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Au Honduras, les dessous du coup d’Etat électoral

mardi 9 décembre 2025   |   Maurice Lemoine

Première présidente de gauche du Honduras, élue en 2021 sous les couleurs du Parti Liberté et refondation (LIBRE), Xiomara Castro verra son mandat s’achever le 27 janvier 2026. L’élection présidentielle, à laquelle la Constitution lui interdit de se représenter, a eu lieu le 30 novembre dernier (en même temps que les scrutins législatifs et municipaux). D’après le système de « résultats préliminaires » et donc non officiels du Conseil national électoral (CNE), deux candidats de droite, Nasry Asfura (Parti national ; PN) et Salvador Nasralla (Parti libéral ; PL) se sont trouvés pendant neuf longs jours au coude à coude (avec chacun environ 40 % des voix). Au terme d’un processus particulièrement chaotique, du fait de supposées « défaillances techniques », une victoire quasi certaine (mais toujours « préliminaire ») d’Afura, avec 40,52 % des suffrages, a été annoncée le 9 décembre, Nasralla n’en recueillant que 39,20 %.

Le scrutin été souillé et manipulé par la grossière ingérence du président américain Donald Trump, lequel a menacé le Honduras de représailles si un autre candidat que « le sien » – Nasry Asfura – venait à s’imposer.

Reléguée très loin en troisième position, avec un score si faible qu’il n’est objectivement pas crédible (moins de 20 %), la candidate de gauche Rixi Moncada dénonce un coup d’Etat électoral et, comme son parti, LIBRE, refuse de reconnaître le résultat.

Un tel épilogue provisoire n’est pas pour surprendre. Ces derniers mois, les manipulations ourdies par ce qu’on appelle au Honduras le bipartisme (PN- PL) et ses alliés internationaux ont en effet jeté un profond doute sur la régularité de l’élection qui s’annonçait. On en jugera ci-dessous…

« Casa Presidencial », Tegucigalpa, 1er mai dernier. « Ils vont tout tenter pour reprendre le pouvoir. Ils veulent même empêcher les élections du 30 novembre [1] ! » C’est lancé par Manuel Zelaya – ex-président progressiste renversé en juin 2009 par un coup d’Etat. Il parle-là des dirigeants de droite (les mêmes qu’en 2009, à quelques exceptions près). Prémonitoire, Zelaya, sept mois avant le scrutin ! Son épouse Xiomara Castro occupe la présidence depuis le 27 janvier 2022. Cette victoire a été précédée de douze ans et sept mois de régime autoritaire, avec aux commandes deux chefs de l’Etat issus du PN – Porfirio Lobo et, surtout, Juan Orlando Hernández, familièrement appelé « JOH ». Pour la gauche, douze ans et sept mois de résistance – sans jamais faire appel à la violence. Puis cette alternance historique. Pour la première fois, l’élue n’est pas issue de l’une des deux familles politiques traditionnelles – PN et PL (organisateurs conjoints du renversement de Zelaya).

Xiomara Castro (en rouge) avec la présidente mexicaine Claudia Scheinbaum


« Refonder le Honduras », tel est le mot d’ordre, après l’accession à la présidence de « Xiomara », début 2022. Suivent quatre années d’une politique de centre gauche, qu’on dira couronnée de substantiels progrès sociaux [2].

Né en réaction au coup d’Etat de 2009, Liberté et Refondation (LIBRE), le parti de Zelaya et de Castro, présente une fidèle, Rixi Moncada, pour prendre la relève. Evoquant cette dernière, le vice-ministre des Affaires étrangères Gerardo Torres nous fait lui aussi, en mai, un pronostic à la Zelaya : « Le gouvernement de Rixi sera beaucoup plus efficace, encore plus socialiste, parce qu’on a davantage d’expérience. Mais, maintenant, ils nous ont vus à l’œuvre, ils nous connaissent. Ils vont mettre le paquet. Ça va être plus délicat de gagner. »

Ce 30 novembre, il s’agira d’élections générales – un(e) chef(fe) de l’Etat pour la période 2026-2030, 128 députés, 20 députés au Parlement centraméricain, 298 maires, 2168 conseillers municipaux. Comme il se doit, l’affrontement pour la présidence retient l’attention. Des cinq candidats issus de primaires, trois occupent le haut du pavé.

Rixi Moncada. Avocate. Ministre (du travail) et gérante de l’Entreprise nationale d’énergie électrique (ENEE) sous la présidence amputée de Zelaya. Membre du Conseil national électoral (CNE), ministre des Finances, puis de la Défense de Xiomara Castro. Entre ces deux mandats, Moncada a été contrainte à l’exil, persécutée judiciairement. Elle fut l’une des fondatrices du Front national de résistance populaire (FNRP) d’où surgit LIBRE en 2012. En tant que ministre des Finances, au début du mandat de « Xiomara », c’est à elle qu’il revint d’annoncer que la gauche héritait d’un Etat en banqueroute avec « des chiffres manipulés, des signes de corruption, des institutions naufragées ». Le regard fixé sur le futur, Moncada nous confie : « J’ai été élue largement lors des primaires et cette force je l’incarne maintenant. Avec le poids de l’expérience et la résistance de quinze années, on va faire avancer le projet politique en faveur de la grande majorité. De façon pacifique, à travers un socialisme démocratique, nous approfondirons le processus de changement. »

Rixi Moncada en campagne (ML)


Dit populairement « Papy à vos ordres » : Nasry « Tito » Asfura. Candidat du Parti National (PN). Puissant entrepreneur dans le domaine de la construction. Ex-député, deux fois maire de Tegucigalpa (jusqu’à 2022). En 2012, Asfura figure en bonne place parmi les détenteurs de comptes dans les paradis fiscaux mis en cause par les « Pandora Papers ». Aux Honduriens il n’en propose pas moins ordre, travail et stabilité. Un écueil cependant : le PN est le parti de l’ex-président Juan Orlando Hernández. Grand serviteur des Etats-Unis pendant ses huit années de pouvoir (2014-2022), ce dernier a été rattrapé par leur patrouille, une fois devenu inutile, au terme de son second mandat. Après avoir demandé et obtenu son extradition, ses ex-amis et protecteurs américains l’ont condamné à 45 ans de prison pour trafic de drogue et crime organisé. En termes de crédibilité, le PN peine à se remettre d’une telle indignité.

Nasry Asfura et Juan Orlando Hernández


Salvador Nasralla. Homme d’affaires, jadis journaliste sportif et présentateur de « Miss Honduras » à la télévision. Caméléon plus qu’homme politique – genre « je vous laisserai tomber dès que ça servira mes intérêts ». Candidat à la présidence en 2013 pour le Parti anticorruption (PAC) qu’il a enfanté en 2011 (et dont il sera ultérieurement exclu) ; à nouveau candidat en 2017 dans le cadre de l’Alliance d’opposition contre la dictature, en coalition avec LIBRE, qui, pour élargir la base électorale, a renoncé à se présenter ; fondateur du Parti Salvador du Honduras (PSH), qu’il abandonne en 2021 pour s’allier à nouveau à LIBRE et Xiomara Castro, dont, après la victoire, il deviendra le « designado presidencial » (fonction s’apparentant, sans en avoir les prérogatives, à celle d’un vice-président). D’emblée en dissidence, du fait de l’établissement de relations diplomatiques avec la Chine, au détriment de Taiwan, Nasralla finit par rompre et devient tête de gondole pour le Parti libéral (PL), qu’il n’avait pas encore essayé.

Nasralla prône l’investissement privé et les alliances internationales, en premier lieu avec les Etats-Unis. En ce sens, il demeure fidèle à une observation tirée d’une interview qu’il réalisa en 1984 du général chilien Gustavo Pinochet (et que personne n’accepta alors de publier). S’il a prudemment précisé plus tard, parlant du dictateur, « je ne l’admire pas ; je ne sais pas si c’est une légende ou la réalité, mais on dit beaucoup de choses avec lesquelles je ne suis pas d’accord », il n’a pas manqué d’ajouter : « Ce que je peux vous dire, c’est que pendant mon séjour au Chili, j’ai pu constater une transformation remarquable : d’un pays pauvre où l’on faisait la queue pour tout, il est devenu une puissance économique d’Amérique latine grâce aux mesures économiques qu’il [Pinochet] a prises. »

Pendant longtemps, Nasralla a été considéré comme le favori de l’ « ambassade » et de Washington jusqu’à ce que, au tout dernier moment, tel l’éléphant s’invitant dans un magasin de porcelaine, un certain Donald Trump, on le verra, ne sème la confusion en le vouant aux gémonies (mais pas à cause de Pinochet !).

Salvador Nasralla et le général Augusto Pinochet


Au-delà d’incontestables réussites, le Honduras de Xiomara Castro n’est pas parfait. On reproche au pouvoir un certain népotisme – le nombre de membres de la famille Zelaya siégeant à hauts niveaux politiques ou gouvernementaux étant de fait impressionnant. En raison d’une insécurité certes en régression, mais non maîtrisée, le pays va d’état d’exception en état d’exception. Alors que le gouvernement de « JOH » avait évincé une Mission de lutte anti-corruption (MACCIH) mise en place par l’Organisation des Etats américains (OEA), Xiomara Castro s’était engagée, pendant la campagne électorale, à faciliter la création d’une Commission onusienne de lutte contre la corruption (CICIH). La promesse n’a pas été tenue.

En juin 2025, sur la base d’écoutes téléphoniques privées, la députée de LIBRE pour le département de Copán, Isis Cuéllar, a défrayé la chronique. D’une conversation avec le ministre dirigeant le Secrétariat de développement et d’inclusion sociale (Sedesol) José Carlos Cardona, il est ressorti que des fonds de cette institution ont été indument utilisés à des fins de campagne politique. Près de quatre-vingts députés – dont une majorité de LIBRE – seraient concernés. Toutefois, la réponse fut immédiate : Cardona dut présenter sa démission, Isis Cuéllar fut suspendue et le Sedesol repris en main.

Une évolution certaine, eu égard aux douze années de gouvernance du Parti national qui ont précédé. Qui n’a en mémoire ici le pillage de l’Institut hondurien de sécurité sociale (IHSS) découvert en 2014 ? Trois cent millions de dollars détournés, au détriment de la santé publique, et atterrissant dans des mains inappropriées ! Qui a oublié la pénétration du pays par le narcotrafic et les complicités qui l’accompagnèrent au plus haut niveau ?

Ce dont on parle aujourd’hui dans les gazettes, c’est, entre autres, d’une Loi de justice fiscale déjà dans les tuyaux et que Rixi Moncada entend mener à son terme si elle est élue. Dans la perspective de la future présidentielle, LIBRE conserve donc un fort appui populaire. Une situation fâcheuse, vue depuis une classe dominante guère habituée à payer des impôts et à respecter la démocratie.




Honduras en 2025 (ML)


L’une des hypothèses évoquées devant nous en mai par plusieurs responsables de LIBRE – à commencer par Manuel Zelaya – avait de quoi surprendre : l’opposition pourrait tenter d’empêcher la tenue des élections ou, le cas échéant, les faire invalider. L’explication d’un scénario de ce type était la suivante : une victoire de Rixi Moncada étant considérée probable, un second mandat à la présidence permettrait à la gauche de s’y solidifier. La droite, en revanche, après sa défaite de 2021 et l’impact de l’affaire « JOH », a besoin de temps pour continuer à se réorganiser. D’où l’intérêt d’une période de chaos, imputable à une supposée gestion erratique voire autoritaire de LIBRE, plutôt que d’une élection à nouveau perdue. Sauf, bien entendu, à s’assurer de la victoire, quels que soient les moyens employés.

La première des peaux de bananes balancées par la droite a lieu à l’occasion des primaires, le 9 mars 2025. Celles-ci permettent à Rixi Moncada, Nasry Asfura et Salvador Nasralla d’émerger en tête de leurs partis respectifs. D’après le Conseil national électoral (CNE), au terme de ce scrutin considéré secondaire par nombre de citoyens, le PN réunit le plus grand nombre de votants (825 205), devant LIBRE (727 783) et le PL (656 645). Toutefois, à titre individuel, c’est Moncada qui recueille le plus grand nombre de voix (674 215) devant Asfura (625 870) et Nasralla (381 063). D’où, en fonction du tropisme de chacun, deux interprétations possibles : « le Parti national caracole en tête » ou « Rixi est la favorite » de la prochaine élection.

De là ne provient pas l’intense polémique qui s’ensuit. A Tegucigalpa et San Pedro Sula (la capitale économique), la consultation a été marquée par une sérieuse confusion. Du fait d’anomalies dans la livraison du matériel électoral, certains bureaux de vote n’ont été ouverts qu’avec un retard considérable – plus de douze heures dans certains cas. L’épisode a déclenché une tourmente politique. A travers sa présidente Cossette López, représentante du PN en son sein, le CNE a mis immédiatement en cause les Forces armées (FAH) et celle qui était alors ministre de la Défense, Rixi Moncada.

En 2009, l’armée fut directement impliquée dans le renversement de Manuel Zelaya. Seize années plus tard, son haut commandement a été largement renouvelé. A travers son chef de l’état-major, le général Roosevelt Hernández, l’institution exprime sa loyauté à l’égard du pouvoir – quand bien même il ne serait pas dominé par l’oligarchie. La droite ne lui pardonne pas cette trahison. Il se trouve que, d’après l’article 272 de la Constitution, les militaires sont mis à disposition du CNE pour le transport et la surveillance du matériel électoral. Ce sont donc eux qui, sur instruction de LIBRE et de Moncada, auraient saboté les primaires. Ex-abrupto, Cossette López déclare : « Dans ces conditions, il sera impossible d’organiser les élections de novembre prochain. »

Vice-président du Congrès, Hugo Noé Pino a été le témoin du processus de prises de décisions et de tout ce qui s’est passé à cette occasion. Il nous donne une autre version des faits. Pour diverses raisons, la planification du CNE a failli. « Les bulletins de vote ont été commandés trop tard. Ils sont arrivés au dernier moment. Tôt le matin des primaires, on préparait encore les caisses les contenant. » Au milieu de la confusion, les régulateurs du CNE modifient les modalités du transport vers les bureaux de vote. A certains des camions prévus, ils substituent des autobus. Lesquels, réquisitionnés de façon impromptue et faute d’instructions claires, s’égarent, s’attardent, se fourvoient, peinent à assurer correctement la mission. « A bord, les militaires ont pour seule tâche de surveiller le matériel. Le transport est géré depuis le CNE. C’est lui qui conserve l’administration des trajets. » Au bout du compte, seuls 1,4 % des bureaux de vote ont été affectés par les dysfonctionnements. Dont tous les partis ont été victimes. Ce qui signifie ceci : « En tant que présidente du CNE, c’est à Cossette López de résoudre les problèmes. Sans aucune base réelle, tout cela n’a été qu’un show politique. » Destiné, par avance, à faire naître la suspicion sur l’attitude de l’armée et la gestion du système électoral par le gouvernement.

Campagne médiatique contre le général Roosevelt Hernández


Parmi bien d’autres, entre en scène un personnage non totalement secondaire dans la conspiration qui vient : Gonzalo Fournier, diplomate espagnol de carrière, ambassadeur de l’Union européenne au Honduras. Par un communiqué, il fait immédiatement part du soutien de l’UE au CNE. Déjà, le 25 février, lors d’une rencontre organisée dans les locaux de l’ambassade avec l’Association des médias du Honduras (AMH) et plusieurs diplomates du vieux continent, il avait exprimé sa « solidarité à la liberté d’expression et à la presse ». Rebelles à toute information qui ne va pas dans leur sens, ces malheureux médias de l’oligarchie étaient, paraît-il, victimes d’un harcèlement provenant du gouvernement.

Courant avril, Fournier rajoute une pierre à l’édifice en rencontrant Cossette López, et elle seule, ignorant les autres membres du CNE. Au terme de la visite, qu’il effectue en compagnie de l’ambassadeur de France Cédric Prieto, du représentant du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) Richard Barathe et d’un diplomate canadien, Fournier réitère son appui à des « institutions électorales » qui seraient menacées. Hugo Noé Pino cette fois réagit : « Il ne me semble pas que le moment diplomatique soit le plus opportun pour solliciter une réunion de cette nature et, en l’imaginant nécessaire, je me demande pourquoi n’a pas été sollicitée directement la plénière du CNE [3]. »

Ouvertement hostile à Rixi Moncada et à LIBRE, cul et chemise avec l’ambassade des Etats-Unis et le représentant du PNUD Richard Barathe, Gonzalo Fournier « prépare » activement les élections – et la future présence d’une mission d’observation de l’UE – en compagnie des messieurs et des dames de la classe dominante. Avec la fougue d’un lobbyiste, il promeut l’image de Nasralla auprès des ambassadeurs des pays de l’Union européenne. Il conspire. Il conspire de façon si évidente que cela finit par se remarquer. Logé à la même enseigne que l’ambassadeur d’Israël Navad Goren, il n’a jamais été reçu par Xiomara Castro pour présenter ses lettres de créance. Bien que le gouvernement hondurien ne fasse aucun commentaire officiel à ce sujet, Fournier, l’homme de l’UE au Honduras, n’y est pas officiellement accrédité ! Sauf auprès du CNE, pourraient s’amuser certains…

Le Conseil national électoral : trois membres principaux (dotés de suppléants). Leur nomination par le Congrès résulte d’un accord politique entre les trois principaux partis – PN, PL et LIBRE. Le PN, on l’a vu, est représenté par Cossette López ; le PL par Ana Paola Hall ; LIBRE par Marlon Ochoa. La présidence est exercée par rotation, pour une durée d’un an. Majoritaires au sein de l’instance, les représentants de la droite ont imposé l’ordre de cette alternance. Cossette López (PN) présidera durant la préparation de l’élection, jusqu’au 11 septembre 2025 ; à cette date, Ana Paola Hall (PL) prendra le relai pour diriger l’institution pendant le déroulement des scrutins ; Marlon Ochoa (LIBRE), de toute façon minoritaire, ne sera aux commandes qu’après la bataille, en septembre 2026.

Pour la période qui nous intéresse, les pions du bipartisme contrôlent donc totalement le CNE.

Cosette López et Ana Paola Hall


Nouvelle étape. Main dans la main avec Ana Paola Hall, Cossette López tente d’introduire une intervention humaine dans le système informatique de Transmission des résultats préliminaires (TREP) avant que celui-ci ne divulgue les chiffres sortis des urnes. Une telle présence pourrait permettre d’intercepter pour « vérification » – puis élimination ! – des procès-verbaux par trop favorables à Rixi Moncada. Procès d’intention ? C’est un tel mécanisme (illégal au regard des articles 266 et 278 de la loi électorale) qui, en 2013 et 2017, a permis la manipulation des résultats. La vigoureuse dénonciation de Marlon Ochoa entraîne une crise de première grandeur. L’intensité de la confrontation amène le Ministère public à perquisitionner le CNE et à y saisir divers documents. Malgré les accusations de « conspiration » lancées contre le pouvoir par les faiseurs d’opinion, l’alerte lancée par Ochoa paye, la manœuvre échoue.

Comme on l’a fait pour le CNE, on s’arrêtera ici un instant sur le TREP qui, de façon récurrente, va se trouver au cœur des débats. Comme son nom l’indique, il est utilisé pour scanner, numériser et transmettre rapidement les données des rapports de clôture des bureaux de vote afin de fournir des résultats « préliminaires ». Les chiffres qu’il donne le soir du scrutin et les jours suivants n’ont rien d’officiels. Ils indiquent une tendance à divers moments du dépouillement, mais peuvent permettre d’installer un candidat dans la posture du vainqueur. Que les résultats officiels, connus ultérieurement, diffèrent de ceux annoncés initialement en grande pompe par le TREP peut aisément donner lieu, par la grâce d’une énergique agitation politico-médiatique, à une mise en accusation du pouvoir, censé avoir manipulé les résultats pour les inverser. Donc…

Ochoa à nouveau, en empêcheur de truquer en rond. Il s’agit cette fois, pour le CNE, de choisir l’entreprise chargée de la connectivité par satellite du TREP. Une étape cruciale pour garantir la rapidité et la transparence des résultats initialement annoncés. Le conseiller de LIBRE dénonce : des représentants du PN et du PL se sont rendus en Amérique du Sud en quête d’entreprises disposées à servir de prête-nom à Mapa Soluciones, éliminée d’office car impliquée dans les irrégularités de 2017. Ces firmes répondent à l’appel d’offre par des propositions inférieures au prix du marché afin d’être certaines de gagner la licitation. Avec pour objectif une mainmise sur le système.

L’invocation de l’article 51 de la Loi des contrats de concession de l’Etat permet de neutraliser les choix les plus visiblement tendancieux. Fin août, en urgence, pour ne pas dire précipitamment, à quelques heures du terme du délai légal, une décision unanime assigne la tâche à l’entreprise colombienne Grupo ASD.

Grupo ASD : poursuivi à deux reprises par la justice en Colombie. La première, en 2008, pour « manipulation de votes » ; la seconde, en 2014, par le Conseil d’Etat, pour « irrégularités » lors de l’élection présidentielle. En cette année 2025, l’entreprise possède deux actionnaires honduriens dont on ne se hasardera pas à garantir une bienveillante neutralité : l’avocat Germán Enrique Martel qui, lorsqu’il était directeur d’Empresa Energía Honduras (EEH, de capital colombien), eut à gérer un fort conflit impliquant 500 millions de dollars avec l’Entreprise (publique) hondurienne d’énergie électrique (ENEE) ; Walter Castellanos, candidat… du PN au Parlement centraméricain, ce 30 novembre 2025 !

Courte pause, nouvelle controverse. Deux magistrats du Tribunal de justice électorale (TJE) liés à l’opposition – Miriam Barahona (PL) et Mario Flores Urrutia (PN) – ordonnent au CNE d’inscrire la candidature du citoyen Jorge Cálix à la députation dans le département d’Olancho. De notoriété publique, ce dernier est inéligible pour deux raisons. Ayant participé en mars à la primaire du PL comme pré-candidat présidentiel (battu par Nasralla), la loi lui interdit de se présenter à une autre fonction. D’autre part, pour pouvoir postuler dans le département d’Olancho, Cálix devrait y avoir résidé au moins cinq années. Ce n’est évidemment pas le cas dans la mesure où il est actuellement député du département Francisco Morazán (la même anomalie est ignorée par le TJE pour le candidat à la députation du Valle, Cristian Villalobos).

Pour faire bonne mesure, les deux magistrats ont imposé cette décision contestable sans respecter le quorum obligatoire, en l’absence du troisième membre du TJE, représentant de LIBRE, ou même de son suppléant. « Qu’ils aient été capables de tenir session avec une plénière qui n’était pas la plénière, avec une plénière de deux qui n’est pas la plénière et, en outre, d’émettre une résolution contraire à la Constitution, a de quoi effrayer la population », observa l’avocate Reina Rivera Joya, prenant acte d’une propension évidente à contourner la loi.

Malgré la vague de fureur d’une opposition hurlant à l’autoritarisme, le Ministère public attaque les deux magistrats fautifs pour « prévarication judiciaire ». Prenant acte du côté indéfendable de « la cause », le CNE annoncera début novembre que Cálix (tout comme Villalobos) ne pourra se présenter.

Entre temps – un plan après l’autre –, le bipartisme a poursuivi son entreprise de dé-légitimation du pouvoir. Année électorale oblige, le Congrès, qu’il domine, a volontairement fait traîner les débats et empêché l’adoption de projets de lois qui, déposés par LIBRE, étaient susceptibles de lui valoir l’approbation de larges pans de la population. D’après la Constitution et la loi organique, le pouvoir législatif entame sa session le 25 janvier de chaque année et la termine le 31 octobre de la même année. Pendant l’intersession, une Commission permanente entre en fonction pour assurer la continuité institutionnelle [4]. Et voici que l’échéance arrive.

Le 28 octobre, les députés du PL, du PN et de Salvador du Honduras (PSH) prétendent indument convoquer une session « extraordinaire » dans le but d’empêcher la nomination et la formation de cette Commission, où ils ne disposeront plus de la majorité. L’accès aux locaux du Congrès leur étant interdit par la police, ils tiennent leur assemblée à l’extérieur [5]. Un seul point à l’ordre du jour : la prolongation de la session ordinaire jusqu’au 20 janvier 2026.

Explication du coup de force : si le CNE se trouve dans l’incapacité de proclamer un vainqueur de l’élection présidentielle avant le 30 décembre 2025, la décision doit être prise par le Congrès.

C’est ainsi que, jusqu’aux Etats-Unis, se propage une allégation : l’« illégitime » commission a entrepris d’éliminer le Congrès afin de pouvoir imposer arbitrairement sa décision. Qu’importent les précisions apportées par Manuel Zelaya en personne  : « La Commission permanente ne peut pas se substituer au Congrès national ni à la plénière. Ses fonctions sont administratives et techniques, mais cette réalité est manipulée pour tromper les gens. » Et de détailler : l’entité ne peut ni intervenir dans le processus électoral, ni compter les suffrages, ni déclarer vainqueurs les députés, maires ou président de la République – compétences exclusives du CNE et, dans certains cas, de la plénière du Congrès.

Inutile ! La version fantasmatique d’une commission décidant arbitrairement du nom du vainqueur de l’élection présidentielle se se répand comme une marée.

Majorité du Comité des affaires étrangères de la Chambre des représentants – « Les événements récents indiquent que le pays s’oriente vers la voie autoritaire empruntée par le Venezuela et le Nicaragua, menaçant la sécurité nationale des États-Unis et la stabilité régionale. »


Dans un tel contexte, chacun croit nécessaire d’exprimer ses positions. Les Forces armées font à leur tour grimper la tension lorsque le commandant en chef Roosevelt Hernández demande au CNE d’avoir accès aux procès-verbaux électoraux, au terme de la présidentielle. Cette fois, c’est l’avocat constitutionnaliste Joaquín Mejía qui monte au créneau pour rappeler que le rôle des militaires se cantonne à l’appui logistique : ils doivent, rappelle-t-il, « assurer la sécurité du matériel électoral, garantir qu’il arrive dans les bureaux de vote, protéger les urnes et le processus au cas où il y aurait de la violence ou des actes cherchant à saboter ou à altérer la volonté populaire ». En aucun cas la demande d’ Hernández, dont on peine alors à deviner si elle est faite pour de bonnes ou d’inquiétantes raisons, ne figure dans la Constitution ou dans la Loi électorale du Honduras. Entre les mains de l’oligarchie – connue sous l’expression « les dix familles » – la sphère journalistique a tout loisir cette fois de s’en donner à cœur joie.

Son état d’extase et de jouissance sera néanmoins de courte durée.

On entre à ce moment « dans le dur » d’un processus électoral amené à se dérouler selon les coutumes de la tradition locale. Sur la base d’écoutes téléphoniques dont on ignore l’origine, le procureur général Joel Zelaya dénonce l’existence d’une conspiration. Stockés sur une clé USB, les vingt-six enregistrements audios rendus publics permettent de reconnaître les voix de Cossette López (CNE), du député Tomás Zambrano, chef du groupe parlementaire du PN, et d’entendre également un militaire dont on ne peut deviner l’identité. Les propos ne laissent nulle place à l’équivoque. Il s’agit de saboter la logistique et d’infiltrer des complices parmi les observateurs de l’Organisation des Etats américains (OEA) et de Union européenne (MOE-UE). Au cours d’un des échanges évoquant le TREP, le timbre reconnaissable de Cossette López se fait impératif : « L’important est d’annoncer que Salvador Nasralla est en tête et, “por favor”, pour l’amour de Dieu, surtout pas Rixi Moncada ! » En cas de résultats « insatisfaisants », il conviendra de retarder leur divulgation, de les altérer et de créer un chaos permettant de déclarer les élections « invalides ». De façon très explicite, il est précisé qu’un secteur des Forces armées appuiera le « coup », de même que l’ambassade des Etats-Unis.

La droite et ses relais font feu de tout bois et, sans grand souci de cohérence, enchainent les arguments : il s’agit d’enregistrements créés par intelligence artificielle ; d’ailleurs, ils ont été obtenus de manière illicite, ce qui constitue un délit ! LIBRE mandate l’expert colombien Jeisson Villamil, directeur de PTC Private Investigation Technology pour les examiner. Après avoir présenté en conférence de presse le rapport technique qui en confirme l’authenticité, Villamil révèle qu’il reçoit des menaces de mort. Ce n’est pas ce qui retient l’attention. Un fort battage médiatique met en cause LIBRE. Proceso, El Heraldo, La Tribuna, La Prensa et les autres se donnent à fond. Tout comme la défense de Cossette López, ils mettent en cause l’expertise « payée » par le parti au pouvoir. Qui pourrait en entériner les conclusions ? Le ministère public coupe court à la controverse en précisant qu’il possède « ses propres experts, ressources et mécanismes de coopération, tant au niveau régional qu’international » pour mener les investigations. Et confirme l’authenticité des « audios ».

Dans l’ombre, finance, entreprises, groupes de pouvoir et fonctionnaires publics peaufinent les opérations… Eduardo Facussé, éminente figure de l’oligarchie ; Basilio Fuschich Hawit, président de l’Association des exportateurs de café du Honduras (Adecafeh) ; Miriam Barahona, du Tribunal de justice électorale ; Salvador Nasralla lui-même… Quatre jours avant le scrutin, sept nouveaux enregistrements vont confirmer les intrigues en cours. On retrouve Tomás Zambrano, discutant avec une spécialiste en télécommunications de la possibilité d’affaiblir le signal Internet dans diverses zones en arguant de « dysfonctionnements dus au climat » pour empêcher ou retarder la transmission des résultats. En diverses occasions réapparaît l’utilisation du TREP pour imprimer dans les cerveaux la « victoire de Nasralla » bien avant la fin du dépouillement. Et puis ceci (cerise sur le gâteau) : Cossette Lopez négociant pied à pied avec un interlocuteur (non identifié) une récompense de 7 millions de lempiras (environ 280 000 euros), parce que « 3 millions de lempiras ce n’est rien, vous n’achetez même pas une petite maison à Guaimaca avec cette merde, donc augmentez la mise (…), là nous pourrions commencer à parler ».

Le 9 novembre a eu lieu le simulacre organisé par le CNE pour tester le dispositif électoral – et en premier lieu le TREP – dans les dix-huit départements du pays. Un résultat catastrophique. Echec total de la connexion par satellite et d’un des canaux destinés à la transmission des « actas » depuis les bureaux de vote. A la fin de l’exercice, seuls 1556 procès verbaux sur les 4362 prévus avaient pu être transmis (35,7 %). En d’autres termes, d’après Marlon Ochoa : « A vingt jours des élections, il n’existe aucune garantie d’un TREP transparent. »

Ochoa étant lié à LIBRE – il a été un temps ministre des Finances de Xiomara Castro –, nul n’est obligé de le croire sur parole, objectera-t-on et objecte-t-on déjà depuis longtemps. Il se trouve que, du 30 octobre au 2 novembre, les experts en cyber-sécurité de la Mission d’observation de la Conférence permanente des partis politiques d’Amérique latine et des Caraïbes (COPPPAL) ont analysé le fonctionnement du TREP. Le 11 novembre, ils remettent au CNE, mais aussi aux observateurs de l’Organisation des Etats américains (OEA) et de l’Union européenne un rapport technique dévastateur [6] : d’après celui-ci, les carences de l’infrastructure technologique et du système de cybersécurité compromettent la traçabilité et la fiabilité du système. « Aucune des mesures recommandées dans le rapport n’ont été mises en œuvre », rapportera plus tard Milton Morrison, responsable de cette mission présente à l’invitation de tous les partis, « bien qu’elles aient été soumises dans les délais et selon le format requis ».

Mission d’observation de la Conférence permanente des partis politiques d’Amérique latine et des Caraïbes (COPPPAL)


Alors qu’on devinait déjà l’ampleur de l’attaque contre les institutions, Manuel Zelaya, le souvenir de 2009 toujours en tête, a précisé, fin juillet : « Aujourd’hui, nous sommes organisés, préparés et entraînés à travers plus de 30 000 collectifs de base déployés dans tous les coins du pays. » Des groupes de militants surgis des quartiers populaires, rien de plus. A la rhétorique guerrière, la propagande de l’opposition substitue la peur. Le parallèle avec les abominables « colectivos » chavistes du Venezuela et les atroces « turbas » sandinistes du Nicaragua devient partout présent, sous forme d’images, de messages écrits ou parlés. Ces « violents » groupes de choc « constituent une sérieuse menace pour la démocratie ».

Fort heureusement, la civilisation veille. Et quelle civilisation !

Les Etats-Unis sont le plus important partenaire commercial du Honduras, le principal investisseur local et le premier pays d’accueil de l’immigration. En provenance du nord, les « remesas » (transferts financiers), essentiels à plus de 2 millions de familles et à l’économie nationale, représentent près de 27 % du PIB.

En 2021, trois semaines avant la victoire prévisible de Xiomara Castro, Washington a nommé au Honduras une ambassadrice de choc, Laura F. Dogu. Celle-ci occupait le même poste au Nicaragua en 2018, quand une vague de violence insurrectionnelle tenta de renverser le président sandiniste Daniel Ortega. D’emblée la « diplomate » se fit remarquer à Tegucigalpa par ses interventions publiques, ses ingérences, ses « condamnations » des réformes entreprises – énergie, investissements et emploi. Une relation rendue plus difficile encore par quelques décisions souveraines, mais peu à même d’enthousiasmer Washington : l’établissement de relations officielles avec la République populaire de Chine au détriment de Taiwan ; la reconnaissance de Nicolás Maduro comme président élu du Venezuela, en juillet 2024 ; le choix du multilatéralisme et de l’intégration, symbolisés par la présidence pro temporé de Xiomara Castro à la tête de la Communauté des Etats latino-américains et Caraïbes (Celac). Dans un pays longtemps considéré comme une « République bananière », une source de fierté pour le vice-ministre Gerardo Torres : «  Dans l’histoire du Honduras, jamais on n’avait eu le secrétariat général de quoi que ce soit ! »

« On a eu des épisodes où le ministre des Affaires étrangères a convoqué l’ambassadrice des Etats-Unis pour lui demander de baisser le ton, confie le même Torres. Et, après, on a eu des épisodes de réconciliation. » Il existe même des projets communs, dont « le plus grand qu’a le Honduras, un chemin de fer interocéanique qui reliera le port de Trujillo [sur le mer des Caraïbes] à Amapala [dans le Golfe de Fonseca], et qui sera un corridor important dans quelques années ».

Malgré quelques accalmies, un épisode particulièrement « chaud » a entaché les relations entre les deux pays lorsque, début janvier 2025, Donald Trump entreprenant sa traque aux migrants, parmi lesquels 260 000 Honduriens, Xiomara Castro a menacé, en représailles, de fermer la base militaire US de Soto Cano [7].

En permettant des déploiements de troupes rapides, cette base aérienne constitue un centre stratégique essentiel pour les opérations américaines en Amérique centrale. Un récent rapport émanant de l’US Army note que « sa fermeture entraînerait vraisemblablement une diminution de l’influence et de l’efficacité opérationnelle des Etats-Unis dans la lutte contre le trafic de stupéfiants et les initiatives de stabilisation régionale (…)  », avant d’avertir qu’une telle issue « pourrait constituer un revers militaire et un défi multiforme susceptible de déstabiliser la région et de nuire aux intérêts américains [8] ».

Il se trouve que Washington va connaître un dur revers en Amérique du Sud. Consultés par référendum le 16 novembre 2025, 60,8 % des Equatoriens ont refusé de modifier la Constitution pour permettre le retour de bases militaires étrangères – lire « étatsuniennes » – sur le territoire national [9]. Risquer de perdre Soto Cano devient, dans ce contexte, inenvisageable. Un pouvoir de droite à Tegucigalpa offrira en la matière davantage de sécurité.

Après trois années de présence entachées de polémiques, l’ambassadrice Laura Dogu a quitté le Honduras le 28 mars 2025. Geste politique à connotation négative, le Département d’Etat ne lui a pas nommé de successeur. Un chargé d’affaires, Roy Perrin, l’a remplacée. Cela ne signifie pas qu’il est plus inoffensif. Il travaillait avec Dogu à l’ambassade depuis 2022.

Depuis les Etats-Unis, les signaux fusent à jet continu. Le 24 août, le Comité des affaires extérieures de la Chambre des représentants avertit que « si le Honduras adopte une voie autoritaire comme le Venezuela et le Nicaragua, cela impliquera une menace à la sécurité nationale des Etats-Unis et à la stabilité régionale ». Pamela Bondi, la procureure générale qui a mis 50 millions de dollars de récompense sur la tête de Nicolás Maduro, accuse Tegucigalpa d’être payé par ce dernier pour collaborer avec le Cartel des soleils – dont tout le monde sait qu’il n’existe pas [10]. Présidente du Sous-comité sur l’hémisphère occidental à la Chambre des représentants, l’« ultra » d’origine cubaine María Elvira Salazar crache le feu contre Rixi Moncada, l’ « héritière du projet communiste » de Xiomara Castro.

Plutôt que d’arpenter les contrées chaudes et poussiéreuses de son pays, Nasralla fait campagne là où tout se décide – aux Etats-Unis. En cohorte, ses compatriotes à cravate et liasses de billets se succèdent à Washington et Miami. Après avoir tenu une réunion avec des représentants du secteur patronal hondurien, le sous-secrétaire d’Etat aux affaires latino-américaines et caraïbes, Christopher Landau, s’inquiète « des pressions et du harcèlement » subis par les membres du CNE et dénonce la « Commission permanente illégitime « qui s’est substituée au Congrès. Pure fumisterie ! Landau connaît parfaitement le rôle et les limites de la dite commission, le ministre hondurien des Affaires étrangères, Javier Bu Soto, les lui ayant personnellement expliqués.

Surgit ensuite celle dont le monde ne peut plus se passer : dans un émouvant message d’encouragement, la Prix Nobel de l’Imposture vénézuélienne, María Corina Machado [11], demande aux Honduriens d’ « ouvrir un nouveau chapitre lumineux de liberté ».

Forum de Madrid – « Le couple Zelaya-Castro veut saboter les élections pour rester illégalement au pouvoir et protéger le Cartel des Soleils » (cartel de drogue vénézuélien imaginaire censément commandé par Nicolás Maduro).


Ne manquait que le gendarme mondial « himself ». Créant un séisme, il se manifeste quatre jours avant le scrutin. « Je ne peux pas collaborer avec Moncada et les communistes, avertit Donald Trump sur son réseau Truth Social, et Nasralla n’est pas un allié fiable pour la liberté, on ne peut pas se fier à lui. J’espère que le peuple du Honduras va voter pour la liberté et la démocratie et va élire Tito Asfura président. » Pourtant spécialistes de l’ingérence, jamais les Etats-Unis n’avaient agi aussi grossièrement. Et ce n’est qu’un début. Pour être sûr que ses ordres ont été compris, le locataire de la Maison Blanche récidive l’avant-veille du jour fatidique. Si Asfura ne gagne pas, précise-t-il, « les Etats-Unis ne gaspilleront pas leur argent, car un mauvais dirigeant peut uniquement conduire un pays à des résultats catastrophiques, quel qu’il soit ». Là-dessus, Trump annonce qu’il accordera « une grâce totale et complète » à l’ex-président Juan Orlando Hernández – injustement condamné par la justice… de Joe Biden !

Donald Trump dans ses œuvres : « Votez pour Tito Asfura à la présidence, et félicitations à Juan Orlando Hernandez pour sa grâce prochaine. Merci de votre attention à cette affaire. Rendez sa grandeur au Honduras. »


Dans l’ombre, deux plateformes électroniques à qui ont été communiquées au moins quatre bases de données contenant chacune plus de 90 000 noms se livrent à un envoi massif de messages. Ces bases de données proviennent d’établissements bancaires et concernent notamment les titulaires de comptes bénéficiaires de transferts de fonds internationaux [12]. C’est ainsi que, les 27, 28 et 29 novembre, plusieurs dizaines de milliers de Honduriens recevront un message MMS sur leur téléphone portable : « Si Rixi Moncada gagne, les “remesas” du mois de décembre n’arriveront pas. » Parallèlement, une campagne au contenu sensiblement similaire est diffusée sur diverses stations de radio.

Dans un premier temps, l’inattendu lâchage d’un Nasralla jusque-là soutenu par l’ « establishment » a provoqué autant de stupéfaction que d’incompréhension. Deux hypothèses ont circulé : il s’agissait d’une nouvelle manifestation du niveau de chaos et de divisions régnant au sein de l’administration américaine, avec Trump arbitrant et n’en faisant qu’à sa tête ; à moins qu’on ait affaire à un urgent « changement de cheval » dû à un très mauvais score de Nasralla, loin derrière Moncada, dans les sondages privés réalisés par l’opposition. Très vite, pourtant, ces interrogations sont devenues secondaires tant l’obscénité des manigances émanant du Bureau Ovale sautait aux yeux.

Tout d’abord un chantage, comme il fut fait avec succès pour l’Argentine lorsque, à l’occasion des législatives d’octobre, la Maison Blanche conditionna l’octroi d’une aide massive de 20 milliards de dollars à la victoire des candidats du président Javier Milei. Cette fois, le discours de Trump laisse entendre que l’aide américaine à Tegucigalpa s’interrompra en cas de défaite d’Asfura. Qu’il pourrira la vie du Honduras si Moncada l’emporte. Qu’il ciblera les migrants honduriens présents aux Etats-Unis.
De quoi inciter les indécis à voter ; pousser vers le PN des électeurs moins attachés au PL (ou même à LIBRE) qu’à la stabilité économique du pays et à l’aide financière envoyée par les membres de la famille présents chez les Yankees.

Juan Orlando Hernández… Le comble de l’hypocrisie. Sous le prétexte inepte qu’il serait le chef d’un gang de narcotrafiquants – le Cartel de los Soles – le Département de la justice américain a mis à prix, 50 millions de dollars, la tête de Nicolás Maduro ; depuis plusieurs mois, au nom de la guerre à la drogue, une imposante flotte de l’US Navy assiège la côte caraïbe du Venezuela, rebaptisé pour les besoins de la cause « narco-Etat » ; dans le cadre de cette intervention impliquant le plus moderne et puissant porte-avions du monde, au moins 83 personnes suspectées de transporter de la cocaïne ont été assassinées en mer, extrajudiciairement ; au nom de cette même supposée lutte implacable, Trump menace le Mexique et la Colombie. Puis, sans pudeur aucune, fait libérer le 2 décembre de la prison fédérale d’Hazelton (Virginie-Occidentale), l’ami hondurien reconnu coupable d’avoir participé et protégé un réseau qui a expédié plus de 500 tonnes de cocaïne aux Etats-Unis entre 2004 et 2022.

L’extravagante mesure a sans doute pour objectif d’enrégimenter à nouveau des partisans du PN que la condamnation infamante de « JOH » avait démobilisés. Elle peut tout aussi bien rapprocher de LIBRE des Honduriens indignés par tant de cynisme et d’immoralité. En ces temps de reprise en main du « pré-carré » étatsunien, elle a surtout valeur de message aux droites dures latino-américaines : « Vous pouvez tout vous permettre, l’Impérialisme vous soutiendra. » Dès lors, pourquoi se gêner ?

Le président Juan Orlando Hernández et l’actuel secrétaire d’Etat Marco Rubio avant « les regrettables incidents » de l’extradition aux Etats-Unis, de l’accusation et de la condamnation.


« Le TREP a été piraté, nous savons déjà ce qui se passera dans la nuit du dimanche 30 novembre », avait déclaré Rixi Moncada lors de son dernier meeting de campagne. Elle donna alors plusieurs instructions aux membres du parti afin de garantir la surveillance du vote populaire. En substance : conserver précieusement les copies physiques des procès-verbaux émis dans chaque bureau de vote.

La veille de l’élection, malgré l’opposition de Marlon Ochoa, le CNE a approuvé la suppression du dispositif biométrique d’identification des électeurs dans les bureaux de vote. Expressément reconnue par l’article 259 de la loi électorale, la vérification des empreintes digitales effectuée grâce à ce dispositif permet de s’assurer que le nombre d’électeurs, dûment identifiés et autorisés, correspond bien à celui du procès-verbal de dépouillement.

Dès l’annonce initiale des résultats, le 30 au soir, sur la base de seulement 34,25 % des procès-verbaux, Asfura et Nasralla (dans l’ordre) sont annoncés au coude autour, chacun, de 40 % des voix ; Rixi Moncada se traîne avec un score dérisoire (moins de 20 %) eu égard à sa réelle popularité. On découvrira ultérieurement que plusieurs milliers de procès-verbaux dûment enregistrés n’ont été ni pris en compte ni divulgués. La suite relève du désordre qu’on pouvait prévoir. Le TREP fonctionne avec lenteur, puis se paralyse le lundi après-midi, quand n’ont été traités que 57 % des « actas ». Nasralla passé en tête, comme dans une partie de petits chevaux, le TREP s’immobilise à nouveau pendant plusieurs heures, avant que, miraculeusement, Asfura ne reprenne le dessus. Le 5 décembre, alors qu’il menait encore la danse avec 40,21 % des suffrages (Nasralla : 39,48 %), le système géré par Grupo ASD est retombé à nouveau dans le coma.

Il n’a pas fallu attendre si longtemps pour que les premières voix sonnent le tocsin. Dont celle de Marlon Ochoa, sans surprise, dénonçant une fraude, dès le 2 décembre. Dont celle de l’expert en communication politique Héctor Maradiaga, mettant déjà en cause l’absence du dispositif biométrique : « Ce qu’on peut observer sur plusieurs procès-verbaux est incroyable : il y a des bureaux de vote où 100 personnes ont voté, mais où l’“acta” enregistre 600 ou 700 votes. C’est quelque chose de complètement éhonté [13]. »

A la voix de Rixi Moncada rappelant que ces « résultats préliminaires » douteux n’ont rien d’officiels et que LIBRE effectuera toutes les démarches nécessaires pour que soit effectuée une analyse des procès-verbaux, s’ajoute bientôt un communiqué de… Nasralla : « Je dénonce publiquement que, aujourd’hui 4 décembre 2025 à 3h24 du matin, le site [du CNE] s’est éteint et qu’un algorithme (similaire à celui utilisé en 2013) a modifié les données. Les 1 081 000 voix de Nasralla ont été attribuées à Asfura et les 1 073 000 voix d’Asfura ont été attribuées à Nasralla. » Peut-être que c’est vrai, mais c’est à double tranchant : de peur de s’attirer les foudres du Croquemitaine de la Maison Blanche, Nasralla, s’il proteste, évite de protester trop violemment. On peut supposer que la même impérieuse ombre washingtonienne flotte sur les prises décision et les errements des duettistes Cossette López et Ana Paola Hall.

Sur la chaîne de télévision TeleSur, Rixi Moncada a dénoncé : « Il y a un coup électoral en marche ! » En conséquence, le 6 décembre, considérant qu’est « altérée la volonté populaire » et « violée la loi électorale », LIBRE a déposé devant le CNE un « Recours en nullité administrative » des votes effectués le 30 novembre [14]. Dans un long document détaillant tous les pièges dont la démocratie a été victime en la circonstance, il est entre autres précisé que, du fait des omissions de l’enregistrement biométrique, « 13 246 des 15 297 procès-verbaux de dépouillement (86,6 %) présentaient des incohérences et des erreurs importantes entre les données biométriques et le contenu des procès-verbaux, ce qui représente un écart de 982 142 voix ».

Marlon Ochoa, le 4 décembre


Rixi Moncada, interviewée par Telesur


On observera que les observateurs semblent ne pas observer grand-chose. Avec à sa tête l’ex-ministre des Affaires paraguayen (de droite) Eladio Loizaga, la mission de l’OEA s’est pour l’heure contentée d’appeler à « accélérer le processus de dépouillement » et de confirmer que « le résultat est extrêmement serré ». Ne disposer que de 101 observateurs et réussir à faire une découverte aussi phénoménale relève de l’exploit ! Pas plus que celui de l’Union européenne, le rapport préliminaire (lui aussi !) de l’OEA n’inclut les mots « fraude » ou « manipulation intentionnelle » dans son analyse du système, se contentant de termes tels que « retards » ou « manque de formation ». L’ingérence des Etats-Unis ? Pas remarquée…

Sur les réseaux sociaux, l’intellectuel et journaliste Ignacio Ramonet interpelle les « parangon de la démocratie électorale » qui siègent à Bruxelles : « Il y a exactement un an, le 6 décembre 2024, la Cour constitutionnelle roumaine annulait l’élection présidentielle en faveur du candidat Calin Georgescu, vainqueur du premier tour, en raison de “suspicions d’ingérence russe”. L’Union européenne avait salué la décision de la Cour constitutionnelle et condamné toute “ingérence étrangère” dans une élection démocratique. Bruxelles condamnera-t-elle désormais l’ingérence flagrante du président américain Donald Trump dans les récentes élections honduriennes ? Les autorités européennes (Von der Leyen, Macron, Merz, Tusk, Meloni, etc.) exigeront-elles l’annulation de l’élection hondurienne si Tito Asfura, publiquement soutenu par Donald Trump, le protecteur de la Maison-Blanche, venait à l’emporter ? » Il y a fort à parier que la réponse à la question soit déjà connue…

Dimanche 7 décembre, la Coordination nationale de LIBRE a dénoncé l’existence d’un « coup d’Etat électoral », confirmé « ne pas reconnaître les résultats des élections » et appelé ses membres et le peuple hondurien à organiser « des mobilisations, des manifestations, des sit-in, des rassemblements et des grèves » pour défendre ce qu’il considère comme un processus électoral bafoué. Rixi Moncada a ordonné aux fonctionnaires du gouvernement de ne participer à aucune « activité de transition » liées à de supposées « nouvelles autorités du pays ». De son côté, dans une démarche à la vénézuélienne, les leaders du PN et du PL ont appelé le commandement des Forces armées à ne pas obéir aux ordres « illégaux » du gouvernement.
« Ici, personne ne se rend ! », a lancé LIBRE pour conclure son message.
Le bras de fer ne fait que commencer.

Action de nullité administrative déposée par LIBRE


En 2013, la fraude, déjà… (ML)



Illustration d’ouverture : Nasry Asfura, Donald Trump, Salvador Nasralla




[1Lire Maurice Lemoine, « Au Honduras, la gauche défend son bilan », Le Monde diplomatique, novembre 2025.

[2D’après l’Institut national des statistiques (INE), la pauvreté a diminué de 13,5 points (de 73,6 % à 60,1 %) et l’extrême pauvreté de 15,4 points (de 53,7 % à 38,3 %) depuis 2021.

[4Création et fonctions de cette Commission sont clairement définies aux articles 207 et 208 de la Constitution de la République.

[5Pour justifier cette session législative extraordinaire, l’opposition invoque l’article 1917 de la Constitution (dite auto-convocation). Le pouvoir récuse l’argument au nom de l’article 19116 : celui-ci exige l’existence d’un cas de force majeure ou d’un événement fortuit pour la tenue d’une session extraordinaire, condition qui n’ont pas été remplies.

[6« INFORME TECNICO ; Evaluación tecnica de ciberseguridad y transparencia del proceso electoral 2025 en Honduras » – https://puntoaereo.com.mx/copppal-advierte-vulnerabilidad-del-sistema-de-transmision-electoral-hondureno-ante-cne-oea-y-ue/

[7On estime que 1,8 million de Honduriens se trouvent aux Etats-Unis. Parmi eux, plus de 260 000 ont fait l’objet d’un ordre d’expulsion début 2025, 1300 d’entre eux étant détenus par les autorités américaines. En novembre, près de 30 000 auront été expulsés, soit 13 000 de plus qu’un an plus tôt.

[9Lire « Une claque retentissante pour Noboa et son “boss” » (25 novembre 2025) – https://www.medelu.org/Une-claque-retentissante-pour-Noboa-et-son-boss

[10Lire « L’imagination très limitée d’un certain Donald T. » (12 septembre 2025) – https://www.medelu.org/L-imagination-tres-limitee-d-un-certain-Donald-T

[11Lire « Le Père Nobel est une ordure » (14 octobre 2025) – https://www.medelu.org/Le-Pere-Nobel-est-une-ordure-3110

[12Précisé dans l’Action en nullité administrative déposée par LIBRE le 5 décembre 2025.

[14Ce recours en nullité s’appuie sur les articles 297 et 298 de la Loi électorale du Honduras.



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