Chroniques du mois

Un décret présidentiel qui passe mal

La faute de Barack Obama en Amérique latine

lundi 16 mars 2015   |   Christophe Ventura
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« Le Venezuela n’est une menace pour aucun pays ». Tout pourrait donner à penser que ces propos ont été tenus par le président Nicolas Maduro en réponse au décret (executive order) du 9 mars 2015 de Barack Obama désignant Caracas comme une « menace (...) inhabituelle et extraordinaire (...) pour la sécurité nationale et la politique étrangère des Etats-Unis », et annonçant le déclenchement de « l’urgence nationale pour [la] traiter » [1].

La Révolution bolivarienne serait-elle sur le point d’envahir le territoire nord-américain avec des armes de destruction massive ? Le président élu du Venezuela a bien exprimé, en des termes fermes, son rejet des accusations outrancières et opportunistes formulées par Barack Obama dont le décret lui permettra, dans une prochaine étape et s’il le souhaite, de mettre en place un nouveau train de sanctions économiques, commerciales, financières et diplomatiques, prenant cette fois pour cible directe les autorités de Caracas. A cette étape, le texte concerne des « personnes  », fonctionnaires, militaires, policiers, représentants de l’institution judiciaire [2].

Si Nicolas Maduro a effectivement affirmé que « le Venezuela ne sera jamais une menace pour quiconque » et que cette accusation constituait une « aberration historique », la paternité de la déclaration « Le Venezuela n’est une menace pour aucun pays » ne lui revient pas. Elle émane de la direction de son opposition réunie au sein de la Table de l’unité démocratique (MUD) ! Et celle-ci d’ajouter : « Nous apprécions et remercions le soutien de la communauté internationale, mais nous ne souhaitons ni n’admettons que la communauté internationale, ou qu’un de ses membres, assument des devoirs qui sont les nôtres » [3]. La MUD a pris soin de marquer ses distances avec la décision de Barack Obama car elle sait que l’ingérence de Washington dans la politique intérieure du Venezuela est cette fois-ci trop voyante. Cela l’affaiblit tandis que, à l’instar de toutes les droites latino-américaines, elle est à l’offensive – en pointe – selon un schéma désormais bien établi.

Durablement écartées du pouvoir d’Etat par les urnes depuis le début des années 2000, et pour plusieurs années encore – le mandat des différents gouvernements progressistes actuellement en place court en effet constitutionnellement, selon les cas, jusqu’à la fin de la décennie –, les forces conservatrices représentant l’ordre politique et économique antérieur utilisent trois leviers pour harceler, jusqu’à la déstabilisation, les gouvernements élus. D’abord la rue : c’est la stratégie de la « salida » expérimentée au Venezuela qui s’accompagne désormais de l’organisation d’un coup d’Etat « lent » [4]. Ensuite les médias dont elles détiennent généralement le monopole et qu’elles utilisent pour développer des campagnes idéologiques permanentes. Enfin le pouvoir judiciaire qu’elles contrôlent directement ou qui représente leurs intérêts (ce pouvoir est actuellement à l’œuvre contre les gouvernements en Argentine, au Brésil, en Uruguay).

Dans le cas de l’Uruguay, la situation a été illustrée et théorisée par l’ancien président José Mujica : « L’Uruguay fonctionne avec un système juridique lié au passé (…). Si, en Uruguay, vous souhaitez mettre en place un impôt sur la propriété foncière, cela se termine par une décision du pouvoir judiciaire qui le déclarera inconstitutionnel. Comme partout dans le monde et depuis toujours dans l’histoire, la jurisprudence a été pensée et mise en place par les classes dominantes, les classes conservatrices ». Et d’ajouter : « La Justice reflète le poids des classes qui dominent la société. Les instruments juridiques sont soumis à l’histoire, et l’histoire est une lutte entre les classes » [5]. En Argentine, il convient de lire l’instrumentalisation de « l’affaire Nisman » en prenant en compte cette dimension. Au Brésil, il en va de même dans le cas des déboires de la compagnie pétrolière Petrobras.

Sur le plan intérieur, les droites latino-américaines savent qu’elles bénéficient d’un contexte plus favorable pour déployer leurs offensives. Les gouvernements progressistes sont confrontés à plusieurs difficultés. Parmi celles-ci, une leur porte particulièrement préjudice : l’accentuation de la crise économique et financière – profonde dans le cas de l’Argentine et du Venezuela, et de plus en plus préoccupante dans le cas du géant brésilien – aiguise au sein des opinions publiques le rejet des gâchis et des systèmes de corruption financiers. Les forces conservatrices, largement liées à ces systèmes qu’elles ont beau jeu de dénoncer, matraquent ce thème sans relâche, avec les moyens dont elles disposent, notamment par l’intermédiaire des appareils judiciaires. De la capacité des gouvernements progressistes à améliorer la situation objective dans leurs pays dépendra une bonne part de leur crédibilité future.

Sur le plan extérieur, les droites latino-américaines disposent d’appuis et de relais – financiers, médiatiques, politiques – au sein des droites européennes et états-uniennes pour légitimer leurs stratégies. Dans le cas états-unien, la passe d’armes actuelle avec le Venezuela le confirme, tout comme elle se traduit par une surenchère fautive de Washington. Le décret Obama témoigne en réalité de l’affaiblissement politique d’un président qui semble désormais condamné à donner des gages aux « néo-cons » républicains et démocrates qui le corsètent à un moment où il est malmené sur les dossiers du nucléaire iranien, de l’Ukraine, d’Israël ou, plus directement dans la région latino-américaine, de Cuba.

Le président américain vient de se tirer une balle dans le pied à quelques semaines de la tenue du VIIè Sommet des Amériques à Panama (10-11 avril) qu’il voulait transformer, à la faveur de ses nouvelles dispositions envers Cuba, en « Sommet du renouveau » entre les Etats-Unis et l’Amérique latine [6]. Son offensive injustifiée contre Caracas va contrarier ses plans. Elle gêne ses alliés dans la région, et elle est en train de produire un puissant mouvement de solidarité sud-américain. Dès la publication de son décret, Cuba, la Bolivie, l’Equateur, l’Argentine ont désavoué Barack Obama et rejeté l’interventionnisme américain.

Réunie à Quito le 14 mars, l’Union des nations sud-américaines (Unasur) – dans la diversité politique de ses douze gouvernements représentés – a, à son tour, déclaré que l’adoption du décret Obama constituait « une menace d’ingérence contre la souveraineté et le principe de non-intervention dans les affaires intérieures d’autres Etats ». Le communiqué officiel de l’organisation régionale demande au gouvernement des Etats-Unis de « mettre en place des pratiques alternatives de dialogue avec le gouvernement du Venezuela » et, en conséquence, de procéder « à l’abrogation » du décret du 9 mars [7].




[2Le décret Obama définit néanmoins les « personnes » comme des « individus » ou des « entités » (associations, entreprises, groupes, organisations).

[4Lire Ignacio Ramonet, « La tentative de coup d’Etat contre le Venezuela », Mémoire des luttes, mars 2015.

[6Sur la nouvelle stratégie économique et géopolitique des Etats-Unis en Amérique latine, lire Christophe Ventura, « Washington se relance dans le nouveau jeu latino-américain », Mémoire des luttes.



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