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Chronique - février 2008

Un Europe en tenue camouflée

jeudi 7 février 2008   |   Bernard Cassen
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On a pu dire que si l’Union européenne (UE) était candidate à l’Union européenne, elle serait déboutée car ne satisfaisant pas aux critères démocratiques exigés des nouveaux Etats membres. En particulier en raison des énormes pouvoirs accordés à des institutions échappant à tout contrôle des électeurs - la Commission, la Cour de justice et la Banque centrale européenne –, et de la confusion entre l’exécutif et le législatif incarnée par le Conseil. La plupart des citoyens ne comprennent pas grand chose à cette architecture compliquée, ce qui les conduit à la percevoir comme une entité extérieure, plus menaçante que protectrice.

Ce sentiment est conforté par les politiques nationales menées « au nom de l’Europe » - en vérité au nom du néolibéralisme - et qui constituent dans la très grande majorité des cas des régressions sociales. Certes cette appréciation varie d’un pays à l’autre, et, fort logiquement, elle est moins négative dans ceux qui, comme l’Espagne, la Grèce ou le Portugal, sans parler des 12 nouveaux entrants de 2004 et 2007, ont bénéficié des transferts financiers des fonds structurels. Il est significatif que le traité constitutionnel européen, la « Constitution » ait été rejeté par les citoyens de deux Etats fondateurs, la France et les Pays-Bas lors de référendums organisés en 2005. Et si un référendum avait été organisé en Allemagne, il aurait donné les mêmes résultats.

Or, à de menus détails près, et pour servir les mêmes politiques, c’est ce même traité, outrageusement présenté par M. Nicolas Sarkozy comme « simplifié » [1], qui a été signé à Lisbonne le 13 décembre dernier par les 27 gouvernements de l’UE. Et c’est ici qu’apparaît une autre profonde faille démocratique de la construction européenne : la méfiance à l’égard des peuples et la panique que l’éventualité de référendums suscite chez les « élites » nationales et dans les institutions européennes.

Les dirigeants ne s’en cachent même pas : la ratification en catimini par la voie parlementaire (sauf en Irlande où la Constitution exige une consultation populaire) est la seule manière de faire « avaler » un texte dont ils reconnaissent qu’il serait très probablement rejeté par référendum dans plusieurs pays. Le rapport d’un « think-tank » bruxellois, le European Policy Centre, cité dans une note de la Représentation permanente de la France auprès de l’UE, rappelle cyniquement « l’impératif de discrétion qu’impose le processus de ratification du traité tout au long de l’année 2008 ». Que, un demi-siècle après la signature du traité de Rome, l’UE en soit réduite à la « discrétion » - c’est-à-dire à la tenue camouflée - pour faire adopter un nouveau texte fondamental montre qu’elle n’a rien retenu de l’échec historique des tentatives de faire le bonheur des peuples sans eux, voire malgré eux.




[1Il compte 287 pages et 356 modifications aux traités antérieurs. S’y ajoute un acte final de 36 pages, ainsi que 13 protocoles, 65 déclarations et une annexe qui ont la même valeur juridique que les traités.



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