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Elections brésiliennes : retour sur les évènements depuis 2014

vendredi 5 octobre 2018   |   Joaquim Mendes
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A l’occasion des élections générales brésiliennes de ce mois d’octobre (7 et 28) , Mémoire des luttes propose une série d’articles courts pour mieux en comprendre le contexte et les enjeux.

Ces éclairages sont proposés par Joaquim Mendes, analyste politique présent sur place.

Dans cette première correspondance, il revient sur les évènements politiques qui ont secoué le Brésil depuis 2014, de l’élection de Dilma Rousseff à l’annonce du candidat du Parti des travailleurs (PT) Fernando Haddad à l’élection de 2018.

Tous les observateurs brésiliens et étrangers s’accordent à dire que les élections brésiliennes de 2018 sont particulièrement polarisées. En effet, tout oppose les deux favoris dans les sondages. Tous deux sont aussi appréciés que détestés : le candidat d’extrême-droite Jair Bolsonaro (Parti social libéral, PSL) et Fernando Haddad (PT), candidat soutenu par l’ancien président Luiz Inácio Lula Da Silva (du même parti et en poste de 2003 à 2011).
Il faut commencer par rappeler que cette polarisation n’est pas nouvelle puisque l’élection de 2014 était déjà été extrêmement clivée. La nouveauté ici n’est donc pas dans l’existence d’un clivage mais plutôt dans le fait que celui-ci ne s’articule plus entre le PT et la droite traditionnelle mais entre le PT et l’extrême-droite incarnée par Jair Bolsonaro.

Cette nouvelle configuration politique ne doit rien au hasard et s’explique tant par le caractère extrêmement inégalitaire de la société brésilienne que par l’actualité politique depuis 2014.

 

Une société parmi les plus inégalitaires et dangereuses au monde

Commençons par une série de chiffres pour illustrer le caractère socio-économique de la division entre les brésiliens.
En 2017, le Brésil est le 9ème pays le plus inégalitaire au monde (coefficient de Gini). 40 % de la population y gagne moins que le salaire minimum et les 6 personnes les plus riches du pays gagnent autant que les 100 millions les plus pauvres (Donnés nationales brésiliennes et rapport Oxfam 2017).
De plus, l’inégalité est directement liée à la couleur de peau : si 54 % des brésiliens se disent noirs ou métis, on retrouve 70 % de blancs parmi les 10 % les plus riches et 74 % de noirs ou métis parmi les 10 % les plus pauvres selon l’Institut brésilien de géographie et statistique (IBGS). Dans les favelas, la population noire ou métisse est toujours, selon l’IBGS, de 77 %.

Ces inégalités sont intimement liées à la grande dangerosité du pays. Un sondage Datafolha paru le 2 octobre 2018 révèle que 88 % des brésiliens se sentent en insécurité. Parmi les 50 villes de plus de 300 000 habitants ayant les taux d’homicides le plus élevé au monde dressé par l’ONG mexicaine Seguridad, Justicia y Paz pour l’année 2017, le Brésil en compte 17 (dont 11 dans la région Nordeste).

L’Institut de recherche économique appliquée (IPEA) et le Forum brésilien de sécurité publique (FBSP) font état pour l’année 2016 d’un total de 62 517 homicides, soit 30,3 pour 100 000 habitants. C’est 30 fois la moyenne européenne et plus de 3 fois le seuil jugé comme critique par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Là encore, la violence ne touche pas tous les individus de la même manière, et 71,5 % des personnes assassinées la même année étaient noires ou métis.

 

De la réélection de Dilma Rousseff à l’Impeachment

La période récente a été riche en péripéties pour la démocratie brésilienne. Nous revenons ici sur ces quatre années.

Après une réélection compliquée en 2014, la présidente Dilma Rousseff fait face à la dureté de la crise qui frappe le Brésil. Le 17 mars 2014 éclate la désormais célèbre affaire « Lava Jato » lorsqu’une enquête policière apparemment anecdotique sur de petites sociétés blanchissant de l’argent met en évidence des liens entre ces sociétés et les géants brésiliens pétroliers (Petrobras) et de la construction (Odebrecht) sur fond de financement illicite de campagnes électorales contre l’attribution irrégulière de marchés publics. Une corruption non seulement généralisée mais aussi systémique puisqu’elle doit beaucoup à la complexité de la bureaucratie brésilienne, à la faiblesse des organismes de contrôle fragilisés par le mille-feuille d’une fédération de 27 Etats (26 + District Fédéral), ainsi qu’à l’impératif de nouer des coalitions de nombreux partis pour espérer obtenir des succès électoraux. Alors que le scandale touche de nombreux acteurs économiques et s’étend de près ou de loin à l’essentiel de la classe politique brésilienne, au début de l’année 2016 l’ex-président Lula est lui-même mis en examen et un nombre grandissant de brésiliens appellent à la destitution de la présidente Dilma Rousseff. Une demande de destitution effective est déposée puis examinée et validée par une commission parlementaire au motif de « crime de responsabilité » pour avoir fait supporter par des organismes publics une partie des dépenses courantes incombant à l’Etat afin de minimiser le déficit à l’occasion de l’élection présidentielle. Si elle est effectivement avérée, cette pratique comptable avait déjà été utilisée par les précédents présidents sans que cela n’ait donné lieu à une telle procédure. Au terme de nombreux votes et débats, la destitution est effective le 31 août 2016 et Michel Temer, jusqu’ici vice-président, devient le nouveau président de du Brésil.

 

Un nouveau président à l’impopularité record

Très vite, Michel Temer donne le ton d’une politique faisant de la maîtrise de l’inflation et de la réduction des taux d’intérêts une priorité. Il entend pour cela lutter contre les déficits publics et relancer l’activité par l’investissement.

Appliquant les recettes libérales, il privatise un certain nombre d’entreprises, d’usines ou encore d’infrastructures de transport et ouvre des zones d’exploration d’hydrocarbures aux entreprises étrangères. Il facilite dans le même temps le déboisement au profit de l’agro-business via une réduction des amendes et la remise en cause de certains espaces protégés.

Il engage une réforme du droit du travail qu’il mènera à son terme, supposée favoriser l’emploi et réduire la part de l’emploi informel. Il parvient de même à une modification de la Constitution gelant pour 20 ans les dépenses publiques, dont l’augmentation sera limitée à l’inflation. Il tente par ailleurs une réforme du système des retraites certes nécessaire du point de vue comptable, mais particulièrement violente et injuste dans le contexte inégalitaire du Brésil précédemment évoqué.

Détesté par l’électorat de gauche qui se juge victime d’un coup d’Etat de la part des élites brésiliennes, Michel Temer est à son tour frappé par plusieurs accusations de corruption. Les procédures judiciaires à son encontre sont gelées par le Congrès qui se montre dans son cas davantage soucieux de garantir la stabilité politique que dans celui de Dilma Rousseff. Néanmoins, elles lui valent le désaveu d’une grande partie de l’électorat traditionnel de droite et un taux d’approbation historiquement bas (entre 1 % et 6 % selon les sources) qui explique qu’il ne se présente pas aux élections de 2018.

 

Le Parti des travailleurs également détesté

Quant au PT, il fait l’objet d’une haine devenue viscérale et dont les origines et les formes sont diverses. Il y a d’abord une haine historique et naturelle de la part de la droite libérale qui a tôt fait de l’associer à tort à l’idéologie communiste. Vient ensuite la haine des classes moyennes, qu’elles soient anciennes ou doivent leur enrichissement aux politiques des années Lula. En effet, celles-ci voient leurs exigences de développement des infrastructures de transports, d’éducation et de santé largement insatisfaites lors des années Lula/Dilma et craignent, dans un contexte de crise, de perdre leur statut. Elles reprochent souvent à Lula de s’être appuyé sur les élites agro-exportatrices pour redistribuer aux plus pauvres, sortant les uns de la misère et enrichissant davantage les autres en laissant de côté leurs propres aspirations. S’ajoute à cela la haine viscérale due aux scandales de corruption qui, s’ils n’ont épargné aucun parti, ont été davantage imputés au PT alors plus en responsabilité politique que les autres. De plus, le PT s’est toujours présenté comme en rupture avec les autres partis en se souciant d’abord, encore et toujours, des intérêts du peuple, un positionnement qui retentit pour beaucoup de brésiliens comme une amère trahison suite aux scandales. Toutefois, si y compris les classes populaires sont nombreuses à détester le PT et Dilma Rousseff (qu’ils jugent victime d’impeachment mais néanmoins incompétente), elles continuent d’aduler Lula. Un paradoxe qui explique la stratégie du PT au cours de la campagne de 2018 et sur lequel nous reviendrons dans notre prochain article.

Edition : Mémoire des luttes

Illustration : Jair Bolsonaro & Fernando Haddad





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