Chroniques du mois

Que faut-il vraiment « sauver » en Europe ?

lundi 1er juin 2015   |   Bernard Cassen
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Il est dans la nature de toute institution de se préoccuper davantage de sa pérennité que de sa finalité. L’Union européenne (UE) n’échappe pas à cette règle. En l’absence de toute vision de son avenir autre que celle du catéchisme néolibéral, les mots qui reviennent le plus souvent ces derniers temps dans les commentaires politiques à son sujet sont le verbe « sauver » et le nom « sauvetage » : il faut « sauver » l’euro ; il faut « sauver » l’UE ; il faut mettre en place des plans de « sauvetage » de tel ou tel de ses Etats membres. Les cas du Royaume-Uni et de la Grèce fournissent des illustrations récentes de cette tendance lourde.

La victoire surprise du Parti conservateur aux élections législatives britanniques du 7 mai dernier, même s’il faut en relativiser l’ampleur en nombre de suffrages [1], a été perçue à l’étranger comme une menace sérieuse de sortie du Royaume-Uni de l’UE (British exit ou Brexit). Dans sa récente tournée des capitales européennes, le premier ministre David Cameron a en effet confirmé son engagement d’organiser au plus tard en 2017 un référendum sur l’appartenance de son pays à l’Union. S’il n’obtenait pas de ses partenaires de l’UE un rapatriement à Londres d’importantes compétences communautaires – dont il se garde pour l’instant de dresser publiquement la liste – et le retour au projet que Margaret Thatcher avait en son temps résumé dans la formule « Tout le grand marché, mais rien que le grand marché », il n’appellerait pas à voter « oui ». L’issue du scrutin dépendrait donc de ce que les principaux centres de décision - Bruxelles, Berlin et Paris - sont disposés à concéder pour « sauver » une UE à 28, c’est-à-dire avec le Royaume-Uni.

Dans l’immédiat, ce n’est cependant pas le Brexit, mais le Grexit (la sortie de la Grèce de la zone euro, mais pas, à ce stade, de l’UE) qui est dans tous les esprits. Pour empêcher la contagion à d’autres pays du mauvais exemple grec de refus des mesures suicidaires d’austérité, prolongé par le succès électoral de Podemos en Espagne, les « faucons » de la Commission, du FMI et de Berlin sont prêts à prendre le risque de contraindre Athènes à faire défaut et donc à sortir de l’eurozone. Pour eux, la monnaie unique a déjà été « sauvée », et ce n’est pas, selon eux, un Etat représentant 2 % du produit intérieur brut (PIB) de l’UE qui la remettra en danger. Le précédent de Lehman Brothers a pourtant montré qu’une faillite bancaire locale pouvait dégénérer en onde de choc systémique mondiale…

On a longtemps dit que la construction européenne sortait renforcée de chaque épreuve qu’elle traversait. Cette fois-ci, au contraire, la recherche de solutions à des crises s’accompagne d’une interrogation sur la raison d’être et l’existence même de l’UE. Il est à cet égard significatif que l’Islande ait retiré en mars dernier sa candidature à l’Union, au motif que ses intérêts seraient mieux servis en dehors d’elle.

La chasse aux déficits budgétaires, l’étranglement des pays endettés, la signature d’accords de libre-échange tous azimuts et l’invocation des totems de la concurrence et de la compétitivité ne sauraient tenir lieu de projet européen mobilisateur. Qui, en effet, serait disposé à descendre dans la rue pour « sauver » ce corpus idéologique ? Il n’en demeure pas moins que, sur des bases radicalement différentes, une étroite coopération entre Etats européens serait indispensable pour peser dans les grandes négociations internationales. En élaborer le contenu et les modalités est une tâche immense. Et il faut faire vite, car des enjeux aussi cruciaux que, entre autres, le changement climatique et les perspectives de migrations massives appellent des réponses coordonnées et solidaires urgentes.

 

 

Pour aller plus loin

Avec Le Monde qui vient (le programme vidéo de Mémoire des luttes)


« L’Europe de l’austérité dans ses derniers retranchements »

Entretiens vidéo avec Bernard Cassen

 

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[1Le scrutin uninominal à un seul tour conduit à une forte distorsion entre le nombre de suffrages obtenus par un parti et son nombre d’élus. Avec 37 % des suffrages, le Parti conservateur obtient 331 sièges, et le Parti travailliste 232 sièges avec 31 % des voix, soit une différence de 100 sièges pour un écart de 6 %. Mais cette distorsion atteint des proportions aberrantes dans le cas du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP) qui remporte un seul siège avec 13 % des votes et dans celui du Parti national écossais (SNP) qui obtient 56 sièges avec un peu moins de 5 % des voix à l’échelle nationale.



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