Chroniques du mois

L’Europe, terre d’immigration

lundi 8 février 2016   |   Bernard Cassen
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On peut tenter d’infléchir une dynamique historique et trouver les moyens de s’y adapter, mais cela implique de ne pas en nier l’existence et de l’appréhender de manière rationnelle en se fondant sur les travaux scientifiques. La question de l’immigration est de celles où ces principes sont les moins respectés, au point d’occulter toutes les autres dans la vie politique de la plupart des pays européens.

Les images des réfugiés dont les bateaux font naufrage en Méditerranée ou qui, en longues colonnes, tentent de rejoindre un pays d’accueil provoquent des réactions contradictoires dans les opinions publiques : compassion et solidarité dans certains secteurs ; peur panique d’une « invasion » dans d’autres. Dans le premier cas, le discours dominant – implicite ou explicite – qui est celui d’une partie de la gauche, mais pas exclusivement, consiste à dire que l’accueil de millions de nouveaux immigrants ne pose pas de problèmes majeurs et que les frontières européennes doivent rester ou redevenir ouvertes. Dans le second cas, qui se généralise, l’accent est mis exclusivement sur les mesures sécuritaires : installation de barrières de barbelés ; renforcement drastique des contrôles pour l’accès aux Etats membres de l’Union européenne (UE) et singulièrement ceux de l’espace Schengen ; expulsion des réfugiés en situation irrégulière (immigrés économiques sans papiers, déboutés du droit d’asile, etc.).

Ni la première de ces attitudes (angélisme bien intentionné, mais à courte vue) ni son opposée (dramatisation tout aussi myope de la situation) ne permettront de faire face dignement et pacifiquement à un phénomène que toutes les données rendent inéluctable : l’impossibilité, pour l’Europe, d’empêcher des arrivées massives d’immigrants dans les décennies à venir.

Les énormes écarts démographiques et économiques entre pays de départ et pays d’arrivée sont parfaitement connus. Pour simplifier, on peut dire que l’Europe est un continent riche et à la population vieillissante et stagnante, alors que les populations de l’Afrique et du Proche-Orient sont plus jeunes, plus pauvres et en forte croissance. Même au péril de leur vie, les jeunes de ces régions voudront fuir la misère et l’insécurité pour rejoindre ce qu’ils croient être un Eldorado qui, pour beaucoup d’entre eux, a autrefois été leur puissance coloniale. A cela s’ajoutent les millions de réfugiés des zones de guerre et des Etats en faillite et, sur une échelle encore plus vaste, les futurs réfugiés climatiques.

A partir de ce constat, le simple bon sens devrait conduire les dirigeants à agir sur les causes des mouvements migratoires, en d’autres termes à donner aux réfugiés économiques potentiels de bonnes raisons de ne pas quitter leurs familles et leur pays. Cela revient à refonder radicalement les rapports Nord-Sud et, plus généralement, à réduire les inégalités au niveau planétaire. Lors de la Conférence mondiale sur le climat (COP 21) tenue à Paris en décembre dernier, on a vu l’extrême difficulté de prendre la moindre mesure en ce sens : il a fallu de longues négociations avec les Etats du Nord pour qu’ils s’engagent à mobiliser 100 milliards de dollars par an d’ici à 2020 pour aider les pays du Sud à faire face aux effets du changement climatique. Cette somme – dont rien ne garantit qu’elle sera réunie – représente seulement deux années de bénéfices nets d’Apple…

Dans la mesure où toutes les hypothétiques mesures de redistribution des richesses à l’échelle du globe prendront du temps, l’Europe va devoir accueillir des millions de nouveaux immigrants dans les années à venir. Cela va lui poser des problèmes de tous ordres, dont le plus aigu sera l’intégration de personnes aux cultures très différentes de celles du Vieux Continent, en premier lieu dans les rapports hommes-femmes et dans le statut de la religion. C’est un immense défi, et les événements, aux conséquences dévastatrices pour l’accueil des migrants, de la nuit de la Saint Sylvestre à Cologne – plus de 800 plaintes déposées par des Allemandes pour agressions sexuelles de masse commises par de jeunes étrangers, résidents ou réfugiés présumés musulmans – montrent qu’il est urgent de s’y préparer. Mais cela ne se fera certainement pas en relativisant, d’ailleurs à partir de chiffres exagérés que colportent les sites néo-nazis, le caractère et la gravité de telles agressions : « Entre avril et septembre 1945, deux millions d’Allemandes violées par des soldats. La faute à l’Islam ? » –, comme l’a fait imprudemment la dirigeante d’un des partis membres du Front de gauche…

 

Illustration : Vasco Gargalo





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