L’ascension de la Chine en Amérique latine est incontestable. L’Amérique latine dispose de deux espaces commerciaux dynamiques : d’une part, le bassin caraïbe, centré sur les États-Unis et, d’autre part, l’Amérique du Sud, davantage tournée vers la Chine. L’un ne se développe pas beaucoup, l’autre connaît un développement plus rapide. La Chine se positionne comme le second partenaire commercial de l’Amérique latine pour l’année 2015, faisant ainsi reculer l’Union européenne à la troisième place et se rapprochant de plus en plus des États-Unis.
La fragilité de la reprise des grandes économies mondiales à partir de 2009 a poussé Pékin à chercher de nouveaux partenaires et à renforcer les accords d’intégration productifs dans la zone Asie-Pacifique afin de dynamiser son commerce extérieur, en application de son XIIe plan quinquennal 2011-2015. Dans ce cadre, sa politique extérieure consiste à renforcer les relations de coopération dans les domaines du commerce, de la finance et du développement, avec la possibilité d’aller vers une intégration commerciale plus poussée avec l’Amérique latine sur la base des complémentarités identifiées entre les deux acteurs [1].
D’un autre côté, la Chine renforce son rôle stratégique dans la région en s’appuyant sur la Banque de développement de Chine (CDC) et la Banque d’import-export de Chine, qui interviennent de deux manières : 1) elles consentent des prêts à long terme pour l’acquisition d’équipements et d’infrastructures d’origine chinoise ; 2) elles accordent des prêts gagés sur des matières premières, principalement des hydrocarbures. La majeure partie des prêts chinois entre 2005 et 2013 a été accordée aux gouvernements du Venezuela (50,6%), de l’Argentine (14,1%), du Brésil (13,3%) et de l’Équateur (10%) qui disposent d’abondants gisements d’hydrocarbures. Le montant des crédits chinois pour cette période s’est élevé à 98 milliards de dollars, à comparer avec les 163 milliards qu’ont prêté ensemble, et pour toute la région, la Banque mondiale et la Banque interaméricaine de développement.
Les relations de la Chine avec le Marché commun du Sud (Mercosur) connaîtront un nouvel essor cette année avec l’ouverture d’une ligne de crédit swap (échange) [2] – permutation des devises – au profit de l’Argentine pour un montant de 70 milliards de yuans (11 milliards de dollars). Il s’agit, pour Buenos Aires, de consolider ses réserves de change dans une conjoncture difficile. Cette initiative constitue un second pas en faveur de l’internationalisation du renminbi [3] en Amérique latine. L’Argentine sera ainsi le second pays latino-américain à ouvrir une ligne de swap avec la Chine, après le Brésil, qui dispose d’une telle ligne depuis 2013 à hauteur de 190 milliards de yuans (31 milliards de dollars). La Chine a en outre développé une stratégie avec les pays membres de l’Alliance du Pacifique [4] en établissant des agences de la Banque de construction de Chine au Chili et de la Banque industrielle et commerciale de Chine au Mexique et au Pérou fin 2014.
Le récent sommet du Forum de coopération économique Asie-Pacifique (APEC), qui s’est tenu en novembre 2014, a vu Pékin relancer la proposition de création d’une Zone de libre échange de l’Asie-Pacifique (FTAAP en anglais et ALCAP en espagnol) [5]. Dans cette perspective, la Chine a proposé de s’engager sur une feuille de route précise. Cette proposition ravit aux États-Unis l’initiative du libre échange dans la zone Pacifique. Le FTAAP regrouperait tous les pays du Partenariat transpacifique (TPP, Trans-Pacific Partnership, en anglais), auxquels s’ajouteraient les États non inclus dans le TPP du bassin Pacifique, principalement la Chine et la Russie. La bataille pour l’hégémonie dans le Pacifique est en train d’être remportée par Pékin avec cette initiative et celles, de nature bancaire et financière, que le géant asiatique entreprend parallèlement dans les pays de l’Alliance du Pacifique, c’est-à-dire dans les pays alliés de Washington en Amérique latine.
Le FTAAP renforce l’importance que revêt, en général, l’Amérique latine pour la Chine et, plus particulièrement, celle qu’elle accorde désormais aux membres de l’Alliance du Pacifique. Selon les prévisions, les investissements directs de l’Empire du Milieu dans la région décupleront au cours de la prochaine décennie, passant de 108 milliards aujourd’hui à 1 250 milliards de dollars, selon les déclarations du président chinois au sommet de l’APEC.
Pour finir, la Chine dispose désormais d’un forum de coopération permanent avec la Communauté d’États latino-américains et caribéens (Celac). Il s’agit du forum Chine-Celac, inscrit dans la déclaration finale du IIe sommet de la Celac (28-29 janvier 2014, La Havane) [6]. Cette nouvelle instance doit lui permettre de consolider ses relations dans la région en s’appuyant sur une base stable de négociations. Avec ce forum, nous assistons à une nouvelle étape des relations entre l’Amérique latine et la Chine, qui permettra aux 33 pays de la Celac de négocier simultanément avec le géant asiatique à compter de 2015. Ce forum prévoit un mode de négociation conceptuellement différent de celui des États-Unis, qui négocient sur une base bilatérale, ce qui laisse entière la question de la dissymétrie.
* Oscar Ugarteche est économiste (Pérou) à l’Institut de recherches économiques de l’Université nationale autonome du Mexique (Unam). Il est coordinateur de l’Observatoire économique de l’Amérique latine (OBELA) - www.obela.org - et président d’ALAI (Agence latino-américaine d’information) - www.alainet.org -.
** Ulises Noyola Rodríguez est membre du projet OBELA, IIEc-UNAM. Contact : ulisesnoyola1@gmail.com
Source : http://alainet.org/active/79076&lang=es
Traduction et annotations : Mireille Azzoug
Edition et annotations : Mémoire des luttes