La bataille politique sur le financement des systèmes de retraite qui vient de commencer en France a une portée qui dépasse ses frontières. Partout en Europe, le patronat, les gouvernements et les médias ont mené des campagnes de communication à grande échelle sur ce sujet. Leur objectif n’est nullement de « sauver » les retraites, mais de pérenniser l’hégémonie du capital et les inégalités sociales qui sont au cœur du projet néolibéral. La crise qui a frappé l’Irlande et la Grèce, en attendant d’autres pays, fournit même une occasion rêvée pour renforcer ce projet.
Les systèmes de retraite varient d’un pays à l’autre, mais, pour l’essentiel, ils reposent sur un dosage entre deux logiques : la répartition et la capitalisation. La répartition est fondée sur la solidarité entre générations : les actifs financent les pensions des inactifs par des cotisations sur leurs salaires et éventuellement par l’impôt. Dans un système de capitalisation, c’est à chaque citoyen d’épargner individuellement pour se constituer une retraite en plaçant son argent (s’il en a ) dans des fonds de pension.
Les nombreux scandales de ces dernières années (en particulier celui d’Enron) ont montré les risques énormes de la capitalisation qui dépend non seulement de l’intégrité des gestionnaires de fonds, mais aussi des hauts et des bas des marchés boursiers. Ce système a évidemment la faveur des néolibéraux et de tout le système financier qui aspirent à faire gonfler en permanence le volume des capitaux sur lesquels ils peuvent spéculer.
En Europe, le système de répartition reste largement majoritaire, et c’est sur lui que porte l’offensive néolibérale. Au nom de la progression de l’espérance de vie, il s’agit de faire croire que la solution à ses déficits ne peut être trouvée que par une combinaison de trois paramètres : report de l’âge du droit à la retraite (actuellement de 60 ans en France, contre 65 en Allemagne et au Royaume-Uni), augmentation du nombre d’années de cotisation, et baisse du taux des pensions par rapport au salaire médian (65,3 % en France contre 45,6 % au Royaume-Uni et 44,3 % en Irlande). Ils occultent délibérément un autre paramètre : l’élargissement de la base fiscale contribuant au financement de la protection sociale, et en particulier des retraites. La taxation de tous les revenus du capital au même niveau que celle des revenus du travail, sans parler de la lutte contre l’évasion fiscale ou la suppression des multiples mesures de faveur dont bénéficient les entreprises et catégories privilégiées suffirait à mobiliser les ressources nécessaires.
Comble de cynisme : les gouvernements utilisent l’argument de l’augmentation des déficits publics - occasionnée par une crise dont le secteur financier est le seul responsable - pour affoler les populations quant à l’avenir du financement des retraites. Il s’agit d’utiliser une situation conjoncturelle pour poursuivre une politique structurelle : en France, par exemple, la chute de 8,8 % en 30 ans de la part des salaires dans la richesse nationale, et l’augmentation, entre 1982 et 2007, de 3,2 % à 8,5 % de la part des dividendes dans le produit intérieur brut.
Les salariés sont ainsi enfermés dans un choix entre trois modalités qui leur seraient préjudiciables, alors qu’il en existe une quatrième qui leur serait favorable. Cette offensive du capital prend appui sur les politiques libre-échangistes de l’Union européenne qui, par la mise en concurrence des systèmes fiscaux et sociaux, conduisent à un alignement par le bas [1]. Derrière la question des retraites, il y a la « question européenne » qui reste un tabou pour les gouvernements, partis et syndicats, y compris pour ceux se réclamant des valeurs de la gauche.