Les contributions de Jacques Sapir

Au lendemain du conseil européen des 18 et 19 octobre

Tout va très bien, Madame la marquise…

lundi 22 octobre 2012   |   Jacques Sapir
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Le Conseil européen des 18 et 19 octobre a abouti à un échec que l’on cache plus ou moins sous des communiqués ronflants [1] et des articles où la flagornerie perce sous l’apparente objectivité [2]. A croire que la chanson popularisée avant guerre par Ray Ventura et son orchestre des Collégiens, Tout va très bien madame la marquise, est devenue le nouvel hymne des dirigeants français sur la question européenne. Pourtant, même dans la presse européenne et française, les doutes commencent à se faire insistants [3].

Si le principe d’un accord de supervision bancaire a bien été accepté pour l’ensemble des banques de la zone euro, les conditions de sa mise en œuvre n’ont pas été précisées. Elles font l’objet de discussions importantes, que ce soit par la Grande-Bretagne (qui entend bien garder le contrôle de ses établissements financiers) que par l’Allemagne. De fait, de sérieux obstacles juridiques existent, et ils ont été rappelés par Angela Merkel [4]. La chancelière a même déclaré : « Rien qu’à regarder le processus pratique, il est absolument clair que ceci ne se mettra pas en place en un mois et demi » [5], sonnant par là même le glas des espérances françaises et espagnoles de voir l’Union bancaire aboutir d’ici la fin de l’année 2012.

Ces obstacles devraient retarder l’application de l’accord au 1er janvier 2014, et surtout aboutir à ce qu’ils ne portent que sur les passifs accumulés à partir de cette date [6]. En d’autres termes, le projet d’une Union bancaire comme instrument de résolution de la crise des banques espagnoles, grecques et portugaises a lamentablement échoué, car les mauvaises dettes sont déjà présentes dans les passifs. D’ici à 2014, on estime que seront révélés 270 milliards de pertes pour les seules banques espagnoles [7].

De même, si le communiqué final insiste sur la nécessité de briser le cercle vicieux entre les banques et les dettes souveraines des États, l’aide directe du Mécanisme européen de stabilité (MES), qui était sérieusement envisagée pour l’Espagne, se trouve, de fait, reportée après la mise en œuvre de l’Union bancaire, soit après le 1er janvier 2014. Il y a donc contradiction entre le discours et les actes, ce qui n’est pas pour étonner. Le renvoi de la décision à une réunion de l’Eurogroupe n’a fait qu’acter l’existence du blocage [8].

En ce qui concerne les « avancées » de l’intégration économique et politique, que des dirigeants français de premier plan avaient annoncées à grand son de trompe, le blocage est encore plus total. En s’en remettant aux autorités nationales pour trouver un accord sur ce que l’on appelle le « six-pack » et le « two-pack », le Conseil a reconnu l’ampleur des divergences. De même, l’idée d’un budget européen renforcé n’a pas été retenue, et Angela Merkel a opposé une fin de non-recevoir à l’émission de « dettes communes », soit à l’émission d’eurobonds. À l’inverse, le projet allemand d’une supervision directe des budgets nationaux par la Commission n’est même pas cité. C’est donc bien à un constat de blocage complet qu’il faut alors conclure.

Enfin, sur la Grèce, si le Conseil donne acte au Premier ministre Samaras des efforts imposés à son peuple, il n’a été nullement question des deux ans supplémentaires réclamés à cor et à cri. Ici encore le Conseil a été incapable d’aboutir à un accord. Si la Grèce recevra très probablement les 31 milliards d’euros dont elle a besoin d’ici décembre sous peine de faire défaut, le problème de son financement se posera à nouveau dès la fin du mois de janvier 2013. Il semble donc que le Conseil européen des 18 et 19 octobre dernier n’ait fait que repousser de quelques semaines les échéances.

Rien de ceci n’est très glorieux, et il n’y a aucune raison de pavoiser. La zone euro s’achemine vers un terrible retour de crise, qui surviendra entre le début de 2013 et le printemps. Il sera alors bien tard pour prendre les mesures qui s’imposeront alors par la force du désastre. L’affirmation du président François Hollande selon laquelle « la sortie de crise de l’euro, nous en sommes près, tout près » apparaît ainsi malencontreuse et quelque peu aventureuse. Le 16 avril 1940, Paul Reynaud, nouveau président du Conseil, déclarait devant le Sénat que « la route du fer est coupée ». Moins d’un mois plus tard c’était l’offensive allemande sur l’ouest de l’Europe. Des hommes politiques responsables devraient se souvenir que l’avenir se plie fort rarement à leurs rêves.

 




[1Jean-Gabriel Fredet, « Bruxelles : accord a minima ou compromis en trompe-l’oeil ? », Le Nouvel Observateur, 19 octobre 2012.

[2David Revault d’Allonnes et Philippe Ricard, « A Bruxelles, M. Hollande et Mme Merkel s’accordent sur un compromis minimum », Le Monde, 20 octobre 2012.

[3« Sommet européen : les avancées… et les blocages », La Tribune, 19 octobre 2012.

[4RTT News, RTT Staff Writer, « Merkel Casts Doubt On Setting Banking Union By Year-End », 20 octobre 2012 : http://www.rttnews.com/merkel-casts-doubt-on-setting-banking-union-by-year-end

[5[Angel Merkel, “Just looking at the practical process, it is absolutely clear that this is not going to take place in a month and a half », cité par Die Welt, « Creation of EU banking union ‘will take years’ » le 19 octobre 2012

[6J. Kanter, « German Refusal on Bank Aid Mars End of Europe Summit » The New York Times, 19 octobre 2012.

[7C. Penty, « Spain Banks Faces More Losses as Worst-Case Scenario Turns Real », Bloomberg, 17 octobre 2012.

[8« Sommet européen : les avancées… et les blocages », La Tribune, 19 octobre 2012, op.cit.



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