Les « Commentaires » d’Immanuel Wallerstein

Commentaire n°397, 15 mars 2015

Un accord possible entre la Turquie et les Kurdes

vendredi 24 avril 2015   |   Immanuel Wallerstein
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La possibilité d’un accord entre le gouvernement turc et le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) semble aujourd’hui devenue bien réelle. Un tel accord mettrait fin à un conflit féroce qui date au moins de la fondation de la République de Turquie en 1923.

La question a toujours été assez simple. Avec l’effondrement de l’Empire ottoman, un groupe de nationalistes turcs emmenés par Mustafa Kemal (Atatürk) s’empare du pouvoir et fonde une république laïque dont les frontières comprennent essentiellement les régions de l’Anatolie et de la Thrace. Comme la plupart des nationalistes fraîchement arrivés au pouvoir, ces hommes ont une idéologie jacobine. La république qu’ils établissent sera une république des Turcs, destinée d’abord et avant tout aux Turcs.

Les conflits ethniques avec les Arméniens sont bien documentés et font l’objet de débats sans fin sur les faits qui se sont produits. Aujourd’hui, la plupart des spécialistes dans le monde jugent la version arménienne de l’histoire plus juste et considèrent qu’il y a bien eu nettoyage ethnique.

Les populations de langue kurde vivent aujourd’hui dans quatre pays : la Turquie, la Syrie, l’Irak et l’Iran. Les nationalistes kurdes ont longtemps cherché à créer une sorte d’Etat kurde qui comprendrait les populations de ces quatre pays. Mais jusqu’à présent, ces tentatives n’ont pas abouti et les nationalistes kurdes ont réorienté leurs ambitions vers une revendication de large autonomie dans chacun de ces quatre pays.

Dans le cas de la Turquie, les kurdophones se concentrent dans le sud-est du pays. En 1976, la bannière du nationalisme kurde est reprise par le PKK, mouvement marxiste-léniniste prêt à prendre les armes contre un gouvernement turc qui se refusait à accorder des droits politiques, culturels ou linguistiques aux kurdophones. Le gouvernement turc refusait de reconnaître l’existence même des Kurdes, préférant les appeler Turcs des montagnes. Cette situation déboucha sur le conflit militaire que l’on connaît entre le gouvernement d’Ankara et le PKK.

En 1999, le gouvernement turc capture le dirigeant du PKK, Abdullah Ocalan, avec l’aide de la CIA. Jugé pour trahison et terrorisme, il est condamné à mort, peine ensuite commuée en prison à vie assortie d’un isolement total sur une île-pénitencier. Dans le même temps, la vision du monde d’Ocalan connaît une évolution et l’homme cesse de penser que le marxisme-léninisme puisse continuer à être l’idéologie structurante du PKK. Ce qui n’empêche que parallèlement, divers groupes du PKK poursuivent la lutte armée.

En 2002, un parti politique islamiste, aujourd’hui appelé l’AKP (Parti pour la justice et le développement), arrive au pouvoir en Turquie. Il évince les nationalistes laïques qui avaient longtemps dominé le Parlement et met mal à l’aise une hiérarchie militaire attachée à une laïcité stricte. Recep Tayyip Erdogan réussit à remporter trois élections de suite et son parti paraît désormais avoir fermement la mainmise politique sur l’Etat.

A la surprise générale, Erdogan entame en 2012 des négociations, d’abord secrètes, avec le PKK et donc avec Ocalan. Les deux parties débattent de ce qui pourrait être une solution acceptable au conflit et aux divergences bien ancrées sur les droits des Kurdes et leur autonomie. Le sentiment, partagé de part et d’autre, qu’aucun des deux camps ne serait capable de l’emporter complètement sur le plan militaire a sans doute encouragé cette recherche d’un accord politique. Comme dans d’autres guerres civiles, le facteur de l’usure de part et d’autre a commencé à jouer un rôle et a conduit les forces adverses à envisager une forme de compromis.

Les compromis sont toujours quelque chose de douloureux et il existe toujours des militants de chaque bord pour qui ils sont inacceptables. Les questions classiques qui se posent dans ce type de situation sont de savoir ce que chaque camp peut réellement escompter dans son propre intérêt d’un futur accord et jusqu’à quel point chaque camp peut compter sur le soutien de sa base politique.

Pour avancer, la Turquie doit adopter une nouvelle Constitution. L’AKP est désireux d’augmenter considérablement les pouvoirs du président, ce à quoi les autres partis s’opposent. Le PKK souhaite inclure dans cette nouvelle Constitution diverses clauses qui reconnaîtraient les Kurdes comme un peuple disposant des mêmes droits que les Turcs. Le PKK veut voir dans la Constitution les mots qui reconnaîtraient les Kurdes comme l’autre peuple co-fondateur de la Turquie moderne.

Une question difficile à résoudre dans le détail est celle de l’arrêt des hostilités. Ankara et le PKK sont convenus que les forces armées du PKK se retireraient dans la région kurde autonome d’Irak. Ce retrait est déjà en cours. En revanche, de désarmement il n’est encore point question, et les unités du PKK n’ont pas l’intention de désarmer tant que des progrès plus concrets n’auront pas été enregistrés. Que Ocalan puisse effectuer sa détention en résidence surveillée en Turquie est une question sujette à discussion mais c’est une issue probable.

L’urgence pour le PKK, et ce qui serait son plus grand succès, est d’aboutir à une reconnaissance des droits des Kurdes, même si le terme d’autonomie ne figurera peut-être pas dans la nouvelle Constitution. Pour l’AKP, s’il veut obtenir la majorité de 75% des voix requise au Parlement pour faire adopter le nouveau texte, l’urgence est de s’assurer, si nécessaire, les suffrages des députés kurdes du parlement.

Aussi, dans un climat de méfiance mutuelle persistante et avec beaucoup de prudence, les deux camps se rapprochent de plus en plus d’un accord. Avec quelques difficultés, Ocalan parviendra sans doute à convaincre sa base de soutenir les futurs accords. Il reste un héros pour les Kurdes. Si l’accord passe, les Kurdes seront parvenus à obtenir des droits linguistiques et culturels. Il reste à observer si la situation économique des Kurdes ordinaires changera vraiment.


Traduction : TL

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Ces commentaires, bimensuels, sont des réflexions consacrées à l’analyse de la scène mondiale contemporaine vue dans une perspective de long terme et non de court terme.

 

Illustration : Didier Weemaels





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