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Henrique Capriles, candidat de la droite décomplexée au Venezuela

mardi 28 février 2012   |   Romain Migus
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“Jeune”, “doté d´une solide expérience politique”, ”de centre-gauche”… Les qualificatifs sur ce registre abondent dans la presse française pour décrire Henrique Capriles Radonski, le candidat de l’opposition à l’élection présidentielle du 7 octobre prochain au Venezuela. Cette description ressemble fortement à celle faite de Manuel Rosales, candidat malheureux de la droite à l´élection présidentielle de 2006 remportée haut la main par Hugo Chavez. Elle vise à donner une image édulcorée et rassurante du candidat hors des frontières du Venezuela.
Il faut savoir que Henrique Capriles Radonski est avant tout un “héritier”, fils de deux des plus puissantes familles du pays. Sa famille paternelle dirige un empire médiatique, industriel et immobilier, tandis que sa famille maternelle est à la tête du principal groupe d’exploitation cinématographique du pays.

Henrique Capriles commence sa carrière politique au sein de COPEI, parti traditionnel de la droite vénézuélienne dans sa version démocrate-chrétienne, grâce auquel il est élu député en 1999. Il devient le plus jeune président du Congrès (ancienne Assemblée nationale) de l´histoire du pays. En 2000, avec Julio Borges et Leopoldo Lopez, il fonde le parti politique Primero Justicia grâce aux subventions de l’entreprise pétrolière nationale, PDVSA, dont la mère de Leopoldo Lopez était à l’époque directrice des ressources humaines.

L´International Republican Institute (IRI), branche internationale du Parti républicain des Etats-Unis, a largement contribué au financement et à la stratégie de communication de cette nouvelle formation de la droite vénézuélienne. C’est ainsi que, en décembre 2001, l’ancien attaché de presse du Parti républicain, Mike Collins, était dépêché à Caracas afin de mettre au point les orientations stratégiques de Primero Justicia [1].

De par ses origines politiques, Henrique Capriles semble aussi éloigné du centre-gauche que Marine Le Pen l’est du Front de gauche. Nul n’ignore, au Venezuela, qu´il a toujours été lié à la démocratie chrétienne et à la droite américaine. Mais, par les soins des entreprises mondiales de communication, le voilà métamorphosé en leader social-démocrate ! Un de ses slogans de campagne, “Ni de droite ni de gauche, nous sommes tous Vénézuéliens”, fleure bon le populisme. Et pourtant, lorsqu´il s´agit de choisir son camp, ce n´est pas vraiment celui du peuple vers lequel penche le candidat. Quelques éléments de sa biographie en portent témoignage.

Ainsi, lors du coup d’Etat d´avril 2002 contre le Président Chavez, Henrique Capriles, alors maire de Baruta arrondissement huppé de Caracas, participe activement à la répression contre le camp chaviste : il envoie la police municipale arrêter le ministre de l’intérieur de l’époque, Ramon Rodriguez Chacin, qui échappera de peu au lynchage par une foule d’opposants [2].

Capriles ne s´arrête pas là. En compagnie d’exilés cubains d’extrême-droite, Salvador Romani et Robert Alonso [3], et du Vénézuélien Henry Lopez Sisco (ancien bras droit du terroriste Posada Carriles), il participe au siège de l’ambassade de Cuba à Caracas. Au mépris des règles élémentaires du droit international, il menace les diplomates et leur fait couper l’électricité et l’eau. Lors de l´enquête sur le coup d´Etat du 11 avril 2002, le procureur Danilo Anderson décide de poursuivre Capriles qui passera plusieurs semaines en détention préventive. Après l’assassinat du procureur, il bénéficie d’un acquittement en décembre 2006.

Après avoir passé huit ans à la tête de la mairie de Baruta, Capriles se présente aux élections régionales dans le riche Etat du Miranda, où la population se plaignait de l´immobilisme du gouverneur chaviste Diosdado Cabello. Le 23 novembre 2008, il est élu gouverneur. A peine trente-six heures plus tard, des militants de son parti, Primero Justicia, s’en prennent avec violence aux locaux des Missions sociales, aux médecins cubains de la Mission Barrio Adentro et au siège d’une université créée par le gouvernement. Leur but : interdire, dans les installations de la région qu’ils contrôlent, l’accès aux initiatives et aux programmes sociaux impulsés par le pouvoir bolivarien [4].

Qu’en est il du bilan politique de Capriles ? L’Etat du Miranda, qu´il dirige depuis quatre ans, est l’un des plus dangereux du pays, le taux d’homicides y ayant progressé de 16% entre janvier 2011 et janvier 2012 [5]. Pour le premier mois de cette année, on y a déploré 231 assassinats. Pour autant, le gouverneur Capriles ne voit pas de contradiction à faire de l’insécurité le thème phare de sa campagne contre Chavez alors qu’il n´a jamais demandé le moindre financement au gouvernement en vue d´améliorer les ressources de sa police régionale [6]. Il a toujours refusé l´implantation de la nouvelle Police nationale bolivarienne [7] sur son territoire, préférant garder le contrôle de la police locale au détriment de l´harmonisation nationale des politiques de sécurité.

Capriles et Primero Justicia ont largement contribué à l’élaboration du programme commun de la Table de l’unité démocratique - Mesa de Unidad Democratica (MUD) - qui regroupe tous les partis d’opposition. Le 12 janvier 2012, à l’exception de l’un d’entre eux, Diego Arria, tous les candidats à la primaire de l´opposition s´engageaient à appliquer ce programme. On peut donc y trouver les propositions du candidat Capriles à l’élection présidentielle [8].

En matière de politique pétrolière, ce programme est d´une grande clarté : privatiser les entreprises connexes de PDVSA ; remettre en cause les contrats passés avec certaines entreprises ou gouvernements ; suspendre les transferts financiers de PDVSA au Fonds de développement national (qui sert notamment au financement de travaux d’infrastructures ou des Missions sociales) ; faire de PDVSA une entreprise autonome à des fins strictement commerciales ; augmenter la participation des entreprises privées dans l´exploitation des hydrocarbures, sans qu’il s’agisse forcément de joint ventures avec l´Etat ; réformer la loi sur les hydrocarbures de 2001 (dont une des conséquences a été le coup d´Etat d´avril 2002) pour promouvoir la participation de l´industrie privée.

Le programme économique de Capriles affiche la même logique : ouvrir l’économie à l´initiative privée. Comme si le secteur privé ne représentait pas déjà 70,9% du produit intérieur brut (PIB) [9]… Il propose aussi d´attirer les capitaux étrangers. Or ceux-ci ne manquent pas, mais ils sont diversifiés ( chinois, iraniens, ou en provenance de certains pays d´Europe de l’Ouest), ce qui n’empêche pas la Chambre de commerce des Etats-Unis à Caracas de faire état des excellents résultats de ses membres [10]

La politique de retour à l’orthodoxie néolibérale qui prévalait avant l´arrivée d’Hugo Chavez au pouvoir ne serait pas complète sans une politique monétaire adaptée. Henrique Capriles prévoit l’indépendance totale de la Banque centrale. Cette indépendance existe déjà formellement dans ses statuts, mais, dans les faits, la Banque s’est pliée au décisions de l´exécutif pour contribuer au développement du Venezuela. Capriles prévoit aussi de rompre avec le contrôle des changes, système sans aucun doute critiquable, mais qui a tout de même empêché une fuite incessante des capitaux.

Si l´on gratte un peu le vernis médiatique, Henrique Capriles Radonski apparait bien comme le promoteur du retour à un ordre politique, économique et social profondément inégalitaire qui a plongé le Venezuela dans le gouffre dans les années 1980 et 1990. Il est encore moins crédible que Nicolas Sarkozy pour se présenter comme le candidat du peuple…

 




[1Eva Golinger, et Romain Migus, La Telaraña imperial, éd. Monte Avila, Caracas, 2008.

[3Le 9 mai 2004, une centaine de paramilitaires colombiens furent arrêtés dans une propriété de Robert Alonso à Caracas. Leur mission était de tuer Chavez, ainsi que des hauts fonctionnaires de l´Etat vénézuélien. Alonso vit aujourd´hui à Miami d´où il organise l´opposition la plus radicale au gouvernement bolivarien.

[7Maurice Lemoine, « Au Venezuela, la Police nationale bolivarienne relève le défi », Le Monde diplomatique, août 2010.



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