Chroniques du mois

La solution ou le problème ?

lundi 2 janvier 2017   |   Bernard Cassen
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A chaque grande crise – qu’elle soit nationale, européenne ou internationale – une partie des dirigeants politiques des pays membres de l’Union européenne (UE), la majorité des médias et la totalité des représentants des institutions de Bruxelles (Commission européenne), de Francfort (Banque centrale européenne-BCE), de Luxembourg (Cour de justice de l’Union européenne) et de Strasbourg (Parlement européen) répondent à l’unisson par un slogan : « il faut plus d’Europe » ou bien « L’Europe n’est pas le problème , mais la solution ». C’est ce que l’on peut appeler la rhétorique « européiste ».

En première analyse, cette posture est logique car des problèmes à dimension continentale, voire planétaire – risques d’écroulement du système financier international, terrorisme, flux migratoires de grande ampleur, montée des inégalités qui disloquent les sociétés, réchauffement climatique, destruction de la biodiversité, etc. – ne peuvent trouver le moindre début de solution par les décisions d’un seul Etat, si puissant qu’il soit. L’élargissement maximal du cercle des décideurs est donc un impératif.

Certains de ces problèmes sont pris en charge par les institutions de la famille des Nations unies, mais avec des succès très limités, sans être pour autant négligeables comme on l’a vu en décembre 2015 avec la signature de l’accord de Paris sur le climat lors de la COP 21. Entre le niveau national et celui des 193 membres de l’ONU, il existe un échelon intermédiaire, celui des ensembles régionaux, tels l’UE et la Communauté d’Etats latino-américains et caraïbes (Celac), qui combine au moins deux avantages : d’un côté, parce que chacun regroupe des Etats entre lesquels l’histoire a créé des affinités, il rend plus facile la prise de décisions consensuelles à proposer aux autres ensembles ; d’un autre côté, il contribue au recul des hégémonies et à la construction d’un monde multipolaire.

L’UE est certainement, et de loin, l’ensemble régional le plus intégré, ce qui devrait lui conférer, vis-à-vis du reste du monde, une responsabilité particulière, une sorte d’exemplarité. Encore faudrait-il que les gouvernements de ses 28 Etats aient un projet de société original à proposer et qu’ils soient sinon unanimes du moins très majoritaires à le défendre. Ni l’une ni l’autre de ces conditions n’est réunie.

Au lieu de constituer un bouclier contre les ravages sociaux et environnementaux de la mondialisation libérale, l’UE en est un agent actif, en particulier par son acharnement à promouvoir le libre-échange en son sein et dans ses relations avec les pays tiers. Le culte du marché et la toute-puissance de la finance ne représentent pas un modèle « exportable » hors de ses frontières puisqu’il y est déjà en place. Or demander « plus d’Europe » équivaut, dans les circonstances actuelles, à donner davantage de pouvoir aux instances non élues que sont la Commission et la BCE, et à déposséder les Etats des maigres marges de manœuvre qui leur restent pour répondre aux aspirations – pas toutes progressistes – de leurs citoyens.

La crise de la représentativité politique qui frappe pratiquement tous les Etats européens – et dont le Brexit, le « non » au référendum proposé par Matteo Renzi en Italie et la montée de l’extrême-droite et de la droite nationaliste sont les plus récents symptômes – peut en partie être considérée comme un « dommage collatéral » d’une forme de construction européenne qui a délibérément ignoré les peuples. A cet égard, l’UE, loin d’offrir des solutions, devient un problème dans la mesure où elle stérilise les nombreuses forces politiques et sociales qui se mobiliseraient pour élaborer des alternatives aux voies sans issue dans lesquelles elle est engagée.





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