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Venezuela

Coup de projecteur sur les zones d’ombre médiatiques

mardi 18 février 2014   |   Romain Migus
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A lire les médias internationaux en ce mois de février 2014, on pourrait croire que le Venezuela est – de nouveau – à feu et à sang. Le coupable désigné par les grandes entreprises de communication est toujours le même depuis maintenant quinze ans : le gouvernement bolivarien massacrerait – de nouveau – son peuple comme s’il s’agissait du passe temps favori des élites politiques révolutionnaires depuis l’accession d’Hugo Chavez à la présidence de la République. Oubliés les onze chavistes assassinés au lendemain de la victoire électorale de Nicolas Maduro en avril 2013, passée sous silence la large victoire du camp bolivarien aux municipales de décembre 2013, gommé le soutien populaire dont bénéficie la Révolution bolivarienne, les vénézuéliens seraient désormais face à un « régime » qu’ils réprouvent et qui n’hésite pas á faire feu contre son peuple. Un retour sur les derniers évènements qui ont secoué le Venezuela est donc nécessaire pour prendre la mesure de ce qui se déroule en ce moment au pays de Bolivar et de Chavez. Retour d’autant plus nécessaire pour capter, après la Libye, la Syrie ou les derniers évènements ukrainiens á quel point l’Empire fait preuve d’un cynisme sanguinaire pour éliminer les gouvernements qui ne s’alignent pas sur ses intérêts.

Guerre interne dans l’opposition

L’opposition vénézuélienne n’est pas un bloc monolithique. Même si tous les partis partagent un programme commun [1], les stratégies de prises de pouvoir et surtout les ambitions personnelles ne manquent jamais de raviver les tensions au sein de la contrerévolution. Or le leadership qu’Henrique Capriles Radonski s’était construit depuis sa victoire aux primaires de la plateforme unitaire de l’opposition (Mesa de Unidad Démocratica – MUD) en février 2012 s’est quelque peu érodé au fil de ses quatre défaites électorales [2]. Lors des élections municipales de décembre 2013, le parti de Leopoldo Lopez, Voluntad Popular, a même remporté plus de mairies que Primero Justicia, le parti de Capriles.

Le questionnement interne suite aux défaites répétées dans les urnes a ravivé les vieux démons d’une opposition prête à considérer légitime tous les chemins possibles pour conquérir le pouvoir.

Profitant d’un mécontentement compréhensible d’une partie de la population face à une guerre économique qui affecte quotidiennement les vénézuéliens [3], le secteur le plus extrême de l’opposition a décidé de passer à l’attaque.

Dés les premiers jours de l’année 2014, Leopoldo Lopez, Maria Corina Machado ou Antonio Ledezma appelaient au « soulèvement » comme moyen « démocratique » pour chasser le gouvernement [4]. Les vrais démocrates apprécieront l’oxymore. Rappelons que l’unique moyen démocratique pour changer de gouvernement est la convocation d’un referendum révocatoire à mi-mandat, c’est-à-dire à partir d’avril 2016.

Leopoldo Lopez ne s’arrêtera pas là. Au cours d’un meeting, le 2 février 2014, il lance à ses partisans : « les problèmes dont souffre le peuple ont un coupable. Ce coupable est le pouvoir national (…) nous ne pouvons plus dire que le problème, c’est seulement Nicolas Maduro. Le problème, ce sont tous les pouvoirs publics nationaux » [5]. Coup d’Etat, vous avez dit coup d’Etat ?

Au cours du même meeting, Maria Corina Machado affirmera que « la seule réponse possible, c’est la rébellion (…). Certains disent qu’il faut attendre les élections dans je-ne-sais-trop combien d’années (…) Le Venezuela ne peut plus attendre » [6]. Le message de confrontation est lancé au gouvernement mais aussi à la MUD et à Capriles. La tentative de mainmise sur l’opposition par les secteurs les plus anti-démocratiques de l’antichavisme est confirmée par Leopoldo Lopez lorsqu’il convoque une manifestation le 12 février 2014 : « Notre lutte passe par la rue (…) je suis sûr que ce 12 février, nous verrons Henrique Capriles dans la rue. Je lance un appel [à tous les dirigeants de l’opposition] mais surtout à Henrique, qui a une très grande responsabilité, pour qu’il nous rejoigne dans cette clameur de changement » [7]. Les urnes ou le putsch. Les leaders de l’opposition ont les cartes en mains…

Ce qui fut annoncé arriva

Le 12 février, la manifestation convoquée se dirige vers le siège du pouvoir judiciaire (Ministerio Publico), situé dans le centre populaire de la capitale. La plupart des responsables de l’opposition, dont Henrique Capriles Radonski, sont aux abonnés absents. Le faible cortège est surtout composé d’étudiants des classes moyennes supérieures provenant des universités privées. Sur place, Leopoldo Lopez et Maria Corina Machado haranguent la foule dans des termes similaires à ceux proférés quelques jours plus tôt, avant d’abandonner la manifestation sans prendre le soin de lancer le mot d’ordre de sa dispersion. Alors que la majorité des étudiants quitte les lieux sans heurts, des groupes de choc prennent le relais. Les pancartes pacifistes laissent place aux jets de pierre et autres cocktails Molotov. Et tout bascule.

Au milieu des affrontements, des coups de feu sont tirés. Juan « Juancho » Montoya, un militant chaviste présent sur les lieux, et Basil Da Costa, un étudiant d’opposition, meurent tous deux assassinés d’une balle dans la tête. La police nationale réussit à repousser les fauteurs de trouble qui se replient à Chacao, arrondissement huppé de Caracas, dont le maire, Ramon Muchacho, est membre du parti Primero Justicia. Quelques heures plus tard, et alors que les affrontements se sont déplacés dans cette zone de la ville, Roberto Redman, un militant de l’opposition, qui a porté le cadavre du jeune Basil, est à son tour assassiné. La machine médiatique internationale s’emballe. Le gouvernement est accusé d’être à l’origine d’une sanglante répression alors que les forces de maintien de l’ordre n’utilisent aucune arme létale pour faire face aux groupuscules armés de l’opposition [8].

Les médias privés se mettent à dénoncer la censure gouvernementale après qu’une chaine câblée colombienne, NTN24, ait été retirée de la programmation par les opérateurs privés eux-mêmes pour avoir enfreint la loi vénézuélienne qui interdit de retransmettre en direct des images de violences de rue. Il ne s’agit donc pas d’une censure opérée par le pouvoir, les medias audiovisuels internationaux et nationaux ayant largement couvert la partie pacifique de la manifestation. En revanche, aucun media international ne s’est attardé à dénoncer les attaques à l’arme à feu contre le siège de la télévision publique VTV. Une employée de la chaîne ayant même reçu une balle dans les côtes. Liberté d’expression à deux vitesses ?

Au soir du 12 février, on dénombrait en plus des trois morts, de nombreux blessés, y compris parmi les forces de l’ordre et des employés du métro de Caracas, pris d’assaut par les groupes de choc de l’opposition. On comptait également six voitures de police incendiées, des sièges d’institutions publiques détruits, sans prendre en compte les nombreux dommages collatéraux dont ont souffert les habitants de Caracas.

Des critiques se sont faites entendre au sein même de l’opposition. Ainsi, une journaliste de El Universal a dénoncé l’irresponsabilité et le manque de leadership de Leopoldo Lopez après qu’il ait abandonné les étudiants lorsque les affrontements eurent commencé [9]. Le maire de Chacao publiait, quant à lui, un tweet cinglant : « nous reconnaissons le manque de leadership de l’opposition. Seul l’anarchie règne. C’est ce que nous voulons  ? » [10]. Dans un premier temps, Henrique Capriles Radonski se fit écho de « la mainmise de groupes violents sur une manifestation pacifique » [11].

L’enquête démontrera, comme l’indiquera le ministre de l’intérieur et de la justice, Miguel Rodriguez Torres, que les deux personnes assassinées prés du Ministerio Publico l’ont été avec la même arme à feu, renforçant ainsi la thèse de l’infiltration de mercenaires paramilitaires d’opposition poursuivant l’objectif de créer le chaos et d’enflammer les tensions entre vénézuéliens. Un scénario similaire à celui vécu lors du coup d’Etat du 11 avril 2002 [12]. Les plus vulnérables face à cette stratégie sont malheureusement les jeunes étudiants qui pensent pouvoir renverser un gouvernement appuyé par la majorité du peuple et par l’armée.

Henrique Capriles Radonski, quant à lui, s’est ensuite solidarisé avec Leopoldo Lopez, tout en insistant sur les différentes stratégies qui l’opposent à son ancien comparse [13]. L’ancien candidat à la présidentielle a même appelé à une manifestation contre la violence et le paramilitarisme (sic), espérant ainsi récupérer à son compte les manifestants de ces derniers jours. Comble de l’ironie pour celui qui devrait assumer la responsabilité intellectuelle de l’assassinat de onze militants chavistes au lendemain de sa défaite électorale aux élections présidentielles d’avril 2013 [14].

La main de l’Empire américain n’est pas une chimère

Alors que Nicolas Maduro a reçu des messages de solidarité et de condamnation des violences de l’opposition de la part de nombreux gouvernements et partis politiques de par le monde et de l’Union des nations sud-américaines (Unasur), le gouvernement des Etats-Unis a pris un ton menaçant. Lors d’une allocution télévisuelle, le président Maduro a dénoncé les propos du sous-secrétaire d’Etat adjoint pour l’Amérique latine, Alex Lee. Celui-ci avait, en effet, émis une série d’exigences (libération des responsables des violences, arrêt des poursuites contre Leopoldo Lopez, dialogue immédiat avec l’opposition) sous peine de « générer des conséquences négatives au niveau international » [15].

Cette menace à peine voilée est en fait le résultat de la participation active des Etats-Unis dans les récents évènements qui secouent le Venezuela. Soulignons une nouvelle fois, pour les éternels sceptiques, que la déstabilisation du gouvernement bolivarien n’aura de cesse que lorsque les Etats-Unis reprendront le contrôle du maniement de l’industrie pétrolière, comme par le passé.

En réponse, le président Maduro a décidé d’expulser du pays trois diplomates étatsuniens pour leur récente participation active dans la formation et le financement d’étudiants aux techniques de coup d’Etat soft [16].

Dans la nébuleuse d’informations sur la situation actuelle au Venezuela, de grossières manipulations médiatiques tentent de légitimer le discours de l’opposition qui dénonce la torture et la répression sanglante du gouvernement. Cette cyber-attaque est surtout un moyen de décrédibiliser le Venezuela au niveau international et de chauffer les esprits des partisans de l’opposition afin de générer une situation d’ingouvernabilité.

Rappelons que le Venezuela est le cinquième pays au monde qui se sert le plus de Twitter [17]. Ce réseau social, abondamment utilisé dans les autoproclamées « Révolutions » arabes, est devenu une arme de premier choix dans la déstabilisation du gouvernement bolivarien. Ainsi, des photos de répressions et de tortures, empruntées à des situations d’autres pays, sont envoyées massivement aux jeunes vénézuéliens leur faisant croire que les scènes se déroulent dans leur pays [18]. De « retweet  » en « retweet  » en passant par de nombreux « hastags, » beaucoup de jeunes opposants à la Révolution sont ainsi manipulés.

Sur la photo ci-dessous, nous pouvons voir comment une manifestation à Sao Paulo devient une manifestation à Caracas…


Sur la photo ci-dessous, une image aérienne d’un pèlerinage religieux se transforme en une manifestation massive de l’opposition qui n’a pourtant jamais eu lieu…


Les étudiants chiliens doivent sauter au plafond en voyant leurs camarades utilisés par l’extrême droite vénézuélienne !


Un cas de torture dans le royaume d’Espagne devient un argument pour la droite vénézuélienne.


Qui se doutait que les policiers égyptiens réprimaient des citoyens vénézuéliens ?


Rien n’arrête le cynisme de l’opposition. Les morts du conflit syrien sont transférés au Venezuela dans la ville de Maracay


Même le pauvre Loukanikos, icône animale de la révolte grecque, n’est pas épargné. Que fait la SPA ?


 

Le camp bolivarien doit donc une fois de plus faire face aux tentatives de déstabilisation de la contrerévolution au moment précis où le gouvernement prend des mesures radicales pour lutter contre la guerre économique et contre l’insécurité.

Même si le peuple, l’armée et la police défendent les institutions démocratiques, la vigilance est de mise. Face à la désinformation des entreprises privées de communication, la solidarité internationale est plus que jamais nécessaire afin de déjouer la propagande médiatique contre la Révolution bolivarienne. Un an après la disparition de Hugo Chávez, son peuple est bien décidé à perpétuer son héritage révolutionnaire.

 




[1Voir Romain Migus, El programa de la MUD, Caracas, ed. Barrio Alerta, 2012, disponible sur http://albaciudad.org/wp/wp-content/uploads/2012/09/libro_el_programa_de_la_mud.pdf

[2Élections présidentielles du 7 octobre 2012 et du 13 avril 2013, élections régionales du 16 décembre 2012, élections municipales du 8 décembre 2013 (91% des états régionaux et 75% des mairies gagnés par le chavisme).

[3La guerre économique et les réponses gouvernementales ne sont pas le sujet de cet article. Mais il est indéniable que la spéculation contre le bolívar, les ruptures de stock organisées et la contrebande de produits de première nécessité vers la Colombie ont des conséquences immédiates sur la vie quotidienne. Pour un approfondissement de ce sujet, voir Jacques Sapir, « Comprendre la situation économique du Venezuela. » (http://www.medelu.org/Comprendre-la-situation-economique)

[4Voir “¡LaSalida es la calle ! ¡#LaSalida es la calle !”, Youtube, 25/01/2014, http://www.youtube.com/watch?v=MZBiTc6Z4Os (traduction de l’auteur).

[5Voir “Protestas en Venezuela, 2 de Febrero de 2014 #LaSalida“, Youtube, 03/02/2014, http://www.youtube.com/watch?v=hyh3AEf5JDA (traduction de l’auteur).

[6Ibid.

[7Voir “Leopoldo López El 12F vamos a la calle con la consigna justicia y cárcel para los corruptos“, Youtube, 09/02/2014, http://www.youtube.com/watch?v=f9X67Jvw5Lk (traduction de l’auteur).

[8Pour être plus précis, nous soulignons que les forces de police utilisent des bombes lacrymogènes et des cartouches de gros sel, et font un usage très limité de la force si l’on compare avec la répression des manifestations dans les pays européens.

[9Testimonio de una periodista de El Universal : "Leopoldo no tuvo bolas. Le agarró la mano a su esposa, se fue y dejó a los carajitos alborotados", Aporrea, 13/02/2014. http://www.aporrea.org/oposicion/n245131.html

[12Voir “Fallecidos el 12F fueron con la misma arma de fuego”, YVKE Mondial, 14/02/2014, http://www.radiomundial.com.ve/article/fallecidos-el-12-f-fueron-asesinados-con-la-misma-arma . Sur les assassinats similaires pendant le coup d’Etat d’avril 2002, voir l’excellent documentaire de Angel Palacios, “Puente llaguno : clave de una massacre”, http://www.youtube.com/watch?v=fkrAI72ct-I

[13“Capriles llama a movilizaciones contra la violencia y el paramilitarismo”, El Universal, 16/02/2014, http://www.eluniversal.com/nacional-y-politica/140216/capriles-llama-a-movilizacion-contra-la-violencia-y-el-paramilitarismo

[14Voir Romain Migus, “Nuit de cristal au Venezuela”, Venezuela en Vivo, 17/04/2013, http://www.romainmigus.com/2013/06/nuit-de-cristal-au-venezuela.html

[15“Venezuela rechaza declaraciones de secretario estadounidense John Kerry”, Telesur, 16/02/2014, http://www.telesurtv.net/articulos/2014/02/16/venezuela-rechaza-declaraciones-de-secretario-estadounidense-john-kerry-2982.html

[16“Funcionarios norteamericanos tienen 48 horas para salir de Venezuela”, Noticias24, 16/02/2014, http://www.noticias24.com/venezuela/noticia/222622/elias-jaua-funcionarios-norteamericanos-tienen-48-horas-para-salir-de-venezuela/

[17“Venezuela : quinto país del mundo que más usa el twitter”. Ciudad CCS, 29/05/11, http://www.ciudadccs.info/?p=176192

[18Telesur a réalisé une compilation de ces montages médiatiques. Voir : https://www.facebook.com/media/set/?set=a.10151869482281179.1073741986.186321186178&type=1



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