Actualités

En Indonésie, la lutte des paysans de Kendeng

Les pieds dans le ciment

lundi 15 mai 2017   |   Alice Sakasi
Lecture .

Il y a près d’un mois en Indonésie, Bu Patmi (« Mère Patmi »), une paysanne engagée depuis le début du mouvement dans la région montagneuse de Kendeng, mourrait lors d’une manifestation à Jakarta. Une manifestation qui prenait une forme particulière : pendant une semaine, hommes et femmes muraient leurs pieds dans des bacs de ciment, en protestation contre un gigantesque projet industriel à Java. Au moment où elle a retiré ses pieds, Bu Patmi a eu des vertiges et nausées, le sang s’était coagulé. Elle est morte dans l’ambulance qui l’emmenait à l’hôpital, à l’âge de 48 ans. Sa mort a réveillé une émotion considérable à travers l’archipel. Depuis l’île de Sumatra jusqu’à la Papouasie, de nombreuses organisations de femmes, d’ouvriers, de paysans, d’étudiants, et de populations autochtones, ont manifesté leur solidarité avec Kendeng, en mettant à leur tour leurs « pieds dans du ciment ». C’est devenu un nouveau symbole de résistance, qui ravive les mémoires de trop nombreux morts qui hantent l’histoire contemporaine de l’Indonésie.

Les pieds dans le ciment

Une action forte, théâtrale, qui avait déjà été menée une première fois devant le palais présidentiel en 2016, à l’époque exclusivement par des femmes. Connues comme les « ibu ibu  » de Kendeng – un terme qui, en indonésien, signifie les « femmes » comme les « mères », celles-ci avaient suscité un vaste intérêt pour cette lutte non violente, en défense pour la nature, et dont les femmes sont les symboles. Comme elles disent souvent, si elles luttent contre l’usine de ciment, c’est avant tout pour la vie, pour le devenir de l’humanité. Avant de partir, Bu Patmi, avait dit à sa fille qu’elle allait à Jakarta pour défendre leur eau et leur terre, et à travers cela, l’avenir de ses enfants et petits-enfants. On l’appelle aussi la nouvelle « Kartini », en référence à Kartini, une figure pionnière du féminisme en Indonésie, qui s’était battue pour le droit de l’éducation des femmes sous l’époque coloniale. Lors de leur première manifestation « les pieds dans le ciment », les ibu ibu s’étaient également dénommées les « 9 Kartinis », inscrivant leur mouvement dans une longue histoire de résistance.

Située sur la côte nord, au centre de l’île de Java, la lutte dans la région de Kendeng, a commencé il y a déjà plus de dix ans, en 2006, lorsqu’une première usine de ciment de l’entreprise nationale « Semen Gresik » a voulu s’installer dans le district de Pati. Gorgée de rivières souterraines, de sources minérales et de calcaire, cette région constitue un emplacement rêvé pour la production de ciment. Mais les investisseurs avaient peut-être oublié que Pati est également l’un des chefs-lieux des Samin, connue à Java comme l’une des communautés historiques de résistance paysanne, née au 19ème en refusant de payer les taxes coloniales. Et qui s’est depuis, maintenue sur des principes d’autonomie et de désobéissance civile. C’est dans cette tradition que les Samin ont été à l’initiative de la lutte de Kendeng, qui n’a cessé de se renforcer en dix ans. Ils obtiennent une première victoire en 2009, lorsque les entrepreneurs décident de « repousser » le projet industriel [1].


C’est à Rembang, un autre district de Kendeng, que les entrepreneurs de l’entreprise nationale « PT Semen Gresik » décident de s’implanter dans un second temps, sous le nouveau nom « PT Semen Indonesia ». Le chantier est gigantesque, s’étalant sur 850 hectares au milieu de la jungle. Dès 2014, les paysans de Rembang rejoignent le mouvement aux côtés des Samin. Très vite, ils suscitent un vaste intérêt. D’une part pour leur fonctionnement autogestionnaire : s’ils bénéficient de multiples soutiens externes et d’ONG, ils gèrent eux-mêmes leur mouvement, y compris financièrement, autour de l’organisation JMPPK (Jaringan Masyarakyat Peduli Pegunungan Kendeng, Réseau populaire en défense des montagnes de Kendeng). D’autre part, le mouvement s’est fait connaître pour le rôle qu’y jouent les femmes. Selon un système rotatif, elles sont notamment chargées d’occuper, en permanence, une tente de protestation dressée à l’entrée du site industriel. La tente est devenue elle aussi un symbole du mouvement : on y mange, on y dort, on y chante, on y prie et on y discute. C’est l’ouverture à tout un monde, que les femmes contribuent à rendre accessible. Leur présence dans le mouvement a en effet permis de fédérer les solidarités, sachant que la lutte interpénètre les frontières du privé et s’immisce dans les familles.

La mort de Bu Patmi intervient alors que les évènements s’étaient accélérés. En août 2016, les paysans rencontrent à Jakarta le président Joko Widodo, surnommé « Jokowi », qui leur promet d’annuler le projet industriel. Suite à quoi, la Cour suprême vote en octobre 2016 la suppression du permis de construction de l’entreprise PT Semen Indonesia, jugée non conforme aux lois environnementales, qui protègent la région de Kendeng en tant que « zone géologique ». Une décision qui a été acceptée par le gouverneur de Java Centre, Ganjar Pranowo… avant que celui-ci ne vote, dès février 2017 une nouvelle loi qui réinstaure la légitimité de l’usine. En décembre 2016, l’usine avait été brûlée par un groupe de nationalistes et de fondamentalistes musulmans, du côté des « pro » usine ». Depuis, le président Jokowi s’est détourné de l’affaire, stipulant que celle-ci revient à la responsabilité des autorités locales.

C’est face à cette injustice profonde, et ce manque de représentativité croissante, que les paysans manifestaient en mars dernier. A l’enterrement de Bu Patmi, parmi les prières et célébrations, l’on entendait aussi résonner l’hymne national, à la manière d’un chant de lutte annonçant une victoire à venir.

La marche de l’histoire

Elu sur une base populiste en 2014 avec le soutien d’une frange de la « gauche » (bien que celle-ci ne se nomme pas toujours comme telle), Jokowi avait affiché une rupture avec les politiques du passé. Vantant ses origines paysannes, il s’adressait au « petit peuple ». Par-là, il cherchait non seulement à se distinguer de l’oligarchie corrompue et clanique au pouvoir sur des générations, mais il promettait aussi de punir les crimes impunis du passé. Construite sur la justification du massacre anti communiste, dont le nombre de victimes (non encore officiellement établi) s’élève entre 500 000 et 3 millions de morts, la dictature de l’Ordre nouveau de Suharto s’est caractérisée par un régime militariste, nationaliste et patriarcal ultra répressif… mis en place avec la complicité de la CIA, et en lien étroit avec les dispositifs de gouvernance de la Banque mondiale et du FMI (Fonds monétaire international). Dans le contexte de la guerre froide, l’Indonésie avait servi comme arrière base stratégique des Etats-Unis. En contrepartie, elle intégrait les politiques dites de développement de la mondialisation néolibérale.

Alors que l’Indonésie avait été soulevée par une large révolte populaire durant les années 1990, les aspirations de transformations démocratiques ont depuis déchanté. Certes, le pays se gouverne aujourd’hui comme une « démocratie ». Mais les structures instaurées par l’Ordre nouveau se maintiennent sous des formes nouvelles, auxquelles participe le gouvernement Jokowi. Un instant, son alliance avait néanmoins semblé possible avec les paysans de Kendeng. « Il est comme nous  », affirmait l’un d’eux. Il portait un tee-shirt Jokowi, et l’on trouvait sur le mur de sa maison en bois la photo de la fameuse rencontre avec le président. « C’est la première fois que l’on peut entrer en sandales dans le palais présidentiel. » Avant, cela aurait été inimaginable. « Il sait ce que c’est, que d’être paysan. Si nous portions des chaussures, nous aurions l’air de clown. Il nous comprend ». Dans un contexte national où les conflits agraires et les accaparements de terre font toujours plus de violences, donner victoire aux paysans de Kendeng permettait à Jokowi de reconquérir une forme de légitimité. D’autant plus que leur mouvement avait tout d’une « bonne » lutte, non violente : les paysans insistent davantage sur ce qu’ils défendent que sur ce qu’ils combattent. Comme l’expliquait l’un des portes paroles, Mas Gun : « Nous ne luttons pas contre l’Etat mais pour notre liberté  ».

Aujourd’hui, le mouvement prend une nouvelle ampleur. Dans une virulente lettre qu’ils adressent au président, les paysans redéfinissent leur camp social dans la perspective des luttes anti coloniales. Le 17 mars 2017, ils signaient collectivement :

« Monsieur le président, lorsque nous manifestons dans les villages, dans les capitales des provinces, dans la capitale du pays, nous sommes toujours perturbés par des menaces et des violences. Nous sommes vraiment des « orang desa » (des gens des campagnes), loin des grandes villes. Peut-être qu’il vous est difficile d’imaginer que nous travaillons à proximité de la terre, dehors dans la sueur du matin jusqu’au soir. Quand nous venons comme maintenant pour manifester devant le bureau du président ou le Palais national, nous sommes encerclés par la police, l’armée, des officiers qui nous espionnent et qui nous tirent dessus un par un. Nous nous sentons comme des animaux sauvages qu’il faut capturer pour qu’ils ne fassent pas de mal (…). Mais ce bâtiment n’est plus celui du gouverneur des Indes néerlandaises, monsieur le Président. Ce vieux bâtiment, où nous nous sommes rendus, est à présent un symbole de l’indépendance de l’Indonésie. Nous sommes des citoyens qui sont très fiers et dignes d’être paysans, Monsieur le président.  »

Fiers d’être paysans

Cette fierté de paysans est au cœur de l’identité des Samin, qui font notamment du métier de paysans une obligation. C’est pour eux, la seule manière de vivre en cohérence totale avec leurs principes de non-violence et d’honnêteté. Indépendants du système d’exploitation et de production capitaliste, cela leur permet de vivre directement de leur labeur. Plus qu’un travail, le métier de paysan est également perçu comme une pratique spirituelle, qui place l’humain en rapport permanent avec la nature et le cosmos. Sachant que dans la cosmologie javanaise le rôle des humains est d’assurer l’équilibre entre le monde (terrestre) et le cosmos, peuplé d’ancêtres, d’esprits de la nature, de divinités, etc. C’est sur ces bases que le mouvement Samin s’est établi comme un mouvement de résistance culturelle : d’abord aux politiques coloniales, puis aux politiques nationales. A travers les époques, ils ont refusé d’endosser l’une des religions monothéistes qu’impose l’Etat ; de parler l’indonésien ; ou encore d’envoyer les enfants à l’école.

Plutôt, ils font les choses à leur manière : ils ont leur propre école, parlent le javanais, et sont fidèles à la cosmologie javanaise, faite de pratiques animistes. Longtemps discriminée, leur vision se réactualise aujourd’hui et parle au plus grand nombre : aux habitants « non Samin  » en lutte dans la région de Kendeng, ainsi qu’à de multiples groupes d’activistes et d’intellectuels. Nombre d’entre eux trouvent chez les Samin une source d’inspiration, une forme d’ontologie de l’anticapitalisme, fondée sur une écologie politique et spirituelle, qui se vit directement là où on la théorise par ailleurs. Surtout, leur mouvement invite à une forme de désaliénation de l’esprit et à une réappropriation des intelligences collectives, qui naissent de la pratique et des rapports aux autres. C’est l’idée que le « petit peuple » sait mieux ce dont leur pays a besoin que les experts et technocrates qui le gouvernent.

Dans leur lettre, les paysans déclaraient aussi : « Monsieur le président, nous savons que la majorité des employés gouvernementaux sont à votre service, en tant que fonctionnaires d’état. Or, ceux qui nous dérangent nos vies et qui méprisent notre dignité humaine, brisent l’unité de notre peuple paysan dans les montagnes de Kendeng, et nous blâment comme si nous étions de mauvaises personnes – ce sont justement les chefs des bureaux gouvernementaux, les fonctionnaires de plus haut rang, les professeurs d’université avec la meilleure éducation. La plupart connaissent l’état de droit et les lois, mais c’est devenu le droit, les lois, et les juridictions, qui trompent le peuple. »

Lutter, apprendre, s’émanciper 

Depuis le début du mouvement, l’un des enjeux a consisté à prouver comment la construction de l’usine de ciment est non seulement illégale, mais repose aussi sur des données falsifiées. Selon les procédures de la Banque mondiale qu’applique l’Indonésie en matière de protection de l’environnement, tout projet industriel doit au préalable être validé par une étude d’impact sur l’environnement (EIE), en indonésien l’AMDAL (Analisis Mengenai Dampak Lingkungnan). Or, dans le cas de Kendeng, ce rapport a produit de fausses informations. En soutien aux paysans en lutte, le commissaire de la Commission nationale des droits humains (KOMNAS HAM), Nur Khoinon, déclarait en 2014 que ce rapport violait les droits de l’homme. Décrivant l’AMDAL comme une arme de légitimité politique, il soulignait l’ampleur nationale du problème : « Les conflits entre les populations locales et les entreprises qui font suite à l’accord de AMDAL ne se passent pas seulement à Rembang, mais aussi dans d’autres régions » [2].

Face à cela, les paysans de Kendeng ont non seulement fait alliance avec plusieurs groupes d’activistes, scientifiques et juristes. Ils se sont également lancés dans une série d’explorations géologiques et spéléologiques, afin de démentir le rapport de l’AMDAL par des preuves scientifiques. L’occasion aussi de partir à la découverte de leur territoire. Lampes frontales, caméra et téléphones portables à la main, l’une des missions était de descendre à une vingtaine de mètres sous terre d’une grotte vierge où se cachait une rivière souterraine… tout en filmant la performance. « La lutte nous a permis d’apprendre et de faire un tas de choses. Pour commencer, nous avons dû apprendre à manier une caméra, afin que l’on puisse être totalement autonomes dans notre mouvement  ». Une telle démarche renvoie très clairement à l’adage des Samin, que les paysans de Rembang citent régulièrement, selon lesquels l’ « école c’est la nature » et nous « sommes tous les professeurs les uns des autres ». Des expressions qui, placées hors contexte, pourraient sembler galvaudées, mais qui prennent ici une importance réelle.

La science est ainsi devenue un champ de bataille, séparant deux visions antagonistes. De manière similaire que les Samin ne vont pas à l’école officielle, le niveau d’éducation des paysans de Rembang ne dépasse généralement pas l’élémentaire. Mais lorsqu’on les rencontre, ils se disent riches de connaissances et d’une compréhension du monde, par lesquels ils distinguent leur intelligence d’un savoir livresque ou institué. Ici, la culture n’est pas une propriété individuelle, ou un titre qui sert de plus-value sur le marché. C’est quelque chose de vivant, qui circule, se réinvente et renforce les rapports du quotidien. La lutte a permis d’amplifier le phénomène, permettant par ailleurs à de nombreux talents de se développer. Tout en maintenant leur travail dans les champs, les gens sont devenus, selon les personnalités, des caméramans, porte-paroles, graphistes, dessinateurs, etc. Un tel climat d’émancipation collective a largement bénéficié aux femmes. Le fait qu’elles occupent la tante, qu’elles se déplacent dans les villes, avec ou sans leurs familles, est tout à fait inhabituel, au vu du contexte rural, aux structures profondément patriarcales.

Sans que celles-ci ne soient directement remises en cause ou combattues, la lutte a permis de transformer la vie des gens et leurs rapports entre eux, décloisonnant certaines barrières et renversant des normes. Actrices de combat, fédératrices des communautés, les femmes ont également contribué à donner au mouvement sa valeur esthétique. Ressortant de leurs placards leurs « batiks » - des tissus traditionnels javanais, faits et teints à la main, que l’on revêt autour de la taille en guise de jupe, les femmes se sont mises en scène dans de multiples performances – que ce soient lors des manifestations dans les grandes villes, ou des nombreux rituels dans la nature. Ainsi, entre chants, danses, et actions théâtralisées, cette lutte pour la nature s’est aussi faite au nom d’une culture et de traditions à défendre. Et loin de les transmettre de manière figée, le mouvement a pris une teneur éminemment créative, à la lisière permanente entre le sacré et le profane.

C’est ainsi que les paysans, femmes notamment, ont travaillé aux côtés de nombreux artistes soutenant le mouvement, comme le fameux groupe anarcho-punk Marjinal, ou encore un jeune compositeur musulman, qui a prêté sa plume à nombreux chants d’inspiration javanaise. Ce mélange entre arts, lutte et croyances a également permis une réappropriation populaire du religieux. Sachant que la région de Kendeng est dominée par des élites musulmanes, celles-ci ont été critiquées, sur la base des enseignements religieux, pour leur affiliation avec les entrepreneurs et le capital. De même que le mouvement perce l’hégémonie de l’islam, le « javanisme », c’est à dire la mystique javanaise, qui a longtemps servi le pouvoir, reprend actuellement le sens que leur donnent les Samin, dans une tradition de résistance populaire.

Avec le monde

Pour conclure, une anecdote : un soir du mois d’août 2017, alors que nous étions devant la « tente de Kendeng » et que nous regardions le va et vient permanent des camions d’ouvriers, soudain, la lutte parut absurde. L’usine était déjà construite à plus de 90%, le chantier énorme, et la jungle déjà détruite par les routes et le site de béton. Face à ce pouvoir inexorable du capital et des ouvriers qu’ils enchaînent, que pouvaient faire ces paysans qui, malgré l’ampleur de leur mouvement, paraissent soudain si petits ? Leur combat parut imaginaire, fou, impossible. C’est aussi à ce moment que l’un des paysans pointa du doigt les étoiles, une pluie d’étoiles qui tombaient sur la jungle bruissante de musique. « Ils sont tous avec nous  », dit-il en souriant. Ce sourire, on le retrouve dans les yeux de toutes celles et ceux que nous rencontrons par ailleurs, et qui affirment une conviction inébranlable dans la justesse de leur lutte. En quelque sorte, celle-ci s’opère selon un autre espace-temps, affranchi des lois et des normes politiques qui castrent les possibles et les imaginaires. C’est aussi dans cette même logique, que les paysans affirment souvent ne pas avoir peur de la mort.

Désormais construite à plus de 98%, l’usine devait être inaugurée en avril 2017. Son ouverture
est imminente, et les habitants attendent les résultats d’un ultime rapport d’expertise environnementale, le KLHS (Kajian Lingkungan Hidup Strategic). On affirme que cette fois, les scientifiques devraient être objectifs. Jokowi se prononcera à partir de ce rapport. Sachant qu’au total, cinq milliards de roupies indonésiennes (environ 355 millions d’euros) ont déjà été investis. Face à une somme aussi colossale, il semble difficile de faire marche arrière. Même si les paysans n’ont cessé de répéter qu’ils avaient empêché cette construction dès le début… et qu’une telle somme n’est rien comparée aux dégâts naturels qui seront générés dans l’avenir. Les entrepreneurs ont déjà tenté de justifier leur projet à travers l’argument de la création d’emplois, puis du respect des normes environnementales. Mais le refus des paysans est catégorique, sans aucun compromis. La construction de l’usine leur semble impossible, car elle viole fondamentalement l’ordre du monde. Et ils iront jusqu’au bout de leur lutte pour s’y opposer corps et âmes. Comme une femme disait, « je suis toujours prête, à n’importe quelle heure du jour et de la nuit ».

Il est impossible de savoir à cet instant la tournure que prendront les évènements dans les mois à venir. Les déplacements forcés qui sévissent suite à la construction de géants projets industriels (et agricoles) et de résistances paysannes sont quelque chose de courant. L’on doit pouvoir s’attendre au pire, et préparer nos solidarités internationales. Sachant que celles-ci sont déjà en cours de construction. Mbak Gun, l’une des porte-paroles du mouvement, et membre des Samin, est actuellement en Allemagne, accueillie par l’organisation Watch Indonesia. L’objectif était de s’entretenir avec le comité de direction de la multinationale Heidelberg Cement, deuxième producteur de ciment au monde, qui possède en Indonésie le groupe Indocement Indonesia. Encore un autre projet industriel en cours, contre lequel les paysans se battent dans la région de Kendeng. La réunion a eu lieu récemment, le mercredi 11 mai. Dans quelle mesure fera-t-elle bouger les lignes ? A suivre.

Mais déjà, ce séjour européen a été l’occasion d’organiser une campagne de solidarités, autour du film « Samin versus Cemen » réalisé par Dandhy Laksono, qui est projeté dans dix villes en Allemagne. Des projections qui ont été accompagnées par de nombreuses manifestations. Là encore, on mettait les « pieds dans le ciment ». Mbak Gun était aussi présente dans la grande manifestation du 1er mai, où elle portait fièrement la banderole de Kendeng Lestari ! Vive Kendeng ! La France gagnerait à soutenir ce mouvement, qui se construit avec et pour le monde. A quand verrons-nous des actions « les pieds de ciment » se multiplier dans nos villes et campagnes ?




[1Alexandra Crosby, « Too precious to mine », Inside Indonesia, 18 octobre 2009 : http://www.insideindonesia.org/too-precious-to-mine

[2« Komnas HAM : Pembuatan Amdal Pabrik Semen di Rembang Langgar Ham », Kompas.com, 2 décembre 2014 : http://regional.kompas.com/read/2014/12/02/20330301/Komnas.HAM.Pembuatan.Amdal.Pabrik.Semen.di.Rembang.Langgar.HAM



A lire également