Chroniques du mois

L’ère de Trump commence...

jeudi 19 janvier 2017   |   Ignacio Ramonet
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Après la signature de l’accord entre la Russie et la Turquie qui mit fin à l’interminable bataille d’Alep, je lis dans un célèbre hebdomadaire français le commentaire suivant : « La crise permanente du Proche-Orient est loin d’être réglée. Certains pensent cependant que la solution passe désormais par la Russie. D’autres croient que tout dépend des autorités turques. Mais ce qui est clair aujourd’hui, encore une fois et définitivement – espérons-le – c’est que la Russie a entre ses mains les arguments décisifs pour mettre fin à cette crise. » Pourquoi je cite ce commentaire ? Parce qu’il a été publié dans le magazine parisien L’Illustration… le 10 septembre 1853.

Il y a cent soixante trois ans donc, la crise du Proche-Orient était déjà qualifiée de « permanente ». Et il est fort probable qu’elle le sera encore longtemps… Toutefois, un paramètre important change à compter du 20 janvier : un nouveau président des Etats-Unis s’installe à la Maison Blanche : Donald Trump. Cela peut-il changer la donne dans cette région si agitée ? Oui, parce que depuis la fin des années 1950, les Etats-Unis exercent une influence déterminante dans cette région et que depuis lors, tous les présidents de cette très grande puissance, sans exception, sont intervenus sur ce théâtre.

Rappelons que le chaos actuel au Proche-Orient est en grande partie la conséquence des interventions militaires américaines, décidées successivement, depuis 1990, par les présidents George H. Bush, Bill Clinton y George W. Bush, et plus récemment, par le soutien précipité aux « printemps arabes », décidé par Barack Obama et sa secrétaire d’Etat Hillary Clinton.

Même si la ligne politique défendue par le candidat républicain pendant la campagne électorale a été globalement qualifiée d’ « isolationniste », Donald Trump a déclaré à des multiples reprises que l’organisation Etat islamique (OEI ou Daech) est l’ennemi principal de son pays et que sa première préoccupation sera, en conséquence, de le détruire militairement. Pour remplir cet objectif, Trump est prêt à faire une alliance tactique avec la Russie, puissance présente militairement en Syrie depuis 2015 en tant qu’allié principal du gouvernement de Bachar El Assad. Si cette décision de Donald Trump se confirme, elle représenterait un changement spectaculaire d’alliances, ce qui déconcerte même les alliés traditionnels de Washington. Surtout la France dont le gouvernement socialiste – pour des étranges raisons d’amitié et d’affaires avec des Etats théocratiques ultra-réactionnaires comme l’Arabie saoudite et le Qatar par exemple – a fait du renversement de Bachar El Assad – et par conséquent de l’hostilité envers le président russe Vladimir Poutine – l’alpha et l’oméga de sa politique proche-orientale [1].

Donald Trump a raison : les deux grandes batailles pour vaincre définitivement les djihadistes de Daech – celle de Mossoul en Irak et celle de Raqqa en Syrie – ne sont pas encore gagnées, et elles seront féroces. Une alliance militaire avec la Russie est sans doute une bonne option. Moscou a d’autres alliés importants dans cette guerre de Syrie. Notamment l’Iran qui participe directement au conflit syrien avec des fantassins et de l’armement, et indirectement, en fournissant des équipements militaires aux volontaires des milices libanaises chiites du Hezbollah. Le problème de Trump est qu’il a répété pendant sa campagne électorale que l’Accord international sur le programme nucléaire iranien, signé avec l’Iran et six autres puissance mondiales, et entré en vigueur le 15 juillet 2015 (et auquel se sont opposés avec force les républicains au Congrès), était un « désastre » et « le pire des accords qu’on pouvait négocier ». Il a ainsi annoncé qu’une autre priorité, dès son arrivée à la Maison Blanche, serait de démanteler cet Accord qui garantit le contrôle du programme nucléaire iranien pendant plus de dix ans, mais lève aussi la majorité des sanctions économiques imposées par les Nations unies contre Téhéran.

Briser cet Accord avec l’Iran ne sera pas chose simple, puisqu’il a été signé avec les autres membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies (Chine, France, Royaume-Uni, Russie) et avec l’Allemagne, que Washington devra alors affronter. De plus, l’apport de l’Iran à la bataille contre Daech, aussi bien en Irak qu’en Syrie, est fondamental. Le moment est malvenu de se fâcher à nouveau avec Téhéran. Moscou, qui apprécie un éventuel rapprochement de Washington, n’est pas prêt à mettre en péril son alliance stratégique avec Téhéran.

L’un des premiers dilemmes du président Donald Trump sera donc de résoudre cette contradiction : comment renforcer son alliance avec Moscou tout en se déclarant hostile à Téhéran ? Ce ne sera pas facile. Parce que l’équipe de faucons qu’il vient de nommer à des postes clés semble fort hostile à l’égard de l’Iran [2].

Par exemple, le général Michael Flynn, son conseiller à la sécurité nationale (rôle qu’a joué Henry Kissinger auprès de Ronald Reagan) est obsédé par l’Iran. Ses détracteurs le définissent comme « islamophobe » parce qu’il aurait publié des opinions ouvertement racistes. Comme par exemple, ce commentaire sur son compte Twitter : « La crainte vis à vis des musulmans est parfaitement rationnelle ». Flynn a participé à des campagnes destinées à démanteler les réseaux rebelles en Afghanistan et en Irak. Il est convaincu que le djihadisme islamiste constitue une « menace existentielle à l’échelle globale ». Il affirme, comme Trump, que l’organisation Etat islamique constitue une « menace majeure » pour les Etats-Unis. Lorsqu’il était le directeur de l’Agence d’intelligence de la Défense (AID) entre 2012 et 2014, il a dirigé l’enquête sur l’attaque du consulat des Etats-Unis, le 11 septembre 2012, à Benghazi, en Libye, où plusieurs « marines », ainsi que l’ambassadeur Christopher Stevens ont été tués. A cette occasion, Michael Flynn a bien insisté sur l’objectif de son agence, qui, comme celui de la CIA, était de « démontrer le rôle de l’Iran dans cette attaque » [3]. Même si la participation de Téhéran n’ait jamais été démontrée. Chose curieuse, malgré son hostilité vis-à-vis de l’Iran, Michael Flynn est également d’accord pour travailler plus étroitement avec la Russie. Il s’est même rendu à Moscou où il a été pris en photo aux côtés de Vladimir Poutine lors d’un dîner de gala organisé par la chaîne de télévision d’Etat, Russia Today (RT), où il intervient régulièrement en qualité d’analyste. Postérieurement, il a admis avoir été payé pour faire ce voyage et a défendu la chaîne russe, en disant qu’il ne voyait « aucune différence entre RT et la chaîne américaine CNN ».

Un autre anti-iranien convaincu est le nouveau directeur de la CIA Mike Pompeo, ancien militaire formé à l’Académie West Point et membre de l’ultra-conservateur Tea Party. A l’issue de sa formation militaire, il a été destiné à une zone d’extrême tension pendant la guerre froide : il a été chargé de surveiller « le rideau de fer » jusqu’à la chute du mur de Berlin en 1989.

Au cours de sa carrière politique, Mike Pompeo a fait partie de la Commission d’Intelligence du Congrès où il s’est distingué lors de l’enquête qui a mis en sérieuse difficulté la candidate démocrate Hillary Clinton à cause de son supposé rôle pendant l’attaque de Benghazi. Ultra conservateur, Pompeo est opposé à la fermeture de la base de Guantanamo (Cuba) et a critiqué les dirigeants de la communauté musulmane des Etats-Unis. Il est un partisan décidé de la dénonciation du traité nucléaire signé avec l’Iran, qu’il considère comme un « Etat promoteur du terrorisme ».

Mais peut être le plus enragé des ennemis de l’Iran au sein de l’entourage de Donald Trump est le général James Mattis, surnommé « le chien fou », qui sera à la tête du Pentagone [4], en tant que ministre de la Défense. Ce général à la retraite, âgé de 66 ans, a démontré son leadership militaire en commandant un bataillon d’assaut lors de la première guerre du Golfe en 1991 ; plus tard, en 2001, il a dirigé une force spéciale au sud de l’Afghanistan ; en 2003, il a commandé la première division d’infanterie de marine entrée à Bagdad pour renverser Sadam Hussein. En 2004, il était à la tête de l’offensive lors de la prise de Falloujah en Irak, bastion de la révolte sunnite. Homme cultivé, lecteur des classiques grecs, il est aussi surnommé le « moine guerrier », allusion au fait qu’il est resté célibataire sans enfants. James Mattis a répété sans cesse que l’Iran est la « menace principale » pour la stabilité du Proche-Orient, au delà des organisations terroristes telles que Daech ou Al Qaeda : « Je considère que Daech est une excuse pour que l’Iran continue à faire du mal. L’Iran n’est pas un ennemi de Daech ; Téhéran a beaucoup à gagner avec l’agitation créée par Daech dans la région. »

Il est clair que, en matière de géopolitique, Donald Trump devra résoudre rapidement cette contradiction. Au Proche-Orient, Washington ne peut pas être – en même temps – en faveur de Moscou et contre Téhéran. Il faudra clarifier les choses. Sinon, on ne peut que redouter l’entrée en scène du nouveau maître du Pentagone, James Mattis « chien fou », dont il faut se souvenir d’une de ses menaces les plus connues, proférée devant une assemblée de notables bagdadis lors de l’invasion de l’Irak en 2003 : « Je suis venu vous rencontrer en paix et sans armes. Mais, les larmes aux yeux, je vous le promets : si vous ne filez pas droit, je vous tuerai tous ! »

 

Illustration : Gage Skidmore




[1Même si en mai prochain il y aura des élections en France, auxquelles l’actuel président socialiste François Hollande, trop impopulaire, a décidé de ne pas se représenter. Le candidat conservateur mieux place pour être élu, François Fillon, a déclaré de son côté qu’il réorientera la politique extérieure française afin de normaliser les relations avec Moscou.

[2Lire Paul Pillar, « Will the Trump Administration Start a War with Iran ? », The National Interest, 7 décembre 2016. http://nationalinterest.org/blog/paul-pillar/will-the-trump-administration-start-war-iran-18652

[4James Mattis devra obtenir que le Congrès lui accorde une exception pour passer outre la loi qui exige une période de 7 ans entre la sortie de l’Armée et l’accès à la direction du Pentagone.



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