale par la Cour suprême, le Congrès et le Tribunal électoral qui n’entendent pas voir remplacer, fût-ce partiellement, une « démocratie formelle de représentation » par une « démocratie de participation citoyenne ». A contrario, l’article 2 de la Constitution hondurienne précise : « La souveraineté appartient au Peuple dont émanent tous les pouvoirs de l’Etat exercés par représentation. La Souveraineté du Peuple pourra également s’exercer de manière directe, à travers le plébiscite et le référendum (...). »

Le 24 juin, le président avait destitué le général Roméo Vásquez, chef d’état-major des armées. Désobéissant aux ordres du commandant en chef — dans toutes les démocraties, le chef de l’Etat —, celui-ci avait refusé de participer à l’organisation de la consultation. Il avait également accepté la démission de son ministre de la Défense, M. Edmundo Orellana. La réplique n’a pas tardé.

Les forces armées du Honduras, pays qui, dans les années 1970-1980, à la différence des nations voisines (Guatemala, Nicaragua, Salvador), n’a pas connu de conflit armé interne, n’en ont pas moins été totalement impliquées dans la conflagration régionale. Elles ont collaboré à la mise en place de la base arrière américaine qui, par contras (contre-révolutionnaires) interposés, a permis l’agression du Nicaragua sandiniste (lire l’article d’Hernando Calvo Ospina, « Au Nicaragua, les quatre temps du sandinisme » dans Le Monde diplomatique de juillet, en kiosques). Des escadrons de la mort composés de militaires (en particulier le tristement fameux Bataillon 3-16) et de policiers ont fait disparaître cent quatre-vingt-quatre personnes et assassiné des dizaines de militants de gauche, syndicalistes et dirigeants paysans. Après les accords de paix des années 1990, les sandinistes ont conservé un certain contrôle sur l’armée nicaraguayenne ; au Salvador et au Guatemala, la révélation de l’ampleur des crimes de l’armée par des Commissions de la vérité a permis d’épurer, en partie au moins, les casernes. Rien de tel ne s’est produit au Honduras. Et les Etats-Unis y maintiennent leur base militaire la plus importante d’Amérique centrale, Palmerola.

De nombreux médias et observateurs expliquent, voire, à mots couverts, justifient le golpe par l’attitude de M. Zelaya. La révision de la Constitution lui aurait permis, au forceps, de briguer un deuxième mandat — actuellement non permis — lors du scrutin présidentiel de novembre prochain. Analyse erronée. En bonne logique, le scrutin sur la constitution d’une Assemblée constituante se déroulant le même jour que l’élection présidentielle, M. Zelaya n’aurait pu participer à celle-ci. En revanche, au terme d’un processus menant à une nouvelle Constitution, et pour peu que celle-ci soit approuvée, il aurait sans doute brigué un second mandat sous l’égide d’un nouveau texte fondamental le permettant. Il y avait donc loin de la coupe aux lèvres.

L’opposition féroce à M. Zelaya a, par conséquent, d’autres raisons.

Elu en novembre 2005, avec une faible majorité, sous la bannière du Parti libéral (conservateur), l’un des deux partis traditionnels de l’oligarchie hondurienne, il a, contrairement aux présidents précédents, mis un terme à l’alliance inconditionnelle du Honduras avec les Etats-Unis. Héritant d’une nation en déshérence et déçu par l’indifférence de Washington face à ses appels à l’aide répétés, il a resserré les relations politiques et commerciales avec Cuba, le Venezuela, la Bolivie, bien peu en cour auprès de l’administration de M. George W. Bush. Après avoir affilié le Honduras à l’accord Petrocaribe (une initiative du président Chávez qui permet aux pays de la région d’amortir les prix du pétrole), il a rejoint l’Alternative bolivarienne pour les Amériques (ALBA) et le clan des « radicaux » en août 2008.

Techniques déjà rodées, les similitudes avec la tentative de coup d’Etat organisée au Venezuela, en avril 2002, contre le président Chávez, sautent aux yeux. Comme à Caracas, une fausse « lettre de démission » du chef de l’Etat a été lue devant le Congrès et amplement diffusée par les médias. Alors qu’était réduit au silence le Canal 8 — la télévision publique —, les chaînes privées ont diffusé des dessins animés, des feuilletons, des clips, la... messe, mais aucune information pendant les événements. Les fréquences de plusieurs médias audiovisuels locaux (Radio Globo, Radio Progreso) et internationaux (TeleSur, Cubavisión Internacional et CNN en espagnol) ont été suspendus  [1]. Un temps brutalisée et détenue, l’équipe de TeleSur a été expulsée du pays.

Menacés, malmenés, les ambassadeurs de Cuba, du Nicaragua et du Venezuela (ainsi que la ministre des affaires étrangères Patricia Rodas) ont été un temps retenus par des militaires cagoulés. A Caracas, le 12 avril 2002, c’est l’ambassade de Cuba qui avait été assiégée.

Toutefois, tant le golpe au Venezuela en 2002 que la tentative de déstabilisation de M. Evo Morales, en Bolivie, en septembre 2008, avaient été soigneusement camouflés grâce à la participation d’une opposition rebaptisée « société civile ». Rien de tel au Honduras. La sortie des « gorilles » de leurs casernes — quand bien même les parlementaires auraient désigné leur président, M. Roberto Micheletti, nouveau chef de l’Etat — rappelle par trop les heures les plus sombres de l’Amérique latine.

Réuni en urgence, le Conseil permanent de l’Organisation des Etats américains (OEA) a « condamné énergiquement le coup d’Etat », tout comme l’Union européenne et l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies (ONU). Pris individuellement, tous les pays du continent américain ont condamné le « coup d’Etat ». Un seul, jusqu’à présent, n’a pas utilisé cette expression. Les Etats-Unis. Certes, M. Barack Obama a exprimé sa « préoccupation » et a ajouté : « Zelaya est l’unique président que je reconnais et je veux que cela soit bien clair. » Mais le département d’Etat prône... « le dialogue ». Entourant M. Zelaya, dès le 29 juin, à Managua, les présidents de l’ALBA lui ont, eux, manifesté un total soutien. Sans parler de « dialogue », mais de retour à l’Etat de droit.

Au Honduras, sur le mouvement social, la répression s’abat.

 




[1Alors qu’elle multiplie les déclarations alarmistes sur la liberté d’expression Venezuela, de la Bolivie et de l’Equateur, la Société interaméricaine de presse ne s’est pas encore manifestée.



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