Les « Commentaires » d’Immanuel Wallerstein

Commentaire n° 266, 1er octobre 2009

L’Iran, une fois de plus : un bluff général ?

mardi 20 octobre 2009   |   Immanuel Wallerstein
Lecture .

L’Iran est de retour au premier plan de la diplomatie publique. De concert avec le Britannique Gordon Brown et le Français Nicolas Sarkozy, Barack Obama a tenu une conférence de presse au cours de laquelle les trois hommes ont semblé, une fois de plus, adresser un ultimatum à l’Iran : se conformer en décembre de cette année à leurs exigences – qui, selon eux, sont celles de la « communauté internationale » – ou affronter de nouvelles sanctions. Pour Obama, l’Iran « enfreint les règles que doivent suivre tous les pays ».

L’événement déclencheur a été le fait que l’Iran annonce – « admette » selon les termes des trois dirigeants occidentaux - qu’il construisait près de Qom une installation abritant 3000 centrifugeuses d’enrichissement d’uranium. Selon Obama, ce nombre est bien trop faible pour l’objectif avoué – la production d’électricité – mais il est bien calibré pour la production de la matière nécessaire à la fabrication d’ogives nucléaires. L’Iran ment donc sur ses vraies intentions, C.Q.F.D. 

Les services de renseignement occidentaux connaissaient, semble-t-il, l’existence de ce chantier depuis quelque temps déjà et ils estiment aujourd’hui avoir effectué les vérifications nécessaires. Selon les Occidentaux, si les Iraniens ont annoncé cette construction, c’est uniquement parce qu’ils avaient pris conscience que les services occidentaux en avaient découvert l’existence et s’apprêtaient à le révéler au monde. Pour le Président Ahmadinejad, selon les termes du traité de non-prolifération nucléaire (TNP), la seule obligation à laquelle l’Iran doit se soumettre, c’est celle d’annoncer l’existence d’une telle construction six mois avant qu’elle ne devienne opérationnelle, d’où l’annonce qui n’intervient qu’aujourd’hui.

Quoiqu’il en soit, Obama en fait grand cas et utilise ce nouveau fait avéré (la construction d’une centrale nucléaire) comme un point de départ permettant d’obtenir de nouvelles sanctions contre l’Iran. Il apparaît clairement qu’Obama espère que cet élément nouveau suffira à convaincre la Russie et la Chine de soutenir ou du moins de ne pas s’opposer à de nouvelles sanctions par la voie d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations-Unies.

La droite américaine et les Israéliens disent : « on vous l’avait bien dit ». A leurs yeux, l’Iran a toujours menti, continue de mentir aujourd’hui et doit par conséquent être sévèrement puni. Evidemment, ils ne songent pas qu’à de simples sanctions mais bien au bombardement de cette centrale nucléaire (et des autres centrales connues, très certainement).

Par conséquent, sommes-nous à la veille de nouvelles sanctions, voire d’un bombardement de l’Iran par les Etats-Unis, ou par Israël avec l’accord tacite des Américains ? Peut-être, mais je n’y crois pas vraiment. Je pense que l’on assiste de toutes parts à un gigantesque bluff.

Commençons par l’Iran. J’ai toujours été d’accord avec la droite américaine et les Israéliens sur le fait que l’Iran cherche à accéder au statut de puissance nucléaire. Ce qui nous différencie, c’est que cela me semble être normal, inévitable et pas du tout une catastrophe géopolitique.

Du point de vue iranien, il existe trois puissances nucléaires à proximité – l’Inde, le Pakistan et l’Israël – qui non seulement n’ont jamais signé le TNP mais qui disposent en outre d’armes nucléaires, et en quantité. Pour autant, on ne les accuse pas de violer les normes de la « communauté internationale ». D’où la réflexion des Iraniens : pourquoi s’en prendre à nous ? Contrairement à ces trois pays, l’Iran est signataire du TNP et n’a pas enfreint jusqu’à présent ses dispositions explicites. Néanmoins, il est publiquement montré du doigt pour des violations des règles internationales bien plus minimes que celles commises par ses trois voisins. Le Président Lula fait remarquer que le Brésil enrichit également de l’uranium et qu’il ne voit aucun mal à ce que l’Iran fasse de même.

Si Obama savait depuis quelque temps que l’Iran construisait cette usine, pourquoi ne l’annonce-t-il que maintenant ? Il déclare qu’il tenait juste à être complètement sûr de la qualité de ses renseignements. Mais il est clair également que faire cette annonce à ce moment précis l’aide bien sur le plan interne. Le Président américain subit les attaques de la droite à cause de ses propositions en matière de santé et de son apparente hésitation à envoyer plus de troupes en Afghanistan. En ne mâchant pas ses mots sur l’Iran, il protège un peu son flanc droit et peut renforcer politiquement son action sur les autres questions. 

La même chose pourrait être dite de l’Iran. Ahmadinejad, comme Obama, connaît quelques difficultés politiques internes. Jouer au dur avec l’Occident lui permet évidemment de renforcer le sentiment nationaliste iranien en faveur de son gouvernement, surtout si l’Ouest l’y oblige en jouant au dur.

La Russie et la Chine ont toujours été d’avis que des sanctions plus dures auraient des effets contre-productifs. Ces deux pays ont des intérêts économiques et géopolitiques à maintenir des relations raisonnablement bonnes avec l’Iran. Bien entendu, ils ne veulent pas non plus aller trop loin et susciter l’hostilité des Etats-Unis. Par conséquent, ils continueront probablement d’avancer lentement et prudemment, non sans ambiguïté. Le Président russe Medvedev a pu faire en septembre à l’intention d’Obama une déclaration critique sur l’Iran, ce qui n’est pas pour déplaire au président américain. Cela ne signifie pas que la Russie votera en faveur de sanctions vraiment sérieuses en décembre. Ne serait-ce que pour une raison : les Russes (et les Chinois), comme d’ailleurs un grand nombre d’analystes sérieux dans le monde occidental, ne croient pas vraiment en l’efficacité de nouvelles sanctions pour changer la position de l’Iran.

Quant à l’action militaire, considérez la chose suivante : Obama doit faire face aux demandes du Général Stanley McChrystal qui réclame une augmentation importante de l’engagement militaire américain en Afghanistan. Ce qui est incertain, c’est jusqu’où le Secrétaire à la Défense Robert Gates est prêt à appuyer ces demandes. Il existe déjà une opposition significative chez les politiciens démocrates. Et l’opinion publique américaine semble extrêmement dubitative. Obama réfléchit à une stratégie de long-terme.

Je pense qu’il cèdera, c’est probable, au moins en partie, et qu’il autorisera l’envoi de renforts. Je pense aussi qu’il est hautement improbable qu’il y ait une augmentation similaire du nombre d’hommes issus des autres pays de l’OTAN. En réalité, une poursuite des retraits semble bien plus probable de leur part. Etant donné la situation en Afghanistan, qui aux Etats-Unis est prêt à soutenir une action militaire réelle contre l’Iran ? Obama ? Le Comité des chefs d’états-majors interarmées (Joint Chiefs of Staff) ? L’opinion publique américaine ? Je serais tenté de dire qu’une telle action militaire est hautement improbable. Et les Israéliens, quelque soient leurs angoisses et leurs souhaits, n’obtiendront pas les autorisations de survol nécessaires.

Avec tout cela, où en sommes-nous ? Le monde se retrouve dans une impasse. Beaucoup de paroles, très peu d’action. Est-ce ce que veut Ahmadinejad ? Probablement. La droite américaine et les Israéliens vont-ils dénoncer cette situation ? Probablement. Obama peut-il y faire quelque chose pour la changer ? Je ne vois pas quoi. Pour les futurs historiens, il ne s’agira que d’une preuve supplémentaire de l’influence géopolitique déclinante des Etats-Unis. Ce que les futurs historiens pourraient également dire, c’est que l’Iran, en défiant les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU, se comporte de la même façon qu’un grand nombre d’autres pays au cours des cinquante dernières années. Ni plus, ni moins.

Le battage politico-médiatique n’est pas la même chose que la réalité.

 

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