Les « Commentaires » d’Immanuel Wallerstein

Commentaire n° 488, 1er janvier 2019

Donald le désespéré, ou Trump le fier-à-bras

lundi 4 mars 2019   |   Immanuel Wallerstein
Lecture .

Donald Trump déploie tous ses talents rhétoriques afin que les regards du monde entier restent concentrés sur lui et lui seul. S’il fait autant d’efforts c’est précisément parce qu’il est de plus en plus évident pour la plupart de la classe politique et des acteurs de la vie publique, aux États-Unis comme ailleurs, qu’il perd constamment du terrain. Ils sont de plus en plus nombreux à ignorer ses exigences. Et c’est surtout très clair pour Donald Trump lui-même.

Aussi fait-il des choses qui heurtent tout le monde simplement pour empêcher d’autres de rassembler les voix sur des questions [1] qui excluent monsieur trump du centre de l’action à l’échelle mondiale.

Il a paralysé (« shutdown ») [2] le gouvernement des États-Unis, ou du moins la partie qui n’a pas encore bénéficié d’une existence renouvelée de quelques mois. Il a déclaré qu’il est fier de l’avoir fait, à la consternation de presque toute la classe politique. Il clame qu’il ne cèdera pas tant que la somme absurde [plus de 5 milliards de dollars de crédits] qu’il exige pour la construction de son cher mur ne sera pas votée. Les crédits ne seront pas votés.

Pourquoi, me demande-t-on, se conduit-il ainsi ? La réponse est tellement simple qu’elle en est presque bête. Il se conduit ainsi parce il n’y a rien d’autre qu’il puisse faire ou utiliser pour valider sa prétention à être reconnu comme quelqu’un d’important.

Il s’est envolé dans le plus grand secret pour aller rendre visite aux soldats américains en Irak. Il déclare qu’il va retirer la totalité des troupes américaines de Syrie et une partie de celles déployées en Afghanistan. Il faudra voir s’il le fait vraiment. Ou si, comme les trois présidents précédents, il va revenir sur sa promesse.

Mais peu importe pour le moment. Pour le moment, il fait valoir qu’il est important. Une chose est certaine : il est toujours le président des Etats-Unis. Il dispose de certains pouvoirs qu’il peut utiliser. C’est précisément ce qui inquiète beaucoup les gens partout dans le monde.

Aussi offre-t-il au monde un marchandage : « Dites que Trump est important même si vous ne le pensez pas et je ferai une fois de plus marche arrière ». Voyez à quel jeu futile on a en fait affaire. Mais peu importe à monsieur Trump, qui n’a qu’un seul but : assurer sa réélection en 2020.

Vive les jeux dangereux !

 

Traduction et notes : Mireille Azzoug




[1Elisabeth Warren, sénatrice démocrate et l’une des plus féroces adversaires de Trump, a déjà lancé un comité de soutien en vue d’une éventuelle candidature aux prochaines élections (en 2020), parmi d’autres candidats potentiels (notamment Joe Biden, l’ex-vice-président de Barack Obama, Bernie Sanders, John Kerry…)

[2Il s’agit en fait du blocage (« shutdown ») de 25 % des services de l’administration fédérale qui ne sont plus financés depuis le 22 décembre, ce qui fait que quelque 800 000 fonctionnaires (sécurité aérienne, FBI, entretien des parcs…) ne sont plus payés (ce qui met en difficulté ceux qui ont de plus bas salaires).
Selon la Constitution, le budget fédéral doit en effet être voté par les deux chambres, à une majorité qualifiée de 60 % pour le Sénat, et la loi budgétaire doit être approuvée par le président, qui dispose d’un droit de véto. Le blocage du budget fédéral aboutit à la fermeture de certains (soit 7) secteurs : la Défense, la diplomatie, l’aide extérieure, l’éducation, la justice, la recherche…, les autres secteurs bénéficiant d’une reconduction automatique de leur budget au titre des dépenses obligatoires (retraites, protection sociale, programmes d’aide de l’État…) inscrites dans les lois existantes.
L’année budgétaire s’ouvre aux Etats-Unis le 1er octobre. Le projet de loi budgétaire incluant 5 milliards de dollars pour la construction du mur a été voté par l’ancienne Chambre des représentants à majorité républicaine (le 20 décembre 2018, par 217 voix contre 185), mais pas par le Sénat (les Républicains ne disposant pas de la majorité requise de 60 %), lequel a proposé un budget transitoire pour éviter le « shutdown », ce que D. Trump a refusé.
Un budget transitoire vient d’être voté par la Chambre des représentants à majorité démocrate nouvellement élue (en novembre 2018, entrée en fonction début janvier 2019 : Démocrates : 53,4 %, Républicains : 44,6 %), mais le Sénat refuse de la voter, le chef républicain du Sénat ayant indiqué qu’il ne programmerait de vote sur le « shutdown » que s’il avait le feu vert de Donald Trump, qui s’y oppose tant que les crédits du mur ne sont pas inscrits dans la loi et votés. D. Trump a menacé de reconduire le « shutdown » pendant des années et de fermer purement la frontière avec le Mexique, ou, dernièrement, de décréter l’urgence nationale pour construire le mur.
Source notamment : CNN politics en ligne, 21 déc. 2018, 7 janv. 2019



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