Chroniques du mois

Une devise oubliée par « Les Européens »

mercredi 15 mai 2019   |   Bernard Cassen
Lecture .

Pour un responsable politique, être capable de donner un nom à un phénomène et d’en imposer ensuite l’usage dans le débat public, c’est aussi se placer en position avantageuse dans la construction d’un rapport de forces avec ses adversaires. A cette fin, des bataillons de spécialistes sont mobilisés pour fournir aux partis et aux gouvernements des plans de communication clés en main.

Dans les méthodes et les techniques utilisées par ces professionnels, il n’y a pas de différence fondamentale entre la campagne de lancement commercial d’un produit et la campagne électorale d’un candidat. Malgré tout, dans la plupart des États membres de l’Union européenne (UE), le champ politique a malgré tout ses spécificités, en particulier une attention particulière apportée aux mots : formules chocs, slogans, titres, « éléments de langage », argumentaires, etc.

C’est en particulier le cas en France où, traditionnellement, les dirigeants politiques se doivent aussi d’être des hommes et des femmes adeptes de la lecture et de l’écriture, des auteurs de livres prenant plaisir à citer tel ou tel poète ou philosophe dans leurs discours. L’un des reproches majeurs que François Ruffin, député de La France insoumise, fait à Emmanuel Macron est de ne pas avoir écrit un seul livre… En revanche, tout le monde convient qu’il est passé maître dans la manipulation du vocabulaire, comme en témoigne sa référence permanente à un prétendu clivage entre « progressistes » (dont il serait le chef auto-proclamé) et « populistes », et qui structurerait le paysage politique français. Pas seulement français, d’ailleurs, puisqu’il tente de transposer ce pseudo clivage au niveau de l’UE à l’occasion des élections au Parlement européen.

C’est précisément à ce niveau transnational que le pouvoir de nommer a le plus fort impact, et qu’il nous renseigne le plus sur la nature et le fonctionnement du projet européen. Il s’agit de l’utilisation de l’expression « Les Européens » et, cette fois, c’est le système médiatique qui lui a donné sa force propulsive initiale. Les dirigeants n’ont fait que suivre. Dans la période récente, quand des gouvernements d’États membres de l’UE ont voulu prendre des libertés avec le « cercle de la raison » de Bruxelles et de Francfort – et même s’ils inscrivaient leur action dans le cadre des traités européens –, il ont vu se dresser contre eux le front du refus des vingt-sept autres gouvernements et des institutions de l’UE, en premier lieu de la Commission. C’est ce bloc que les médias appellent « Les Européens » dont le mot d’ordre pourrait être « Tous contre un » !

Certains objecteront qu’il s’agit là d’une simple facilité de langage pour journalistes pressés. Mais cet usage se généralise et aucune institution communautaire ni aucun gouvernement ne met les opinions publiques en garde contre ce qui s’apparente à une déchéance symbolique de la « citoyenneté » de l’UE. Il ne faut donc pas s’étonner que, dans de larges secteurs des opinions publiques, l’Europe des « Européens » soit perçue comme une instance autoritaire et anti-démocratique ne tolérant pas les différences.

En 2015, « Les Européens » ont facilement fait capituler la Grèce d’Alexis Tsipras. La tâche se révèle plus difficile avec le Brexit de Theresa May. Sans nul doute, d’autres membres de l’UE prendront à l’avenir des initiatives qui les conduiront sur le banc des accusés face au tribunal des « Européens ». Ils pourront alors récuser leurs juges en rappelant que si l’UE a quatre symboles officiels, seuls trois sont bien connus : l’euro, l’hymne (l’Ode à la joie de Beethoven) et le drapeau étoilé jaune et bleu. Reste le quatrième : la devise « l’UE est unie dans la diversité ». Visiblement, ce n’est pas une source d’inspiration pour « Les Européens »…





A lire également