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Un vrai coup d’Etat, mais avorté

Entretien avec Atilio Boron

jeudi 7 octobre 2010   |   Atilio A. Boron
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Il ne faut pas se faire d’illusions : l’oligarchie et l’impérialisme tenteront à nouveau, sans doute par d’autres moyens, de renverser les gouvernements qui ne se plient pas à leurs intérêts

1.- Que s’est-il passé il y a quelques jours en Equateur ?

Une tentative de coup d’Etat. Ce n’était pas, comme l’ont affirmé plusieurs médias en Amérique latine, une « crise institutionnelle », une sorte de conflit de compétences juridiques entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, mais une révolte ouverte d’une branche du premier - la police nationale, dont les effectifs forment une petite armée de 40 000 hommes -, contre le commandant en chef des Forces armées en Équateur, qui n’est autre que son président légitimement élu.

Ce n’est pas non plus, comme le dit Arturo Valenzuela, sous-secrétaire d’Etat aux affaires inter-américaines, « un acte d’indiscipline de la police ". Ferait- il le même diagnostic sur ce qui s’est passé si l’équivalent américain de la police nationale équatorienne avait conspué et agressé physiquement Barack Obama, en le blessant, en le retenant prisonnier pendant 12 heures dans un hôpital de la police, jusqu’à ce qu’un commando spécial de l’armée de terre vienne le libérer, après d’intenses échanges de tirs ? Il est probable que non. Mais, puisqu’il s’agit d’un président latino-américain, ce qui, aux Etats-Unis, apparaîtrait comme une intolérable aberration, ne serait qu’une faribole.

En général, tous les oligopoles médiatiques ont offert une version déformée de ce qui s’est passé, en évitant soigneusement de parler d’une tentative de coup d’Etat. Il ne s’agissait pour eux, au contraire, que d’ "une révolte de la police », ce qui, bien évidemment, convertit les événements de jeudi en un incident relativement négligeable.

C’est une vielle recette de la droite, toujours encline à ne pas donner trop d’importance aux actions commises par ses partisans, et à amplifier les erreurs ou problèmes de ses adversaires. C’est pourquoi il est bon d’écouter les paroles prononcées vendredi dernier, au cours de la matinée, par le président Rafael Correa, quand il caractérise ce qui vient de se passer comme une "conspiration" pour réaliser un coup d’Etat : « Une conspiration, parce que, comme cela a été surtout évident hier, d’autres acteurs ont apporté leur soutien au coup d’État en marche, même s’il n’a pas été efficace ».

N’est-ce pas l’armée de l’air équatorienne, et non la Police nationale, qui a paralysé l’aéroport international de Quito et le petit aérodrome utilisé pour les vols intérieurs ? N’y a-t-il pas eu des groupes politiques qui sont venus appuyer le coup d’Etat dans les rues et sur les places publiques ? L’avocat de l’ancien président Lucio Gutiérrez n’était-il pas lui-même présent - un fanatique qui a essayé de pénétrer de force dans les locaux de la télévision nationale équatorienne ?

N’est-ce pas Jaime Nebot, maire de Guayaquil et adversaire déclaré de Rafael Correa, qui a parlé d’un conflit de pouvoir entre, d’un côté, le caractère autoritaire et despotique de Correa, et, de l’autre, un secteur de la police, qui a certes employé des méthodes inadaptés, mais qui était dans son bon droit avec ses revendications ? Cette fausse équidistance entre les parties en conflit a été un aveu indirect de sa complaisance devant les évènements en cours et de son désir profond de se débarrasser de son principal ennemi politique – jusqu’à aujourd’hui du moins.

Que dire de la regrettable implication du mouvement des "autochtones" Pachakutik, qui, au milieu de la crise, a lancé un appel au mouvement indigène, aux mouvements sociaux et aux organisations politiques démocratiques, à former un front national unique pour demander le retrait du président Correa ? « Surprises te donnera la vie », disait Pedro Navaja. Mais on ne peut parler de surprises si l’on tient compte des contributions généreuses faites par l’USAID et le National Endowment for Democracy pendant ces dernières années, afin de donner la parole (« empowering » ) aux citoyens équatoriens par l’intermédiaire de leurs partis et mouvements sociaux.

Conclusion : ce n’était pas un petit groupe isolé au sein de la police qui tenté ce coup d’Etat, mais bien un ensemble d’acteurs sociaux et de politiciens au service de l’oligarchie locale et de l’impérialisme, lequel ne pardonnera jamais, entre autres, à Correa d’avoir ordonné l’évacuation de la base dont les États-Unis disposaient à Manta, l’audit de la dette extérieure de l’Équateur et son adhésion à l’ALBA.

En outre, depuis plusieurs années, la police équatorienne, comme d’autres dans la région, a été éduquée et formée pour servir d’auxiliaire aux États-Unis. Ont-ils inclu dans le programme une forme d’éducation civique ou insisté sur la nécessaire subordination des forces armées et de la police au pouvoir civil ? Cela ne paraît pas être le cas. Il apparaît donc indispensable de mettre sans tarder un terme à la « coopération » entre les forces de sécurité de la plupart des pays d’Amérique latine et les Etats-Unis On sait déjà ce qui est enseigné dans leurs cours.

 

2.- Pourquoi l’échec de l’opération ?

Essentiellement pour trois raisons : premièrement, la mobilisation rapide et efficace de larges secteurs de la population équatorienne qui, en dépit du danger, est venue occuper les rues et les places pour exprimer son soutien au président Correa. Il est arrivé ce qui arrive toujours dans de tels cas. La défense de l’ordre constitutionnel n’est efficace que dans mesure où elle est assurée directement par le peuple agissant en tant que protagoniste et non comme simple spectateur des luttes politiques en cours.

Sans la présence de la foule dans les rues et les places, il n’y a pas de République capable des résister aux coups d’Etat de l’ordre ancien. Machiavel l’avait déjà dit il y a cinq cents ans. L’institution n’est pas à elle seule en mesure de garantir la stabilité du régime démocratique. Les forces de droite sont trop puissantes et ont dominé le tissu institutionnel pendant des siècles. Seule la présence active, militante, des gens dans la rue peut contrarier les plans des « golpistes ».

Deuxièmement, le coup a pu être arrêté car la mobilisation populaire qui s’est développée très rapidement en Équateur, s’est accompagnée d’une solidarité internationale forte et rapide dès les premières nouvelles du coup d’Etat. Elle a précipité la convocation d’une réunion extraordinaire de l’UNASUR à Buenos Aires. Le soutien sans faille apporté à Correa par les gouvernements d’Amérique latine et certains gouvernements européens a montré qu’un coup d’Etat, s’il réussissait, conduirait à l’ostracisme et à l’isolement politique, économique et international du pays. Il s’est avéré une fois de plus que l’UNASUR fonctionne et est efficace, et que la crise a été résolue, comme auparavant en Bolivie en 2008, sans l’intervention d’intérêts extérieurs à l’Amérique du Sud.

Troisième facteur, et ce n’est pas le moins important : le courage dont a fait preuve le président Correa, qui ne se laissa pas intimider et résista fermement au harcèlement et à l’emprisonnement, alors qu’il est plus qu’évident que sa vie était en grand danger et que, jusqu’à la dernière minute, quand il quitta l’hôpital, sa voiture essuya des tirs dans l’intention claire de l’assassiner. Si Correa avait fléchi ou laissé penser qu’il était prêt à se soumettre aux desiderata des ses capteurs, le résultat aurait été tout autre.

La combinaison des ces trois facteurs, à savoir la mobilisation populaire interne, la solidarité internationale, et le courage du Président, a fini par produire l’isolement des factieux, leur affaiblissement et facilité l’opération « Sauvetage » menée à bien par l’armée équatorienne.

 

3.-  Le coup d’Etat peut-il se reproduire ?

Oui, parce que ses bases ont des racines profondes dans les sociétés latino-américaines et dans la politique extérieure des Etats-Unis vis-à-vis de cette partie du monde.

Si l’on observe l’histoire récente de nos pays, on voit que des tentatives de coup d’Etat ont eu lieu au Venezuela (2002), en Bolivie (2008), au Honduras (2009) et en Équateur (2010), à savoir dans quatre pays où se produisent d’importantes transformations économiques et sociales et qui sont également
membres de l’ALBA.

Aucun gouvernement de droite n’a été perturbé par un coup d’Etat, dont la signature politique oligarchique et impérialiste est indéniable. Ainsi, le champion du monde de la violation des droits de l’homme, Alvaro Uribe, avec ses milliers de disparus, ses fosses communes, ses « faux positifs » [1] n’a jamais a été inquiété par des soulèvements militaires au cours de ses huit années de mandat. Et il est peu probable que d’autres gouvernements de droite de la région soient victimes de tentatives de putsch dans les années à venir.

Parmi les quatre tentatives de coup d’Etat depuis 2002, trois ont échoué et une seule, celle perpétrée contre Manuel Zelaya au Honduras, a été couronnée de succès. De manière significative, ce forfait a été perpétré au milieu de la nuit, ce qui a empêché que la nouvelle ne soit connue avant le lendemain matin et que le peuple ait le temps de se rassembler dans les rues et les places. Quand il l’a fait, il était déjà trop tard : Zelaya avait déjà été exfiltré. En outre, dans ce cas, la réponse internationale a été lente et tiède, manquant de la rapidité et de la force mises en évidence dans le cas de l’Equateur.

On doit en tirer une leçon : la rapidité de la réaction démocratique et populaire est essentielle pour désactiver la séquence des tentatives golpistes. Elles constituent rarement autre chose qu’un entrelacement d’initiatives et d’actions qui, en l’absence d’obstacles dressés sur leur chemin, se renforcent mutuellement. Si la réponse populaire ne se produit pas immédiatement, le processus se rétro-alimente et, quand on veut l’arrêter, il est déjà trop tard. La même chose est vraie aussi pour la solidarité internationale : pour qu’elle soit effective, elle doit être immédiate et sans concession dans la défense de l’ordre politique en vigueur. Heureusement, ces conditions ont été réunies dans le cas de l’Équateur, et c’est pourquoi la tentative de coup d’Etat a échoué. Mais il ne faut pas se faire d’illusions : l’oligarchie et l’impérialisme, peut-être par d’autres moyens, tenteront à nouveau de renverser des gouvernements qui ne se soumettent pas à leurs intérêts.

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(Traduction de Véronique Sandoval)




Source : ALAI AMLATINA, 1er octobre 2010.


[1On désigne par « faux positifs » les milliers d’assassinats perpétrés par les forces armées colombiennes, dont les victimes ont été travesties en combattants des FARC pour permettre aux militaires de toucher leurs primes d’objectifs.



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