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Solidarité avec Dilma et Lula

jeudi 31 mars 2016   |   Adolfo Pérez Esquivel
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Nous devons être attentifs aux changements en cours sur notre continent. Durant de sombres décennies, nous avons vécu des dictatures imposées par des coups d’Etat. Nous avons ensuite connu, dans les années 1980-1990, le retour de fragiles démocraties et de gouvernements constitutionnels. Ces derniers se sont fortifiés dans le temps suite à des efforts conséquents. Ils ont essayé de trouver les chemins permettant de réduire la pauvreté, la faim et la marginalité.

Après une période de grandes avancées au début du XXIe siècle, nous rencontrons aujourd’hui des situations conflictuelles. Elles se caractérisent par le retour de nouvelles tentatives de déstabilisation des institutions démocratiques des pays gouvernés par des majorités progressistes.

Nous sommes préoccupés par les attaques de l’opposition politique, des médias, et de certains secteurs du pouvoir judiciaire contre la présidente du Brésil, Dilma Rousseff, et l’ancien président, Luiz Inácio Lula da Silva. Ce dernier a été récemment victime d’une grande opération policière destinée à l’arrêter. Il s’agissait d’une action politique démesurée visant à discréditer publiquement l’ancien mandataire en l’accusant de corruption afin qu’il apparaisse coupable, sans que rien n’ait été démontré de manière probante.

L’opposition et ses alliés ont initié une forte campagne pour destituer la présidente Dilma et détruire le PT (le Parti des travailleurs) en utilisant la méthode du coup d’Etat « light ». Méthode déjà utilisée sur le continent pour renverser les anciens présidents du Honduras et du Paraguay, Manuel Zelaya et Fernando Lugo. Ces coups d’Etat ont bénéficié de la complicité du pouvoir judiciaire et/ou parlementaire, des forces armées, des multinationales et de l’aval des Etats-Unis.

Il y a eu également des tentatives de coup d’Etat violent comme celui du Venezuela en 2002, mis en échec par la mobilisation populaire en faveur d’Hugo Chávez. En 2010, la prompte intervention de l’Union des nations sud-américaines (Unasur) a réussi à mettre fin au soulèvement policier contre Rafael Correa. Le président de la Bolivie, Evo Morales, a aussi fait face à diverses actions violentes destinées à le renverser.

Aujourd’hui, le gouvernement du Venezuela subit une guerre économique qui sème l’exaspération au sein de la population, comme cela s’est passé lors du coup d’Etat planifié au Chili en 1973. Et pendant ce temps-là, l’opposition cherche à révoquer le gouvernement de Nicolás Maduro, comme elle le fit en son temps contre celui de Chávez, tentative qui échoua.

Il existe de grands intérêts politiques et économiques qui cherchent à déstabiliser et provoquer tous les dommages possibles pour délégitimer certains gouvernements – mais pas d’autres – en tentant de provoquer la fin de l’appui populaire dont ils bénéficient.

Presque tous les dirigeants politiques qui appuient la procédure de destitution (d’impeachment) contre Dilma Rousseff sont poursuivis par la justice pour corruption. Cela démontre que la corruption n’est pas la variable déterminante. Ce qui est en jeu, c’est l’orientation des politiques de l’Etat et de ceux qui les mettent en place.

La corruption ne se combat pas en violant la constitution. Elle se combat avec de la transparence et plus de démocratie. Il ne s’agit pas seulement de la transparence du pouvoir exécutif, mais aussi de celle des puissants pouvoirs judicaires et de leurs fonctionnaires.

Je veux exprimer ma solidarité et mon soutien à Dilma et Lula, pour leurs actions en faveur du peuple brésilien et de l’unité continentale. J’appelle également le peuple brésilien à mesurer de manière critique les politiques menées, mais sans se laisser influencer par ceux qui cherchent à déstabiliser le pays en provocant les coups d’Etat « light ».

Les gouvernements progressistes latino-américains savent perdre des élections car ils sont démocratiques. Les dernières consultations en Argentine et en Bolivie sont des exemples clairs. Ceux qui ne savent pas perdre et appuient les coups d’Etat « lights » au nom de la démocratie, de sa sauvegarde contre des dérives soit disant autoritaires, ou de leur saine moralité, ne se différencient pas de ceux qui appuyaient les dictatures meurtrières de notre continent ou qui se taisaient durant ces dernières.

Les gouvernements progressistes sont constamment attaqués car ils osent prendre des initiatives contre les puissants et favorisent la redistribution des revenus. Ils doivent désormais repenser leurs stratégies de dialogues et de construction de confiance et de consensus afin d’éviter des confrontations stériles qui les éloignent du soutien populaire. Ils doivent également démontrer des capacités d’initiative pour redonner l’espoir d’un renversement des structures de dépendance et d’inégalité dont notre région souffre. Le pape François rejoint cette idée lorsqu’il demande que « nous disions NON aux vieilles et nouvelles formes de colonialisme » pour qu’il n’y ait « aucune famille sans logement, aucun paysan sans terre, aucun travailleur sans droits, aucun peuple sans souveraineté, aucune personne sans dignité, aucun enfant sans enfance, aucun jeune sans opportunités, aucune personne âgée sans une vieillesse digne ».

Aucune démocratie n’est parfaite. Mais les démocraties sont perfectibles si la volonté politique des peuples et de leurs gouvernements démocratiquement élus est présente.

Nous espérons que le peuple frère du Brésil ne fera pas marche arrière et qu’il retrouvera le chemin des salutaires politiques de l’Etat qu’il a réussi à conquérir et qui lui appartiennent. Ceci afin qu’il ne vive pas une progression de politiques antipopulaires comme celles que nous expérimentons désormais en Argentine.

 

Traduction Fanny Soares
Edition : Mémoire des luttes
Ce texte a été publié le 15 mars 2016 sur le site http://www.adolfoperezesquivel.org/?p=3890





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